"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Chef du bureau des dessins de Terezin, Bedrich Fritta est contraint d'honorer les commandes des nazis : plans d'architecture, travaux d'embellissement... Dans ce contexte intenable où sévissent la faim, la maladie et la menace des convois vers l'est, il décide, avec la complicité de quelques artistes, de témoigner. Chaque nuit, leur plume glisse sur le papier pour esquisser la vérité du ghetto.
https://unmotpourtouspourunmot.blogspot.com/2019/12/une-foret-darbres-creux-dantoine-choplin.html
Ces mots, emplissant cette forêt d’arbres creux, sont beaux à en pleurer. La lecture de ce texte court est éprouvante. Les descriptions sont terriblement esthétiques. Conter l’indicible tout en finesse suggestive. Toute la prouesse de l’auteur est ici de faire ressentir du paisible face au chaos. La résistance par l’art, la trace qui prouvera l’horreur en image, le témoignage quoi qu’il en coûte. Le témoin qui hurlera l’horreur.
Quel dessein torturant que de dessiner les plans du crématorium dans cet espace calme et vivifiant. Préparer la mort des siens. Rester concentré, ne surtout pas éprouver. Que toutes pensées deviennent énigmes. Rester au-delà des réalités visibles.
La lecture va croissante jusqu’à l’inévitable fin. C’est d’abord la perte de la famille et la tendresse qui ne peut plus exister face à la masse et à la survie. Manger et respirer ne devenant que l’unique loi possible, le seul engagement tenable. Les sentiments d’espoirs qui se délitent face à l’incompréhensible. La sidération qui s’installe. Subir en silence pour l’autre ou grâce à lui, mais jamais plus ensemble. Face au multiple l’individu n’est plus, il fond et devient autre. Face à la terreur souterraine, il s’enfonce. La seule pensée survivante étant de ne plus comprendre, de ne plus savoir, de ne plus être humain.
On finit la lecture, désœuvré, la rage prête à bondir face à la fatalité, face à la brutalité de notre monde parfois si désarticulé et sanguinaire.
Fidèle à lui-même, Antoine Choplin, avec "Une forêt d’arbres creux", livre encore un petit bijou de littérature. Après "Le héron de Guernica", "La nuit tombée" et "L’impasse", nous sommes à nouveau sous le charme de cette écriture simple, efficace, allant à l’essentiel et toujours terriblement émouvante.
Nous sommes à Terezin, en République Tchèque, en décembre 1941, jour de l’arrivée de Bedrich, accompagné de sa femme, Johanna, et de leur fils, Tomi, qui n’a même pas un an. Les voilà enfermés dans un ghetto, un camp de concentration peut-être un peu moins sévère que d’autres, là où mourut l’immense poète Robert Desnos.
Bedrich « regarde les arbres… Il songe à leur constance, qu’ils soient d’ici ou de là-bas, du dehors ou du dedans. Il se dit : vois comme ils traversent les jours sombres avec cette élégance inaltérée, ce semblable ressort vital. Ceux bordant la route qui relie la gare au ghetto, et qui s’inclinent à peine dans la nudité ventée des espaces. Ceux des forêts au loin… » Avec quelques autres, il se retrouve dans une salle pour dessiner des plans de bâtiments et même d’un futur crématorium…
Ce travail permet d’échapper à la faim qui fait mourir tant de personnes détenues. Quand tombe la nuit, ils dessinent la vérité de Terezin, cachant ces œuvres destinées à témoigner de la réalité alors que les nazis s’ingénient à mystifier la Croix-Rouge internationale qui vient d’annoncer, plusieurs mois à l’avance, une visite du camp.
Au fil des pages, l’auteur livre des instantanés de la vie de Bedrich, les rares moments où il peut retrouver Johanna et Tomi, cette intimité à jamais perdue et les drames du quotidien, d’une banalité que les tortionnaires s’ingénient à faire accepter comme normale…
Pendant ce temps, les convois partent vers l’est. On évacue les plus faibles. Le vieux Kurt refuse d’aller se faire soigner à l’infirmerie parce qu’il sait ce qui l’attend. Les nazis font vider l’hôpital de ses malades afin d’y faire jouer le Requiem de Verdi, chanté par les Juifs. Les chefs SS de Prague et de Berlin sont là ainsi que Eichmann…
Bedrich imagine un tableau montrant ce qu’il voit : «… à leurs traits marqués, à leurs orbites profondes, à la courbure légère de leur échine… les inquiétudes, la souffrance des jours, l’envie d’une miche de pain. » Il espère malgré tout : « …on pourrait bien finir par échapper aux convois vers l’Est, et il faudrait bien qu’un de ces jours tous ces murs s’effondrent. »
Et nous, il nous reste à ne pas oublier, l’être humain n’ayant de cesse de répéter les mêmes atrocités, une barbarie toujours d’actualité.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
En lisant les premières pages, j’ai eu la vision d’une ou plutôt deux photos. La première plein cadre sur les deux ormes avec un arrière-plan flou et la seconde l’arrière-plan devient net et l’on ne voit que les barbelés. La vie de Bedrich Fritta et de sa famille se déroulera désormais derrière ces barbelés, dans le ghetto de Terezin alors appelé Therisienstadt. Le dessinateur tchèque se trouvé nommé à la tête du bureau de dessin technique et doit établir les plans d’une future chambre à gaz. La nuit venue, une fois la confiance entre eux établie, les crayons deviennent des armes, leurs armes. Ils dessinent le camp tel qu’il est et non tel que les nazis veulent le montrer à la Croix Rouge. Démasqués, ils seront, avec leurs familles, emmenés en convois dans un camp de concentration dont il ne réchappera pas. Quelques dessins ont pu être sauvés.
Chaque chapitre fait penser à un des dessins. En des termes sobres, il raconte le camp, les visages gris, dénués de vie, les yeux vides « Il apparait pourtant, à l’exception de ces battements esquissés des paupières, dénué de vie. Les lèvres sont serrées, le sourire absent. »
La promiscuité, le froid, la saleté des corps que l’on ne peut entretenir, la peur, la faim, les humiliations, l’emprisonnement. Pourtant, il y a, tout de même ce contentement de tenir un crayon, de tracer des traits « Un contentement, c’est bien cela pour le moins, tenu en joue par une culpabilité impermanente ».
La sobriété, l’intensité de l’écriture d’Antoine Choplin donne encore plus de force au récit.
Les crayons me ramènent à Charlotte Salomon tout comme à tous les dessins créés après le massacre dans les locaux de Charlie.
Un coup de cœur pour ce livre et cet auteur dont j’avais beaucoup apprécié « La nuit tombée ».
Tout en sobriété, Une forêt d'arbres creux décrit en quelques dizaines de pages dépouillées le séjour de l'artiste Bedrich Fritta, caricaturiste tchèque, dans le ghetto de Teresienstadt. Arrivé là avec sa femme et son jeune enfant, dont il est immédiatement séparé, Bedrich est assigné, avec d'autres dessinateurs, à mettre au point l'esthétique des futurs fours crématoire.
Un texte fort et sobre, à l'image des précédents romans d'Antoine Choplin.
Nous sommes en 1941 à Terezin, un camp ghetto où étaient enfermés ingénieurs, architectes, scientifiques, tous les juifs susceptibles d’être utiles aux nazis.
Quand Bedrich y arrive avec sa femme et leur bébé, il est affecté à l’atelier de dessin, une pièce calme qui pourrait apparaître comme un havre de paix hors de l’horreur du camp, si les détenus n’étaient obligés de dessiner l’enceinte du four crématoire.
Pour s’évader mentalement de cet enfer, mais aussi pour témoigner, ces hommes se retrouvent le soir pour dessiner leur quotidien avec le secret espoir de remettre leurs croquis à la Croix Rouge pour que le monde entier connaisse l’horreur qui abrite ses murs.
« Ce dont ils parlent, c’est d’un colis qu’ils voudraient remettre clandestinement aux délégués de la Croix-Rouge au moment de leur venue. Trente œuvres soigneusement sélectionnées pour leur force de témoignage de la réalité du ghetto et qui feront savoir ce qu’ils vivent pour de bon à Terezin. »
En 120 pages, avec une économie de détails, qui rend le récit infiniment pudique, Antoine Choplin déploie toute la délicatesse de sa plume pour raconter cette histoire tirée d’un fait historique.
Un roman grandiose par sa simplicité.
Pas de provocation, pas d’ironie. Antoine Choplin choisit une écriture très classique, une phrase poétique pour rendre compte de l’horreur des camps. Ce choix rend du reste encore plus fort le contraste entre la dureté des conditions de vie et l’horreur de ce camp de transit où périrent quelque 33000 personnes et la beauté formelle du récit.
Nous suivons Bedrich, Johanna et Tomi à leur arrivée en décembre 1941. La mère et l’enfant sont placés dans le quartier des femmes, le père dans un braquement insalubre avec ses compagnons d’infortune. Son savoir-faire l’amène à intégrer le bureau des dessinateurs où il est notamment chargé des plans du crématorium. « Bedrich s’emploie à l’harmonie des façades, à l’équilibre visuel de la construction dont la funeste vocation, par de longues intermittences, disparaît de son esprit. »
Assez vite, avec ses collègues, il entend profiter de son statut un peu privilégié et entreprend de résister à sa manière. Sa mission et celle de quelques autres du bureau des dessins, consiste à élaborer pour les visiteurs « un album, florilège brillant, témoin du bien-vivre et des harmonies de Terezin ». On assiste notamment à des travaux surréalistes d’embellissement du camp avant la venue d’une délégation de la Croix-Rouge.
Mais Bedrich veut que le monde sache la vérité « sensible et nue ». Avec ses amis, ils font ce qu’ils savent le mieux faire et dessinent, racontent ce que subissent les déportés et racontent leur quotidien par l’image.
«Il lève les yeux vers Ungar, comprend ce à quoi s'emploie sa main alerte, les files d’attente devant les dépôts de nourriture ; de l’autre côté Bloch en termine avec l’esquisse de plusieurs figures humaines hallucinées, rassemblées en d’étranges postures…» Bien entendu, il leur faut cacher soigneusement leurs œuvres afin d’éviter les représailles, mais surtout pour que leur acte de résistance soit utile. Car très vite on comprend que face à la barbarie, la culture est un vrai rempart. C’est du reste le message qu’il entend transmettre à ses congénères et à son épouse : « Il lui disait combien les livres et les choses du savoir, c'était important. Le calcul, la poésie. Même ici, à Terezin, ça comptait. Surtout ici, il a ajouté, ici et maintenant, à Terezin. »
Un combat poignant, à l’issue incertaine, mais qui offre aussi par sa dimension artistique une porte de sortie : « Enfin, peut-être qu'un surplus de finesse ferait sourdre cette chose minuscule et que trahirait à leurs visages un je-ne-sais-quoi d'étincelant et de dérisoire : un peu d'espoir, voilà, ravivé par les propos d'Ungar mais maintenant endossé par chacun d'eux. Après tout - c'est ce à quoi pense Bedrich -, on pourrait bien finir par échapper aux convois vers l'Est, et il faudrait bien qu'un de ces jours tous ces murs s'effondrent. »
Un court roman qui est aussi un grand livre !
http://urlz.fr/2X3Y
Une forêt d’arbres creux entoure le camp de Terezin, camp « modèle » dans lequel sont déportés des artistes. Bedrich y arrive avec sa femme et son jeune fils. Dessinateur, il est affecté aux bureaux des dessins, surtout chargé d’architecture.
Mais Terezin est avant tout un camp : les détenus tombent malades, sont peu nourris, hommes et femmes sont séparés la journée.
Malgré tout, en silence et dans la nuit, les dessinateurs expriment la réalité du camp pour tenter de la faire connaître à l’extérieur.
Un texte plein d’émotions sur des petits riens qui font une vie ou un embryon de résistance.
L’image que je retiendrai :
Celle de la cachette des dessins, au creux d’un mur, derrière trois planches de bois.
http://alexmotamots.wordpress.com/2015/12/10/une-foret-darbres-creux-antoine-choplin
Résister avec un simple crayon...
Voici une bien belle découverte grâce à mes petites balades sur la blogosphère...
"Une Forêt d'Arbres Creux" retrace l'histoire vraie et tragique d'un dessinateur caricaturiste de 35 ans, Bedrich Fritta, qui a été déporté à Terezin en 1941 avec sa femme Johanna et leur petit garçon Tommy âgé de moins d'un an.
Terezin était un camp de concentration tchèque construit près de Prague pour tromper sur le sort réservé aux juifs, il était montré comme modèle lors des visites organisées pour la propagande, notamment lors des visites de la Croix Rouge.
Responsable d'un atelier regroupant une vingtaine d'autres dessinateurs, Bedrich doit, avec ses compagnons, dessiner les plans d'un futur crématorium!!!.
Parallèlement à cet horrible travail, ils se réunissent la nuit, en cachette, pour réaliser des dessins clandestins pour témoigner de ce qu'est réellement la vie dans ce camp.
C'est, pour eux, un espace de liberté pour oublier l’horreur mais aussi un moyen de résistance excessivement risqué.
Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est bien sûr l'histoire de cette œuvre clandestine pour témoigner de la Shoah mais aussi, et surtout, la façon dont elle est racontée.
Pas d'emphase...Tout est suggéré, épuré, précis, d'une extrême sobriété. Rien n'est étalé, l'auteur décrit juste, dans un style très visuel, des visages, des scènettes de la vie quotidienne des déportés qui nous font entr’apercevoir leur réalité quotidienne.
Les courts chapitres de ce roman se succèdent pratiquement sans dialogues donnant une impression de silence, de lenteur, de pesanteur. Une écriture qui va à l'essentiel.
Certains passages sont très beaux, comme celui du prisonnier qui reçoit un colis alimentaire ainsi que le dernier chapitre. Quelle faculté à créer la poésie même dans les cadres les plus sombres!
C'est un hommage poignant, tout en finesse, humanité et douceur à un artiste qui a su résister jusqu'au bout.
Superbe !
Une lecture qui me donne envie de découvrir cet auteur peu connu.
Lien : http://leslivresdejoelle.blogspot.fr/2015/12/une-foret-d-creux-d-choplin.html
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