"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En grande partie autobiographique, le roman a pour cadre une école militaire au milieu des années 1920, à la frontière entre la Hongrie et l'Autriche. On y suit six jeunes adolescents qui vont faire l'expérience de l'éducation militaire avec ses règles et ses brimades. Ils découvrent un univers sans protection où ils sont soumis à l'injustice de la hiérarchie militaire et des élèves plus âgés. Les réflexions sur l'arbitraire collectif ou les décisions individuelles évoquent Robert Musil et Les Désarrois de l'élève Törless tout en s'inscrivant parfaitement dans la tradition du Bildungsroman, le roman d'apprentissage.
Une école à la frontière est donc l'évocation douce-amère du monde de l'enfance, mais aussi un regard acéré sur l'humain et la relation entre individu et société.
Géza Ottlik a été reconnu tardivement dans son pays, ce titre-là a occulté le reste de son œuvre et est d'inspiration autobiographique. L'auteur hongrois a lui-même effectué sa scolarité dans un établissement de préparation militaire à Kőszeg. Ville la plus haute de Hongrie, elle sépare le territoire magyar de l'Autriche. La précédente édition a fait l'objet d'une publication, il y a près de soixante ans, les Éditions des Syrtes proposent une réédition qui permet à chacun d’accéder au texte sans avoir à farfouiller toutes les librairies d'occasion de France et de Navarre.
Nous voilà, en juillet 1957, face à Benedek, adulte, en compagnie de son ami d'enfance, Dani Szeredi, qui se rappellent leur scolarité très mouvementée trente ans plus tôt, à l'aube de l'automne 1923. Il confie à son ami qu'il a reçu le manuscrit d'un ami commun défunt, un certain Gabor Medve, qui narre leurs années passées à l'École de préparation militaire. Ce roman se compose de trois grandes parties, elles-mêmes entourées de textes introductifs et conclusifs au présent de narration, qui s'intitulent respectivement, Non est volentis / Boue et neige / Ni de celui qui court. Le tout est entrecoupé d'extraits du manuscrit posthume, qui confrontent la vision de Gabor à celle de Benedek, de leurs années passées entre les quatre murs de l'internat.
Évidemment, c'est une école ou un pensionnat plutôt qui ne compte que des garçons, ceux qui seront formés pour défendre plus tard la nation en même temps qu'ils reçoivent une éducation intellectuelle et sportive : l'autorité est de mise, portée par un personnel enseignant qui porte les galons et dont certains prennent un malin plaisir à entretenir une ambiance délétère. Benedek, Dani et Gabor sont les bleusailles de l'école lorsqu’ils l’intègrent, et sont traités comme tels, ainsi que le reste de la mini-promotion, par le clan de ceux qui font régner la terreur, un garçon entouré de sa fine équipe de harceleurs en puissance. Et l'auteur divague sur les trois années d'études, et de déambulations, de cohabitation agitée entre une poignée qui sème la terreur, les punitions, au gré de leur leader dont personne ne dispute l'autorité, les victimes ponctuelles de ces jeunes adolescents assurés dans leur domination par le personnel éducatif, et les autres qui errent, essayant tout à tour de se faire petit et transparent, d'humilier et de frapper à leur tour. Chacun essaie de s'en tirer du mieux qu'il peut entre deux machinations du clan des terreurs, et c'est souvent aux dépens d'autrui.
Les choses n'auraient pas pris l'ampleur qu'elles ont pris si l'un des encadrants, le lieutenant Schultze, n'était pas partie prenante, naturellement pour le groupe de dominant, rendant leurs actions ainsi quasiment impunies, les rendant intouchables : ce sont de petits dictateurs en herbe qui ont fabriqué leur autocratie en toute impunité, les autres n'ont qu'à obéir, subir et se taire. C'est une véritable petite nation, enfermée entre quatre murs, avec peu de contacts avec l’extérieur, qui vit repliée sur elle-même, avec ses propres lois, à l'image des plus grandes dictatures qui soient. La justice, n'est qu'un concept boiteux, qui est rendu au gré des volontés des élites, brutes violentes et sans ligne de commandement, par celui qui est le plus fort. Ce sont presque cinq cents pages jugulées des petites batailles auxquelles le clan a décidé de se livrer, d’expéditions punitives, aux alliances entre élèves, jusqu'aux tentatives d'annexions - le système de trocs mis en place qu'ils se sont appropriés : le dénouement à l'issue de ces années de scolarité, inattendu, donne une vision autre, élargie, universelle, de ce champ de bataille qu'étaient les classes et dortoirs de cette école. Le champ de bataille d'une guerre, de la guerre, avec une école implantée justement dans un territoire sensible puisqu'il jouxte le territoire ennemi, l'Autriche, le frère ennemi anciennement habsbourgeois. Avec un procès qui clôt les trois années de petites batailles, et sa condamnation irrévocable.
Le nombre de claques prodiguées aux uns, aux autres, est tel que l'utilisation parabolique de cette période de vie ne peut être gratuit : il y est question de lâcheté humaine, ou il est bon d'avoir sa tête de Turc personnelle. Ce qui m'a marqué dans son roman, c'est la façon dont l'auteur manipule la temporalité : entre sauts en avant, en arrière, certains événements repris d'un autre angle de vue, peut-être faut-il prendre cela comme une volonté de cerner au plus près l'objectivité des événements. Mais la mémoire est élastique, et sélective surtout, celle de Benedek s'attache à la vareuse noire des bleus", rend la chose impossible. De fait, le récit de Benedek est ponctué du récit de son ami Medve qu'il cite ponctuellement entre guillemets. Le procédé de Géza Ottlik tend à jouer sur cette durée infinie, un temps incompressible, comme si les événements duraient éternellement : somme toute, cette sensation d'une journée sans fin (...)
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