Un pays de neige et de cendre dont la sortie est fixée à ce vendredi 4 mars est une référence au Grand Nord finlandais, la Laponie, qui abrite les Sames, peuple autochtone. Une partie de la Laponie, qui s’étend également en Russie, en Suède et en Norvège, constitue l’une des dix-neuf régions de...
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Un pays de neige et de cendre dont la sortie est fixée à ce vendredi 4 mars est une référence au Grand Nord finlandais, la Laponie, qui abrite les Sames, peuple autochtone. Une partie de la Laponie, qui s’étend également en Russie, en Suède et en Norvège, constitue l’une des dix-neuf régions de la Finlande, et le nombre d’individus s’élève à peu près à 1500 personnes dans le pays aujourd’hui. Le mot Laponie semblerait être péjorativement perçu (lapp = porteur de haillons en suédois), c’est ainsi que j’utiliserai de préférence le terme qui provient directement des langues sames, Same ou Sami. C’est donc à ce peuple autochtone, qui vivait de chasse, de pêche et d’élevages de rennes, avant d’être assimilés à la population finlandaise que Petra Rautiainen a consacré son roman.
Comme tous les groupes de populations minoritaires, c’est un peuple qui a souffert de la Seconde Guerre mondiale, c’est ce qui se perçoit de l’épisode qu’a inventé Petra Rautiainen et dont les protagonistes sames incarnent des personnages essentiels. C’est par le biais de ces années quarante, avant et après la fin de la guerre, que l’auteure finnoise met à jour le sort, loin d’être enviable, réservé à cette partie de la population finlandaise. Il est vrai que l’on ressent immédiatement cette division qu’il y a entre ces Samis et le reste de la population finlandaise, les uns et les autres étant ancrés chacun dans des cultures, us et coutumes singulièrement différents. Et si en 1944 la Finlande reste encore occupée par l’Allemagne nazie à travers les différents camps d’incarcération implantés, le sort réservé d’un côté aux Samis et au reste de la population finlandaise a été relativement différent.
C’est une histoire que j’ai lue avec une extrême attention et grâce à laquelle j’ai permis de combler quelques lacune. Grâce au flot d’informations, et j’aime particulièrement cela, que Petra Rautiainen nous transmet sur un pays et un peuple que l’on connaît finalement peu. Deux temporalités se chevauchent, : l’année 1944 avec l’arrivée du traducteur Väinö Remes dans un centre pénitentiaire d’Inari, municipalité de la Laponie finlandaise, et l’après-guerre qui met en scène l’arrivée puis la vie d’Inkeri Lindqvist, photographe de profession, à Enontekiö, au nord-ouest du pays, en pays same, non loin de la Norvège et de la suède. L’un et l’autre ne sont pas samis, tous les deux vont devoir s’adapter à l’endroit qui les abrite, le premier en pleine guerre dans des conditions difficiles, la seconde avec un objectif dissimulé. La compréhension des tenants et aboutissants de chacune des histoires imbriquées, implique forcément la compréhension de la place des peuples Same dans la société finlandaise, au sein de son histoire, particulièrement à travers le prisme de la Seconde Guerre mondiale qui les a mis encore plus à l’annexe qu’ils ne l’étaient déjà. Notamment avec l’anéantissement des leurs et de leurs habitats, des villages entiers ont été rasés.
Un pays de neige et de cendres est typiquement le genre de titre qui ouvre à des cultures sur lesquelles j’ai peu l’occasion de lire, et c’est ce qu’il me plaît : cette connaissance avec un peuple qui pour moi évoquait jusqu’à maintenant principalement le Grand Nord Finlandais (et le Père-Noël…), sa coexistence avec la majorité du pays, ces finnophones ou suedophones. Et la façon dont la guerre a été vécue dans ce coin du monde, les dégâts qu’elle a laissées derrière elle : le titre poétique du roman en donne un petit avant-gout. Et c’est l’histoire de tous les sames, d’Inkeri, de Väinö, qui doivent tous s’adapter aux changements. Même si la guerre est finie, les terres sames portent encore les stigmates fumants de tout ce qu’elle lui a infligé, de tous les hommes tombés en son nom. Si Petra Rautiainen a construit son roman d’après un fil narratif bien solide, l’aspect historique et culturel est le gros point positif de ce roman. Rien que pour cela, le titre s’inscrit parmi mes lectures essentielles de ce début d’année. Petra Rautiainen rend tous les préjugés dont sont victimes les Sames, qui les cantonnent à un peuple un peu archaïque de pêcheurs et chasseurs qu’il faut absolument assimiler. De par la langue, pour commencer. Mêmes causes, mêmes effets : on l’a vu ailleurs, c’est aussi ce qui contribue à la disparition de la culture same. Voilà des pensionnats malfamés où sont catapultés de force les enfants sames, Inkeri ne découvre pas qu’un beau et lumineux pays de neige et de toundra, la réalité, celle d’une pseudo-bienveillance affectée, est plus sombre : l’assimilation, qui est un concept problématique puisque il est synonyme d’acculturation devient un véritable conditionnement culturel sous l’excuse de sauvetage civilisationnel comme s’ils avaient besoin d’être sauvés. Comme si la guerre et ses idéologies de « races inférieures », catégorie dans laquelle les Sames étaient vaguement classés, avait toujours prise sur le pays.
C’est encore un autre titre sur la seconde guerre mondiale que je présente ici, mais un titre qui apporte un éclairage encore différent sur la façon dont cette guerre a pu être vécue et subie dans un pays pris en sandwich entre l’Axe d’un côté, les Soviétiques de l’autre. Petra Rautiainen a utilisé à bon escient tous les ressorts d’une narration sous-tendue par ces secrets soigneusement filés où ce contexte historique et culturel dresse une toile de fond particulièrement riche et instructive. Si le pays a été soumis à une politique de neutralité stricte pendant la Guerre Froide, nommée Finlandisation, il semblerait que les malheureux événements actuels la poussent peu à peu à se désolidariser de cette impartialité adoptée, n’en déplaise à la Russie.