Un roman indispensable, "Le livre que je ne voulais pas écrire" d'Erwan Larher aux éditions Quidam
Un jeune homme a pris la décision de quitter son village natal pour aller, revêtu du treillis des mercenaires, à la rencontre du désert qu'investirent tant d'armées, sous des uniformes divers, après le 11 septembre 2001. De retour du checkpoint où la mort n'a pas voulu de lui, ce survivant dévasté est condamné à affronter parmi les siens une nouvelle forme d'exil. Il se met alors en demeure de retrouver la jeune fille de ses rêves d'adolescent, mais cette dernière semble avoir disparu sous les traits d'une jeune femme désormais vouée corps et âme à son entreprise.
Requiem pour une civilisation contemporaine médusée par les sombres mirages de la guerre comme par la violence inouïe de l'horreur économique, cérémonie cruelle et profane qu'illumine l'ardente invocation d'un improbable salut, Un dieu un animal retentit des échos du chant bouleversant que fait entendre une humanité crucifiée sur l'autel de la dépossession.
Un roman indispensable, "Le livre que je ne voulais pas écrire" d'Erwan Larher aux éditions Quidam
Ce roman, bâti sur une vision du monde pessimiste et désabusée, m’a fait plonger dans un univers oppressant et suffocant. Un jeune soldat de l’après 11 Septembre rentre de mission, dévasté et profondément traumatisé par ce qu’il a vécu dans le désert. Se sentant étranger dans son propre village natal, il part à la recherche salutaire de la jeune fille qu’il aimait durant son adolescence. Mais cette dernière s’est faite happer par l’univers aliénant de l’entreprise.
Nous voilà donc face à deux prisonniers de l’époque moderne, l’un otage de son traumatisme post-guerre, l’autre enfermée dans la hiérarchie vicieuse du monde capitaliste .
A travers une écriture faite de phrases très longues avec peu de ponctuation, Jérôme Ferrari développe un style presque asphyxiant qui concourt à créer une sensation d’étouffement et de malaise. Un roman très amer mais également très beau, émouvant et captivant. Un vrai petit bijou, condensé de violence poétique et de douleur en prose.
Imaginez un bloc serré de 120 000 signes, du granit brut, à prendre ou à laisser, écrit d’un trait, à lire de même, sans rémission. Ne le secouez pas, il est plein de larmes et de deuils. Un cri à la mort, une mélopée lugubre d’une inhumaine tension, venus de plus loin encore que le fonds des âges, de « la glaise primordiale dont Dieu façonne la multitude des êtres et des mondes qu’il tire du néant et renvoie, sans fin, au néant… ».
Beauté fulgurante du texte, qui atteint son extase dans de longs passages où le héros (tutoyé par le narrateur : « tu es parti, le monde ne t’a pas étreint et, quand tu es rentré, il n’y avait plus de chez toi ») et Magali (traitée, elle et tous les autres, à la 3ème personne : « Sous les arches immenses de la fontaine [du village], c’est à jamais le mois d’août, et tu es encore en train d’embrasser Magali… et de remonter ta main le long de sa cuisse »), où « toi et elle » poursuivaient par delà les abîmes un sublime dialogue amoureux, « toi » chair à canons épargné par la mort, dévasté par l’exil dans le monde guerrier des morts-vivants, elle chair à profit, vouée corps et âme à son entreprise (« … force irrésistible qui entraînait tout dans l’extase de son approbation universelle »). C’est que « les hommes ont besoin de quelque chose de plus grand qu’eux pour vivre… C’est une loi aussi éternelle que celle qui administre la course des astres »).
Entendez cette ode funèbre qui « retentit des échos du chant bouleversant que fait entendre une humanité crucifiée sur l’autel de la dépossession ». Le prière d’insèrer même est une prière. Il me semble entendre Dieu prier, qui prie-t-il ? Mes respects Jérôme Ferrari !
Un Dieu, un animal, un seul bloc. Pas d’espace, pas de relâchement, une histoire dense et puissante. Jérome Ferrari laisse s’échapper sa poésie à travers un récit âpre, écrit – c’est inhabituel mais ici très réussit – à la deuxième personne. Ce « Tu » qui irrigue les lignes, est-ce celui d’une prière mais d’une prière inversée, d’un Dieu vers un homme ordinaire mis face à son destin et à l’Histoire ? Dans ce monologue (ou est-ce le prémisse d’un dialogue ?), on revit le parcours d’un jeune homme projeté dans le chaos de la guerre d’Irak post-9 septembre, qui cherchera à son retour à renouer avec une paix impossible. D’une guerre extérieure devenue guerre intérieure, contre son passé et contre son avenir, surtout lorsque celui-ci se dessine sous les traits d’une société dévouée au culte de la réussite individuelle et de l’apparence. Le style de J.Ferrari est souvent magistral, qui lui permet de nous livrer ce récit violent et compasionnel sans abdiquer sur le terrain de la réflexion, tant sur le manichéisme de ce monde que sur « l’ultra-moderne solitude » que chantait le poète.
Ce n'est pas une histoire d'amour, du moins pas d'amour humain. Ce sont plutôt les histoires parallèles, malgré quelques points de rencontre épisodiques, de deux jeunes héros dépossédés de leur destin, sacrifiés sur l'autel des nouvelles divinités qui se partagent notre monde moderne : l'entreprise et la guerre.
Un récit emblématique d'une certaine jeunesse perdue, soumise à la violente emprise de ces multinationales économiques et guerrières, une jeunesse dépersonnalisée, déshumanisée, incapable de trouver en soi le courage de conduire sa vie, une jeunesse martyre, préférant s'aliéner à une entité supérieure dans un rapport mystique.
( Critique complète sur mon blog L'or des livres :
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/article-29629289.html )
Etonnant récit qui s'adresse au jeune homme à la deuxième personne du singulier, qui parle de Magalie à la troisième personne et qui passe de l'un à l'autre très habilement, sans arrêter le cours des mots et sans que le lecteur ne perde le fil. On suit très bien cet homme dans sa quête d'identité et de Dieu. Pas de chapitres, le récit est ininterrompu pendant les 100 pages du livre. Magalie est plus ordinaire, si je puis m'exprimer ainsi, mais n'a pas vécu les horreurs de la guerre dans le désert. Néanmoins, elle est un personnage important qui peut sauver l'ex-mercenaire, elle-même en pleine interrogation sur le sens de sa vie.
Ferrari adopte un style très personnel, tout en retenue, en évocation plutôt qu'en description. Un style poétique qui tranche avec le sujet traité.
Je ne cache pas que je me suis un peu ennuyé sur certaines longueurs, notamment lorsque Jérôme Ferrari évoque le prophète Hussein Ibn Mansûr El-Hallaj et la quête divine du héros. J'ai été tenté de les passer assez vite. Par contre nombre de passages excellents voire vraiment jubilatoires et passionnants sauvent l'ensemble du bouquin qui marquera ses lecteurs, moi en particulier. D'une part par la qualité d'écriture et d'autre part par la qualité des personnages décrits et par leur force.
Ce livre empreint de fatalité est un véritable requiem. La mort est présente de la première à la dernière page. Jérôme Ferrari a choisi de tutoyer son personnage principal qui semble en fait n’être que le témoin d’un monde contemporain à la dérive. Son personnage semble être voué à la mort par une trop grande lucidité. Voulant quitter son village natal trop statique, se sentant enfermé, il part en Irak et emmène avec lui son meilleur ami. Il ne comprend pas mais aime l’insouciance et les histoires incroyables de ce dernier qui va pourtant mourir là-bas. En revenant, le jeune homme ne retrouve rien : retrouver sa famille, son identité n’est plus possible, pour lui son village n’est qu’un tombeau. La seule image qui lui reste est celle d’une fille qu’il a aimé adolescent. Celle-ci semble aussi être écoeurée du monde qu’elle côtoie mais il s’agit du monde l’entreprise. Jérôme Ferrari ne dénonce pas ouvertement mais montre à voir les implications des choix économiques : les actes et les relations sont biaisés, l’accélération de l’absurdité face à des valeurs finalement illégitimes, voire inacceptables. Pour continuer à vivre dans ce monde, il faut accepter « toutes les règles, les règles visibles, les règles cachées […] » p.46 et un nouveau mysticisme semble être né et il est possible alors de « trouver sa place dans un monde que [l’on] comprend mais [qu’on] n’a plus besoin d’aimer » p.28.
Ce texte très court redonne une certaine acuité qu’il est toujours nécessaire d’avoir. Il est remarquablement bien écrit et terriblement dévastateur.
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