"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Marco, 36 ans, a décidé de porter plainte en justice pour discrimination fondée sur l'apparence physique. De sa beauté, il a trop souffert. Désormais, il va se défendre, demander réparation. Après tout, il n'y a pas de raison, le physique est l'un des très nombreux critères retenus par la législation française, et les Américains ont déjà ouvert la voix.
Avec Marco, on plonge dans un groupe de parole à l'anglo-saxonne, où seize personnes au physique de rêve vont tenter de se convaincre que leur problème existe. Mettant en regard les contes traditionnels et les contes contemporains que sont les séries télé, l'auteure nous emmène dans un jeu de cowboys et d'Indiens où l'on ne parvient plus à distinguer ce qui est réel, ce qui pourrait l'être, et ce qui est pure fiction.
Après son troisième licenciement à 36 ans – bien qu’issu d’une prestigieuse école d’ingénieurs -, Marco Bueli décide d’assigner son dernier employeur aux Prud’hommes pour discrimination. Marco est beau, trop beau : voilà la cause de tous ses problèmes. Au milieu d’un groupe de paroles, genre Alcooliques Anonymes où la perfection physique semble être la seule tare, Marco va se sentir moins seul et au fil du temps asseoir la légitimité de sa demande.
Le propos peut prêter à sourire tant il paraît superflu et incongru dans un monde qui n’a de cesse de nous vendre des corps retouchés, signes d’une perfection instillée par la publicité. Le coach du groupe libère la parole, appuyant à coups de références littéraires, historiques ou statistiques, le sentiment des participants d’avoir finalement jusqu’ici vécu en victimes de leurs propres corps. Trop beaux·belles, les membres du groupe à la plastique irréprochable se racontent : les jalousies dès la cour d’école, parfois même au sein des familles, les entraves ici et là parce qu’ils·elles attirent trop la lumière, la solitude parfois de ces êtres trop parfaits nés dans un monde qui n’arrive pas à les accepter complètement, tant ils le renvoient à sa propre imperfection.
Un roman original certes – relevant l’absurdité d’une société individualiste où tout prétexte peut devenir matière à procès – mais qui m’a tenue sans cesse au bord du chemin, les nombreuses références (dont le coach inonde les membres du groupe) altérant, à mon goût, le fil narratif. Mais paradoxalement, ce sont ces références que je retiendrai, pour la lumière nouvelle qu’elles m’ont apportée sur certains de nos classiques, notamment les contes. Là où l’on a l’habitude d’étudier la figure du méchant, Emmanuelle Heidsieck interroge, elle, les (trop) gentils beau et belle. De quoi aller replonger dans les livres (oui encore!).
Dans une tragi-comédie fort bien documentée, Emmanuelle Heidsieck raconte les déboires d’un homme trop beau pour être honnête. Un roman qui est aussi une réflexion piquante sur la judiciarisation croissante de notre société.
À priori Marco Bueli a tout pour réussir. Sorti ingénieur de l’école polytechnique de Lausanne, il trouve rapidement un emploi. Mais son expérience professionnelle va être courte durée, tous comme les suivantes. Trois licenciements consécutifs qui le poussent à réagir. Car il a cerné les causes du mal, il est trop beau! La preuve? «La première fois, sa supérieure hiérarchique lui a fait des avances. Elle était séduisante, il a cédé, il a fini par avoir une aventure avec elle. Elle avait un petit côté Pénélope Cruz. Elle semblait très accrochée. Ce n’était pas du harcèlement, elle lui plaisait. Naturellement, elle était mariée. Cela ne se termine jamais bien ce style d’histoires dans l’entreprise. C’est toujours le subordonné qui trinque. Licencié pour motif personnel.» Du coup, il a voulu changer d’univers et, sur le conseil de son oncle, s’est orienté vers une banque privée. Mais cette fois le poste n’était pas fait pour lui. L’erreur de casting étant dû à une chef des RH qui a succombé à ses beaux yeux. Le troisième fois, au sein de la direction Stratégie et Développement du groupe Daym, il a été victime de la jalousie de ses collègues qui n’ont cessé de la harceler jusqu’à ce qu’il cède la place. Un triple échec qu’il entend ne pas laisser sans suites et engage le combat sur le terrain juridique.
Après tout, il n’est pas le seul dans son cas et peut s’appuyer sur de nombreux cas similaires, notamment aux États-Unis où, plus qu’en France, on n’hésite pas à porter plainte pour à peu près tout et n’importe quoi et réclamer des millions de dommages et intérêts. En portant l’affaire devant les prud'hommes, il veut se persuader que la «discrimination fondée sur l'apparence physique» fera jurisprudence.
Tout le sel du récit tient ici aux références à des faits divers, des livres, des séries télévisées et des films et mêmes des contes dont on peut imaginer comment un juge pourra traiter l’argument.
Et à propos d’arguments, la seconde partie du roman, baptisée «Making-of», va pouvoir les détailler et en tester la pertinence à travers un groupe de parole qui, comme un chœur de tragédie grecque, va servir ici de caisse de résonnance avant un épilogue dont je vous laisse goûter la teneur et découvrir si les «Trop beaux» auront gain de cause.
Emmanuelle Heidsieck a le style efficace, sans fioritures, l’ironie mordante et un ton moderne, mâtiné d’anglicismes. Autrement dit, le texte colle parfaitement au propos pour le plus grand plaisir du lecteur.
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