"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un grand-père meurt. Une petite-fille récupère son frigo et l'installe dans sa cuisine. La porte à peine ouverte, nous franchissons la frontière de la Pologne juive, et c'est un monde qui se découvre, un monde de foie de volaille, d'« ognonnes », de gefilte fish, la carpe farcie en yiddish.
La cuisine ashkénaze n'est peut-être pas la plus sexy, et le yiddish n'a pas toujours été une langue bien normée. Mais ce sont autant de saveurs et de couleurs, de mots et de sonorités, toute une culture et une histoire qu'Élise Goldberg nous restitue ici, dans ce premier livre aussi drôle qu'émouvant.
L'histoire familiale, dit la narratrice, est « un récit sans chair, dont ne subsisterait que la colonne, quelques arêtes » - une carpe, en quelque sorte, qu'il faut réussir à farcir si on veut l'aimer.
L’autrice a hérité du frigo de son grand-père. C’est le point de départ d’une succession de fragments sur la cuisine juive d’Europe de l’Est et plus particulièrement autour d’un plat mythique, le gefilte fish ou carpe farcie. Ce texte est à la fois ironique et profond. Élise Goldberg insère des questions et commentaires d’un « groupe Facebook des éplucheurs de boulbès », des apparitions de Columbo.
Il y a de nombreux mots en yiddish retranscris de manière personnelle. On découvre toute une culture, une identité ashkénaze.
Entre émotion, tendresse et humour, ce premier roman est une réflexion intime sur la famille et la transmission, où chaque plat raconte l’histoire familiale parsemée de souvenirs. Un régal !
Retrouvez de nombreux extraits sur le blog pour en savourer toute la langue !
Tout part d’un frigo, celui du grand-père maternel qui vient de mourir. Un petit frigo, parfait pour un petit appartement parisien. Un frigo qui ne sent ni la carpe farcie, plat traditionnel de la cuisine ashkénaze, ni les oignons frits. Mais il a dû contenir de ces nourritures de l’enfance qui surgissent soudain à la mémoire de l’autrice. Attention, c’est un banquet, une orgie : beignets d’Haman, bortsch, cornichons sucrés (énormes) (dont vous aurez une étude comparée digne de 60 millions de consommateurs !), pattes de poulets, genoux de veau, chou en veux-tu en voilà, truites aux amandes et cakes au miel. Mais attendez attendez, il faut les mots pour apprécier les mets: shnitzels, leykekh, meyguèlè, guèbrentè soup. Vous reprendrez bien un peu de kroupnik ? À moins que vous préfériez du kouguel ou du tshoulnt ? Ah… ces mots… on se régale à les entendre!
Et attention, clou du spectacle : la gefilte fish, la fameuse carpe farcie. En darnes ou en boulettes ? Parce que ce n’est pas la même chose hein !
Avec tout ça, la cuisine ashkénaze vous met l’eau à la bouche ? Lisez ce qui suit… En effet, pour l’autrice, elle serait plutôt : « le triomphe de l’irrégularité, les créations de pâte à modeler d’un enfant de cinq ans érigées en art… c’est un foie pas complètement haché, où la dent cherche les grumeaux de viande et d’oignons, ce sont les darnes boursoufflées de farce du gefilte fish, ce sont les ferfels dont aucun ne ressemble à sa germaine, ce sont des raviolis, kreplekh, qui ne ressemblent à rien, c’est un gâteau au fromage fissuré sous le coup de chaud des deux cents degrés. Elle ne se soucie guère de faire bonne impression. Si la cuisine ashkénaze était une personne, ce serait un genre de quidam pas coiffé, les habits froissés, que vous auriez surpris au saut du lit, des traces d’oreiller sur la figure et qui, pour couronner le tout, vous accueillerait en vous tirant une tête de douze pieds. »
Des mets qui convoquent immédiatement la mémoire, les fragments de l’enfance, les traditions et la culture d’une famille juive polonaise...
Des mets aux maux, à la douleur de l’histoire familiale dont l’autrice essaie de recoller les morceaux, à l’Histoire tout court… Tout se mêle, les recettes, les citations, les souvenirs, les réflexions, les confidences : on passe de Columbo dont l’autrice regardait les épisodes avec son père : « Columbo ne sait pas faire marcher un fax. Le meurtrier doit lui expliquer comment fonctionne le stylo qu’il lui rend. Bref, c’est un shlèmil. Columbo, c’est un pouilleux. Un shlèppèr, un shnorrèr : un pauvre hère. Il ne craint pas de fouiller dans les poubelles- prêt à récupérer le reste du fromage sur la table où gît la victime. N’allez pas croire que Columbo soit issu de l’immigration italienne. Columbo, c’est un vrai Juif ashkénaze et je jurerais qu’en réalité, son plat préféré n’est pas le chili con carne, mais le gefilte fish. », on passe donc de Columbo à la page Facebook « des éplucheurs de boulbès », des blagues juives au destin tragique de la famille et à la Shoah.
Carpe farcie et humour pour évoquer, pudiquement, la Catastrophe…
C’est aborder le pire en le tenant à distance. Rire et sourire pour ne pas pleurer, pour retenir l’émotion, qui est là, toujours, à fleur de mots. Car, ils ne reste plus qu’eux, les mots, et leur pouvoir infini d’évocation, pour témoigner, faire exister. Ils sont porteurs d’un monde disparu et à eux seuls font renaître ce qui n’est plus.
Un livre merveilleux, tendre, drôle, émouvant et plein d’autodérision… Un vrai délice !
LIRE AU LIT le blog
Rien que le titre vous met l'eau à la bouche, à moins que, comme moi, vous n'ayez lu juste avant « pourquoi les coiffeurs » où nous découvrons que la couleur, beigeasse, et le goût, vaseux sont les principales qualités de ce mets ashkenaze par essence !
N’empêche, ce fut un régal par le ton enjoué et imagé de ce premier roman, cette plongée dans la cuisine d’Europe de 'est après un détour par le frigidaire du grand père d'Elise, qu'elle a reçu en héritage après sa mort !
C’est une excellente idée de faire un tour par le réfrigérateur, d'y découvrir des restes de civilisation presque disparue, une langue extraordinairement puissante et en complet oubli, le yiddish ! Grâce aux leçons de l'auteure, il nous est presque possible de découvrir le sens de certains mots, comme elle, finit par comprendre tous les non dits de sa famille, non dits volontaires ou pas à cause de la disparition de certains membres pendant la Shoah.
C'est un livre à la fois bien vivant, nostalgique des bons moments de partage de repas familiaux et d'avancée vers l'avenir avec cette tradition, une fois l'an , de cuisiner cette carpe farcie dans les règles de l'art !
L'auteure en a fait tout un plat, agrémenté de chou, de cornichons aigre doux qu'il faut acquérir dans tel ou tel magasin, déguster en musique... klezmer bien sur ! Arrosé de quelques larmes douces amères, également !
Une jolie entrée en matière pour un roman très original au goût d'antan et d'ailleurs !
«Débrouiller le brouillard»
Avec humour et sensualité, Élise Goldberg nous offre un premier roman qui explore ses origines familiales à travers la cuisine ashkénaze. La carpe farcie devient alors une boussole qui permet de remonter dans le temps. Et de découvrir une culture.
Quand son grand-père meurt, la narratrice hérite de son réfrigérateur. Un objet qui a conservé une odeur bien particulière, celle du chou blanc, bien loin de celle des plats qu'elle se souvient avoir mangé chez lui lors des fêtes de famille. Une première énigme qui sera suivi de nombreuses autres, car bien des mystères entourent le passé familial.
Mais pas question de faire chou blanc. Voilà la romancière qui enfile son tablier et prend la direction de la cuisine.
Vont alors défiler de nombreux plats, mais avant tout des couleurs et des odeurs. Et derrière la carpe farcie – que tout le monde n'a pas la chance d'aimer – c'est toute une culture que le lecteur va découvrir. Et derrière ces mots en yiddish, c'est la destinée des juifs polonais qui va s'écrire avec un humour inimitable. Derrière les incontournables que sont le hareng et la pomme de terre, le foie haché et la carpe farcie, on savoure des mets improbables cachés derrière un vocabulaire qui ne l'est pas moins. Prenons-en quelques-uns, histoire de cous faire saliver: «Klops. Sonne comme shmok (imbécile), comme claque, éclopé, clope, mais surtout comme cloque. Pain de viande débordant de sa terrine en cloque. Latkès, se prononce comme «délicatesse» pour désigner de simples beignets de patates râpées. Ferfels, petites pâtes vaguement carrées qui, avec leur grise mine tristounette, n'ont rien de farfelu. Yoykh, cri de joie surprenant pour un bouillon. Lokshn comme louche, qu’on troquera pour une fourchette qui piquera dans ces pâtes. Vempl, aussi sexy qu'une vamp pour un plat d'estomac de bœuf. Kreplekh, raviolis faux amis quand blintsès se rapproche davantage des crêpes que chacun connaît. Boulbès, rappelant le bulbe de l'oignon pour des patates. Kroupnik: croupe-nique ou, pire, croupi pour une soupe d'orge perlé. Tsibèlès mit eyer, cible d'un ailleurs pour ce qui s'avère n'être qu’œufs aux oignons.»
Si aujourd'hui les convives sont de moins en moins nombreux autour de la table, c'est qu'ils sont morts, emportés par la vieillesse, mais aussi par la barbarie. Une partie seulement des ancêtres parviendra à échapper aux nazis, prenant alors la route d'un exil incertain menant en Russie communiste, au Kirghizistan et en Ouzbékistan avant de rejoindre la France via l'Allemagne et la Suisse. C'est pourquoi la romancière s'est trouvée un «intérêt terreux pour les racines» et entend «débrouiller le brouillard».
Si on se laisse volontiers emporter par la musicalité de ce texte, c'est sans doute parce qu'il a été conçu d'une façon tout à fait particulière. Car Élise Goldberg anime des ateliers d'écriture et a appris à faire chanter les mots. Avant d'en faire un roman, elle a construit un spectacle autour de sa culture et de la cuisine ashkénaze, mêlant les musiques traditionnelles yiddish à ses mots. Le tout donnant un concert savoureux et nostalgique qu'elle a présenté avec la chanteuse et guitariste Muriel Missirlou.
Voilà en tout cas une entrée en littérature réussie, mêlant avec subtilité les cornichons dans toutes leurs variations et l'inspecteur Columbo, «une gentillesse qui ne vous prend pas de haut. Comme mon père.», à moins que ce ne soit Alexandre le Bienheureux ou encore Bernie LaPlante, le personnage incarné par Dustin Hoffmann dans Héros malgré lui. En faisant à nouveau la preuve que l'amour passe par l'estomac, Élise Goldberg sonde sa mémoire et la mémoire collective, réfléchit aux questions d’héritage et de transmission. Son récit est habilement construit, en fragments, mêlant avec une belle musicalité un humour dont on se souviendra qu’il est la politesse du désespoir.
https://urlz.fr/o8BP
"Lorsqu'on brise un objet, si précieux soit-il, on sait déjà qu' on ne retrouvera pas l'intégrité des éclats, qu'on ne recollera pas tous les débris."
La mémoire de la langue et du palais, un dîner de roi, des réactions mystérieuses, une mandoline, une tendresse particulière, des épisodes de Columbo, du Prisonnier, les racines culinaires, un bâton de dynamite, des cornichombres, de l'enthousiasme, le cri des mouettes, le frigo du grand-père, des irrégularités, la légende familiale, du brouhaha, une brillante résistance, des recettes symboliques, une statue de sel, l'identité, la sonorité poétique, des angles morts, le dépaysement, le doux bercement d'un bébé...
Et oui, tout le monde n'a pas la chance d'aimer la carpe farcie... Je n'en ai jamais goûté, donc je ne sais pas si j'aimerais ou pas. Par contre, je sais que j'aime vraiment ce livre !
Il m'a donné faim et soif ! Faim et soif de bons, de beaux moments en bonne compagnie, de savoirs, de découvertes.
Merci énormément à lecteurs.com ( Fondation Orange ) et aux Éditions Verdier ( Depuis 1979) pour la découverte de cet excellent premier roman.
Élise Goldberg m'a emballée et bouleversée avec cette histoire tellement présente et prenante.
Son style est attendrissant, imagé, mélodique, vivace, réjouissant, mélancolique.
Le groupe facebook des éplucheurs de boulbès !
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