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The cubicle island

Couverture du livre « The cubicle island » de Ilan Manouach aux éditions La Cinquieme Couche
Résumé:

The Cubicle Island est un projet de bande dessinée post-numérique et conceptuel. Il s'agit d'une expérience sur les ramifications du travail numérique distribué. The Cubicle Island est le fruit d'un travail invisible, produit par une main d'oeuvre de rédacteurs humains sans qualification ou par... Voir plus

The Cubicle Island est un projet de bande dessinée post-numérique et conceptuel. Il s'agit d'une expérience sur les ramifications du travail numérique distribué. The Cubicle Island est le fruit d'un travail invisible, produit par une main d'oeuvre de rédacteurs humains sans qualification ou par des algorithmes. Elle embrasse les avancées de l'accélérationisme épistémologique et technologique permises par l'interconnection de la précarité globalisée.
Contexte historique : la plateforme de micro-travail distribué et numérique Amazon Mechanical Turk (AMT) a été pensée et conçue par Amazon en 2007. Elle répondait à la nécessité de développer des moyens informatiques pour résoudre les problèmes techniques insurmontables liés aux nombreux doublons présents dans la liste des produits du site de vente en ligne. Depuis, un large éventail de plateformes de micro-travail en ligne s'est développé, qui permet d'exploiter la force de travail d'un nombre d'ouvriers sans précédent, pour accomplir des tâches informatiques complexes.
Ces services permettent à un candidat travailleur de chercher, sélectionner et remplir des tâches variées, à la demande d'un tiers contractant qui recherche une main-d'oeuvre indépendante, flexible et peu qualifiée. Le travail peut être réalisé chez soi, sans aucune supervision managériale. Il peut s'agir de développer des bases de données, trier des images, s'abonner à des chaines YouTube ou rédiger des commentaires "crédibles" sur Aliexpress ou TripAdvisor.
L'expression "micro-travail" désigne une série de petites tâches remplies par de nombreux travailleurs disséminés sur la toile qui, rassemblées, contribuent à l'élaboration d'un seul et unique chantier. Les micro-travailleurs constituent le plus petit maillon, la plus petite unité de travail, d'une gigantesque chaîne de montage virtuelle. Ils sont le plus souvent utilisés pour des tâches qui requièrent l'intelligence humaine, parce qu'on ne dispose pas (encore) d'algorithme efficace capable de les remplir.
Chaque jour, des dizaines de milliers de micro-travailleurs se connectent sur les multiples marchés du travail en ligne et effectuent des dizaines ou parfois des centaines de tâches. Les micro-travailleurs se trouvent à un moment clé de l'Histoire du travail, un seuil dans l'accélération exponentielle des technologies de l'intelligence artificielle forte (IAF/AGI) qui "augurent d'une nouvelle ère d'abondance sociale et économique".
Le micro-travail, dont le déploiement (humain) distribué, externalisé dans les BRICS, sur plateforme, en régime contractuel zéro heure, avec tous les avantages que présentent les micro-transactions financières et le contournement absolu des lois sur le salaire minimum, est une forme d'Intelligence artificielle à bon-marché. On l'a rebaptisé "Intelligence artificielle artificielle" (IAA). Mais il y a plus : certains de ces micro-travailleurs sont des programmeurs.
Ils conçoivent des bots capables de répondre automatiquement aux tâches les plus courantes publiées sur les plateformes de travail en ligne. Il y a des bots capables de trier des images par OpenCV (Open Computer Vision), d'autres qui sont capables de compiler des bases de données ou qui excellent à saturer les serveurs de requêtes ou même à s'en prendre au DDOS. Ces bots scannent les plateformes de travail en ligne mal sécurisées, à la recherche des tâches pour lesquelles ils ont été conçus.
On les appelle "chasseurs aveugles" : chacun d'eux transporte une arme spécifique, qui ne peut tuer qu'une seule espèce dans un vaste écosystème, avec de maigres chances de succès. Les spambots imitent les micro-travailleurs humains, qui imitent eux-mêmes l'Intelligence Artificielle. The Cubicle Island est un projet constitué de quelques centaines de dessins d'humour de naufragé sur une île déserte, dont la légende a été effacée, pour lesquels j'ai commandé, sur l'interface des plateformes de travail digital les plus populaires, quelques 17.
000 contributions écrites. En variant la formulation des demandes, j'ai demandé explicitement aux micro-travailleurs de fournir un texte drôle de 50 à 70 mots pour chaque dessin, avec des résultats mitigés. Pour l'entièreté de la production, j'ai procédé à la sélection des bons et mauvais contributeurs et blacklisté ces derniers. Afin d'écarter les spams et les bots, j'ai patiemment consigné les centaines de codes alphanumériques identifiant chaque micro-travailleur sur les plateformes.
Les premiers mois ont été pénibles. Aucune contribution n'était, fût-ce même un peu, drôle. J'apprenais ainsi qu'être un auteur de blagues au New-Yorker n'est pas une tâche si facile. Un jour, j'ai reçu un texte qui se distinguait de tous les autres : à la place de ces légendes de 70 mots que je m'étais habitué à copier, coller, imprimer, découper et punaiser sur un tableau recouvrant tout un mur de mon appartement d'Athènes, j'ai reçu une transcription de plusieurs pages, 2275 mots d'une interview de Captain Beefheart.
C'est là que j'ai décidé de troquer mes listes de bons et mauvais contributeurs. En acceptant les contributions des algorithmes les plus courants, qui hantaient ce projet depuis sa conception, The Cubicle Island occupe un champ sémantique textuel, une vallée de l'étrange de l'Intelligence artificielle artificielle artificielle (IAAA). Sans délaisser la complexité sémantique et l'engagement du lecteur des dessins d'humour, The Cubicle Island met en évidence la conception (numérique) partiellement humaine distribuée.
Le sort des dessins, après leur passage à travers l'essaim des lecteurs des usines numériques ou leurs substituts algorithmiques, remet en question la primauté de la légende et du dessin en tant que facteurs caractéristiques et déterminants du format cartoon et de l'industrie de la bande dessinée. A l'ère du contrôle et de la transparence sélective du capitalisme, The Cubicle Island met en scène les nouvelles configurations de la répartition travail/loisir (le néologisme playbor, contraction de labour et play).
The Cubicle Island est une performance au long cours, fondée sur un demi-siècle de dessins d'humour d'île déserte, qui souligne l'isolement extrême produit par les nouveaux régimes de travail, dans la formation d'une nouvelle classe mondiale de travailleurs cognitifs précaires. Ilan Manouach

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