"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En raison de sa conduite héroïque lors d'un attentat en métropole, l'adjudante Angélique Blakaman a obtenu un poste à Maripasoula, dans le Haut-Maroni, là où elle a grandi. Au bord du fleuve, il lui faut supporter de n'être plus la même, une femme que sa mère peine à reconnaître, de vivre aussi dans une ville qui a changé au voisinage des rives du Suriname, avec leurs commerces chinois, leurs dancings et leurs bordels, les filles dont rêvent les garimpeiros qui reviennent des placers aurifères. Et après les derniers spots de vie urbaine s'ouvre la forêt sans bornes vers les mythiques Tumuc-Humac, le territoire des Wayanas, ces Amérindiens qui peu à peu se détachent de leurs traditions, tandis que s'infiltrent partout les évangélistes. C'est là que vit Tapwili Maloko, le seul homme qui met un peu de chaleur dans son coeur de femme. Aussi, lorsque de sombres nouvelles arrivent de Wïlïpuk, son village à plusieurs heures de pirogue, hors de question qu'Angélique ne soit pas de la partie. Pour elle s'engage l'épreuve d'une enquête dans la zone interdite, ainsi qu'on l'appelle parfois. Et pour affronter le pire, son meilleur allié est le capitaine Anato, noir-marron comme elle, et pour elle prêt à enfreindre certaines règles.
Avec cette héroïne que ses colères tiennent comme une armure. Colin Niel nous fait entrer dans une Guyane secrète, qui n'a pas tout perdu de ses pouvoirs anciens, lorsque les hommes vivaient auprès des dieux.
À Cayenne, une bande d'anglais (migrants originaires du Guyana) braque les maisons bourgeoises, généralement sans violence excessive. Jusqu'au jour où survient le drame : la victime meurt noyée dans sa piscine... Les équipes du capitaine Anato sont sur les dents, sommées par la hiérarchie de retrouver les coupables.
Sur le Maroni, en amont de Maripasoula, les appétits s'aiguisent : les terres ancestrales des amérindiens regorgent d'or, attirant orpailleurs clandestins brésiliens, et sociétés françaises agréées... C'est dans ce contexte, que Tipoy, un adolescent fils de Tapwiti Maloko, un des leaders des derniers amérindiens, disparaît. L'adjudante Blakaman, gendarme d'origine noir-marron comme Anato, récemment rentré de métropole après un acte de bravoure, conduit les recherches.
Sur le ciel effondré est la quatrième enquête guyanaise du capitaine Anato. Si l'auteur est déjà reconnu comme un des grands de la littérature noire française, il s'affirme là comme un des maîtres mondiaux du polar ethnologique, dans un style très différent de celui des fondateurs du genre, Arthur Upfield ou Tony Hillerman notamment.
Du polar moderne, Colin Niel a retenu la multiplicité des intrigues et/ou des points de vue, qui se croisent et finissent par se rejoindre, ou pas, et le sens du détail, qui peut paraître anodin mais l'est rarement.
Comme tous les bons polars ethnologiques, il nous plonge dans des milieux et des populations qui nous sont contemporains mais nous semblent très éloignés. Chez Niel, la Guyane a remplacé les Four-Corners d'Hillerman. Les interactions humaines se sont complexifiées : il n'y a pas que les amérindiens et les colonisateurs blancs ; il faut y ajouter les noirs-marrons, descendants d'esclaves en fuite, les migrants économiques, les chercheurs d'or clandestins...
L'auteur nous fait découvrir ces mondes qui nous sont étrangers avec une richesse de détails qui laisse pantois ; la patte du scientifique qu'il était, sans doute ? Je n'ose imaginer la somme de recherches sur laquelle tout cela s'appuie...
Evidemment, on est en droit de se poser la question : "quelle est la part de réalité ethnologique ?". Je me contenterai d'une seule réponse : l'accueil enthousiaste que réservent les populations guyanaises aux romans de Colin Niel.
Un vrai coup de cœur !
Chronique illustrée : http://michelgiraud.fr/2021/03/07/sur-le-ciel-effondre-colin-niel-babel-noir-polar-ethnologique-et-coup-de-coeur/
IMMENSE, IMMENSE coup de coeur pour ce polar absolument génial de Colin Niel ! Je suis vraiment très impressionnée par le travail considérable de documentation qu'il suppose, par la qualité de l'écriture dont il témoigne et par une intrigue super bien ficelée qui nous captive jusqu'à la dernière ligne.
Comment vous dire ? Franchement, avant la lecture de ce roman, je n'aurais pas pu vous raconter grand-chose de la Guyane : un département français, un centre spatial (Kourou), un bagne autrefois, un climat équatorial étouffant, des moustiques voraces (dengue, chikungunya ?…) Quant à citer précisément tous les pays frontaliers… hum, hum… Bref, autant vous dire que je ne savais rien ou à peu près. Eh bien maintenant, je sais TOUT… non, bien sûr, je plaisante ! Mais en revanche, je crois que je n'ai jamais eu autant le sentiment de voyager, de découvrir, grâce à un livre, un territoire si différent du mien et d'en comprendre un peu les problématiques actuelles. Bref, j'ai l'impression de revenir d'un périple incroyable et ultra-dépaysant.
Bon, d'abord, il faut quand même que je vous avertisse, vous allez perdre vos repères, votre petite zone de confort… Tout est très très exotique : les noms… des personnages mais aussi des lieux, des plats, de la flore, de la faune, des fêtes traditionnelles et j'en passe, ils nous sont évidemment très étrangers et participent de ce dépaysement dont je vous parlais plus haut. Au début, on tâtonne un peu mais ça va vite, on prend ses repères, on s'acclimate quoi… Sachez donc que vous allez goûter au cachiri (bière traditionnelle), au manioc, à la patate douce et au poisson boucané, vous allez rencontrer iguane, engoulevent, piaye écureuil (un oiseau!) et jaguar « l'animal-roi » si vous êtes chanceux (façon de parler!) et contempler fromagers, bananiers et papayers… (ça fait rêver!)
Une carte, au début du roman, permet aussi de se repérer, géographiquement parlant. J'ai complété par des recherches sur Internet afin de voir des photos des lieux décrits.
Quand je vous dis que j'ai VRAIMENT eu l'impression de faire un VOYAGE !!!
Alors, le sujet : le roman commence par une arrestation plutôt musclée d'un certain Eduardinho, un chef de bande armé jusqu'aux dents que l'on soupçonne de rançonner les garimpeiros (chercheurs d'or clandestins) brésiliens qui pillent le sol de la Guyane sans se soucier de l'impact dévastateur de leur activité sur l'environnement.
Dans les pirogues, avec quelques gars du GIGN, attendent le lieutenant Cédric Vigier, un « métro » chef de brigade à Maripasoula, le capitaine André Anato, Ndjuka, Noir-Marron en quête de ses origines (un Noir-Marron est un descendant d'esclave noir révolté), et l'adjudante Angélique Blakaman, une Aluku Noire-Marron, elle aussi, originaire de Maripasoula. C'est elle qui a eu les infos. Blakaman est revenue de l'Hexagone défigurée. Décorée mais défigurée. Et mutique sur ce passé douloureux. « Une chieuse disaient certains » mais impeccable et surinvestie sur le plan du boulot. Elle se sent, depuis son séjour en métropole, presque étrangère à son pays et aux siens.
C'est une prostituée brésilienne qui l'a mise sur la piste des trafiquants mais aussi un certain Tapwili Maloko, un Wayana dont Blakaman est peut-être secrètement tombée amoureuse. Ce Tapwili, habitant de Wïlïpuk (on est dans le sud de la Guyane), lutte farouchement et depuis fort longtemps contre l'orpaillage (orpillage comme on dit parfois!), un vrai fléau écologique à cause du mercure qui empoisonne le sous-sol guyanais. Il lutte sans merci pour la protection des espaces naturels du Haut-Maroni et sa très riche biodiversité. Il souffre de voir son fils Tipoy se désintéresser de plus en plus des coutumes amérindiennes pour se tourner vers les mirages de l'Occident.
Or, un appel survient à la brigade de Maripasoula : le fils de Tapwili Maloko a disparu. Départ immédiat de la brigade. Deux heures de pirogue pour arriver dans ce village amérindien du Haut-Maroni! Avec une Blakaman prête à tout pour ramener le fils de cet homme qui la fascine et dont elle est peut-être secrètement amoureuse !
A cette mystérieuse et très inquiétante disparition (un suicide ?, c'est tellement fréquent chez les ados amérindiens) s'ajoute une insécurité galopante : homicides, vols à main armée, violences entre bandes, braquages à domicile où l'on retrouve des victimes ligotées avec les câbles de leur box Internet… Bref, la police est sur les dents.
Sur le ciel effondré est un roman extrêmement riche par la variété des sujets qu'il aborde : il nous fait découvrir une géographie, Maripasoula et la région du Haut-Maroni, le long du fleuve Maroni, frontalier avec le Suriname, au beau milieu d'une forêt amazonienne d'une telle densité que les orpailleurs peuvent développer leurs exploitations sans être inquiétés. Ce livre met aussi en scène un peuple (terme que l'on est presque tenté de mettre au pluriel) composé d'hommes et de femmes d'origines géographiques, communautaires et ethniques très différentes, ce qui entraîne une cohabitation difficile, d'autant que les croyances sont, elles aussi, multiples, allant du chamanisme au catholicisme en passant par un culte évangélique qui se propage très vite.
Les problèmes socio-économiques sont eux aussi au coeur même de ce roman : un chômage galopant : « le désastre des trois 50 %: 50 % de jeunes dans la population, 50 % sans diplômes, 50 % au chômage », une grande misère, des gens qui survivent grâce au RSA, un désoeuvrement qui tourne à la violence, alcool, drogue et un État français implanté bien trop loin et qui comprend mal les problèmes rencontrés par les autochtones. Par ailleurs, les mœurs et les traditions ancestrales se perdent à la vitesse grand V : les jeunes sont attirés par ce qu'aiment tous les adolescents de la planète : les téléphones portables, les jeux vidéo, la mode et la musique. Et les générations ont bien du mal à communiquer entre elles !
Bref, c'est un roman passionnant et je ne vous ai pas parlé des nombreuses intrigues et du suspense omniprésent qui nous tient en haleine jusqu'au bout !
Un pavé de 500 pages qui s'avale d'un coup !
LIRE AU LIT le blog
je vais lire ce roman dès sa publication
j'ai plongé dans les écrits de Colin Niel avec un peu de nostalgie en suivant les intrigues policières dans des lieux que je connais.
tout me revient de la chaleur, aux bruits, les chants des oiseaux et des insectes, le goût de la mangue et des ramboutans.
Un territoire à découvrir et visiter
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oui la Guyane c'est un département qui est oublié et pourtant c'est un territoire extraordinaire.Quand on arrive à l'aéroport , dès le premier pas dehors on se sent complètement envahi par la chaleur et la moiteur ambiante. Et puis, c'est un dépaysement total, la nuit qui tombe d'un seul coup à 19 heures, les cris des oiseaux, des insectes, la pluie battante, les ramboutans.
Les personnages de Colin Niel sont très hauts en couleurs. Chaque livre est une représentation de la vie en Guyane. Tout y est encore plus difficile au quotidien avec cette modernité à tout crin et la société de consommation qui envahit les villes et les petits villages.
La misère des autochtones et des immigrés, les difficultés en lien avec les règles imposées par la France et le saccage des territoires pour une course à la richesse toujours plus dégradante et inhumaine.
Le choc des cultures, des croyances, le taux de suicide chez les jeunes, la déforestation et le manque de perspective d'avenir, tout cela est toujours très justement décrit par l'auteur.
Cayenne était l'une des villes qui payait le plus d'ISF quand cette taxe était encore d'actualité.
Je recommande toute la série , une lecture envoûtante