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Rattrapées par la police et l'horrible Kurb, Jay et Kita sont prises au piège. Elles parviennent à s'enfuir in extremis grâce à l'aide de Senseï, mais le prix à payer est terrible.
Leurs têtes mises à prix, elles s'allient au Dead Ends, le gang de gamins des rues de Husband et Sainte Marie-des-Caniveaux. Ensemble, ils veulent se venger de cet Empire britannique qui les écrase sans vergogne. Et rien de mieux pour parvenir à leurs fins que de profiter des décisions de la Reine Victoria. N'appréciant nullement que les provinces d'Amérique du Nord revendiquent leur indépendance, la Reine a ordonné la construction d'une flotte navale pour aller déclarer la guerre à l'Amérique et récupérer ce qui lui appartient. Un attentat se prépare pour le jour de l'inauguration...
Il arrive que le démon verse des larmes, mais ne vous méprenez pas, il s'en nourrira pour devenir plus fort et déversera sa haine...
Shi ou le chiffre 4 : Une brillante composition
Shi » peut être un mot qui désigne en japonais le nombre 4 et c’est en 4 tomes qu’est construit le premier cycle de cette époustouflante saga.
On remarquera également que chacun des tomes présente l’un des démons mythologiques qui vont intervenir dans l’histoire : celui de Kita, « ichi » (un) symbolisant l’origine, le démon du sexe, de la folie, de la vie » apparaissait au premier tome ; nous découvrions le « Ni »(deux) du Sensei, celui de « la sagesse » et de la réflexion », au deuxième tome tandis que Jay rejoignait cette confrérie au troisième tome avec son tatouage de « San » (trois) « démon de la maladie et de la régénération ». Ces trois démons occupent ensemble une place de choix dans le tome final : ils émergent de la Tamise, sauvent les héroïnes des griffes de Kurb, hantent les chantiers navals et participent à la destruction de la flotte. Ils se font de plus en plus présents au fur et à mesure qu’augmentent la colère et le désir de vengeance des protagonistes… Nous apprenions également au tome 3 qu’il existait un quatrième démon « Shi », « le démon de la mort. Celui de la paix aussi, le plus cruel de tous », et nous l’apercevons brièvement, tricéphale, à la fin du cycle. Ainsi, la présentation des différents démons accompagne la montée de la tension dramatique et de la colère des protagonistes.
Celle-ci est également soulignée par une symétrie dans la composition qu’on peut considérer comme bipartite : comme le tome précédent, « Victoria » se déroule entièrement dans le Londres des années 1850 et non plus sur deux temporalités. Si les deux premiers tomes révélaient « pourquoi » l’organisation féministe et terroriste « Shi » avait été créée et avait perduré à l’époque actuelle, les deux tomes suivants s’intéressent au « comment » dans une savante gradation : dans le troisième tome, Jay et Kita se vengeaient méthodiquement de leurs persécuteurs (le directeur de l’expo qui a fait enterrer comme un chien le bébé de Kita, le révérend sadique honni de Jay …) et permettaient d’exposer les turpitudes de cette classe sociale ; ici elles vont s’attaquer à L’Empire lui-même et à celle qui l’incarne : Victoria.
SHI comme le poème du deuil :
Ce dernier tome où apparaît pour la première fois le démon de la mort est placé sous le signe du deuil et de la perte puisqu’il commence et s’achève par la mort de personnages de l’histoire. Or, le mot « Shi » peut également désigner les « ruines » et la « cicatrice » en japonais et, comme le déclare Kita dans ce dernier opus, « le deuil d’un être cher est une cicatrice à notre mémoire ».
Grâce à la narration en voix off (ou épistolaire comme on va finalement le découvrir) dans laquelle Kita revêt le rôle de récitant, ce tome -- et a posteriori le cycle complet -- peut se lire comme un « tombeau » à son amour défunt : un poème qui raconte comment on a rencontré puis perdu l’être aimé.
« Shi » c’est aussi l’histoire de magnifiques amours perdues. Ce tome 4 crépusculaire évoque magnifiquement l’’amour maternel d’abord : celui de Kita pour son bébé, celui de Jay pour Pickles mais aussi celui de Camilla pour Jay et celui de la fille de Jay pour cette mère qu’elle n’aura pas connue. Il est aussi le tome de l’amour fou : celui de Trevor pour sa belle-sœur, de de Camilla et Octavius, d’Husband et Pickles et bien sûr de Kita et Jay. Comme un contrepoint musical, les pages lumineuses aux tons mordorés de la vie idyllique de la reine Victoria font ressortir le tragique qui frappe toutes les autres histoires tant sur le plan amoureux que sur le plan familial.
SHI comme homonyme de SHE : une série féministe
« Shi » se prononce de la même façon que le pronom personnel « she » qui veut dire « elle » en anglais et cela nous rappelle que c’est avant tout une histoire de femmes. C’est dans ce dernier tome que le sous-titre de la série prend tout son sens en effet : « deux femmes contre un empire ».
Le personnage qui donne son nom à cet épilogue, « Victoria », adopte ici aussi un rôle de de contrepoint : c’est la femme la plus puissante du monde au mitan du XIX eme siècle et c’est celle qui paradoxalement renforce les inégalités sociales, corsète les femmes de son époque (au propre et au figuré) dans un puritanisme de bon aloi et permet la multiplication d’enfants des rues, orphelins livrés à eux-mêmes.
Or, Jay et Kita s’attaquent à cette figure et le titre « victoria » peut aussi se comprendre de façon ironique : la reine porte le prénom « victoire » mais accuse une défaite grâce au complot fomenté par ses victimes : les enfants des rues, les minorités méprisées (Sensei) et les femmes. Les faibles, par leur union, deviennent les forts : ils s’opposent à un régime patriarcal qui institutionnalise les violences machistes mais aussi à l’ultra libéralisme naissant. La fin du 4eme tome me paraissait un peu abrupte mais les nombreuses ellipses qu’elle contient permettent de relancer l’intérêt du lecteur en omettant de préciser ce que ce sont dit Jay Kita et la reine Victoria durant leur entrevue nocturne, en présentant une nouvelle « héritière » du mouvement Shi, et en annonçant par anticipation le destin tragique de l’une des héroïnes. Nous n’avons donc qu’une envie : que le cycle II apporte les réponses laissées en suspens et éclaircisse les relations entre ce quatuor de femmes fortes.
A la croisée des mondes :
C’est cette dernière dimension sociologique, historique et même politique qui me plaisait a priori le plus dans la série : Londres devenait un personnage à part entière et Homs en dessinait les moindres recoins, avec un immense talent, d’une façon très cinématographique dans de grands plans d’ensemble présentant la prospérité industrielle grâce aux chantiers navals et aux gares tandis qu’il croquait le gang des deads ends de façon pittoresque dans un trait semi réaliste qui n’était pas sans rappeler Loisel dans « Peter Pan » et évoquer une ambiance à la Dickens dans des camaïeux de bruns et des scènes de foules de tavernes ou de marchés.
J’aimais beaucoup également le côté très dynamique de son découpage et de ses cadrages : le dessinateur a commencé par travailler pour les comics (dans la série « Red Sonja ») et ça se voit vraiment dans les scènes d’action ! Les cases éclatées avec incrustations en double pages serties de noir, le traitement très graphique des onomatopées, les couleurs franches et tranchées bleutées ou rouges reprennent le code de ce type de bande dessinée où la violence éclate dans un trait haché.
Dans ces pages noires, Homs mettait en scène les démons : ce côté fantastique me gênait davantage de prime abord. Je le trouvais un peu gratuit et artificiel. Il me semblait que les démons intervenaient de façon fort commode comme des « deus ex machina » un peu faciles à chaque fois que les héroïnes étaient dans une mauvaise passe (l’incendie du tome 2, les violences de Kurb au tome 4) et qu’ils prenaient trop d’importance dans cet album final . Cela, jusqu’à je que je comprenne qu’il s’agissait en quelque sorte d’une métaphore pour exprimer la colère des personnages et que j’apprécie à leur juste valeur la virtuosité de ces pleines pages où les tatouages prennent vie.
Le dessinateur a déclaré dans une interview que Zidrou lui avait bâti une série sur mesure avec ses thèmes de prédilection : l’époque victorienne, les femmes et le Japon. Il s’est visiblement régalé et nous, nous ne pouvons être qu’époustouflés par le scénario extrêmement construit et maîtrisé du scénariste et les différents styles graphiques qui se succèdent et s’entremêlent dans une lisibilité parfaite grâce à un choix pertinent de couleurs, découpage et cadrages spécifiques. Nous passons ainsi d’univers réalistes (la city d’hier et d’aujourd’hui), au western ( les flash-backs des glorieux ériés) ou à un monde légendaire et mythologique… Une somme dans tous les sens du terme !
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