"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le cinéma est une arme de guerre.Paris, 1941. Le pyromane détruisant les pellicules de films allemands et l'assassin de Victoire courent toujours. À travers son exploration des milieux interlopes du spectacle sous l'Occupation, le commissaire Engelbert Lange voit resurgir de vieux démons. Hanté par le fantôme de sa mère qui l'avait abandonné pour tenter une carrière de comédienne et espionné de près par la Gestapo, pas facile de garder la tête froide pour résoudre cette double-enquête digne d'un film de Clouzot...À travers ce polar historique bien ficelé et dessiné par la prometteuse Alicia Grande, Laurent Galandon nous fait arpenter les rues d'un Paris occupé où le cinéma peut aussi bien servir à contester le pouvoir qu'à le maintenir.
Chronique précédemment parue sur le blog www.sambabd.net
Ah enfin ! Enfin un diptyque qui ne se termine pas en eau de boudin. A vrai dire, la qualité scénaristique de l’ensemble se devinait déjà dans le premier tome où l’on voyait bien que le scénariste avait mitonné sont histoire aux petits oignons.
Dans ce deuxième tome, nous suivons donc toujours l’enquête de l’inspecteur Lange, plongé entre les tourments de son enfance malheureuse loin d’une mère qui lui a préféré une hypothétique carrière d’actrice outre-Atlantique et la complexité de la/sa situation. Entre les actes héroïques de certains, les cocufiages d’autres, la Gestapo, les allemands, une voisine aussi charmante que mystérieuse et un producteur puissant et borné, la beauté du scénario vient du fait que l’on s’y retrouve sans problème. Les problématiques, aussi nombreuses et imbriquées soient-elles, restent non seulement accessibles mais également parfaitement compréhensibles. Chapeau Galandon !
Accessoirement, c’est bien dessiné. Que dis-je ? C’est TRES bien dessiné. Je crois qu’au match aller… pardon, au premier tome, j’étais passé un peu à côté de l’admirable talent d’Alicia Grande. Car si elle maîtrise tout à fait les codes de la bande dessinée (cadrages, enchaînements des cases, etc.) elle brille également par un trait précis, à la fois vif et léger, doublé d’une parfaite gestion du mouvement. Madelen, la mère de Lange qui apparaît régulièrement de manière fantasmagorique, est à ce titre magnifiquement réussie.
Si je résume, on a un scénario en béton mis en lumière (j’oubliais les très belles couleurs) et soutenu par un dessin de très haute qualité, le tout en deux tomes homogènes. Bref, ENFIN un excellent dyptique !
On ne compte plus les albums consacrés à la Seconde Guerre Mondiale, à la Résistance et même à l’Occupation. On pensera, par exemple, pour cette dernière période au premier album d’Emmanuel Guibert « Brune », au diptyque de Jean-Pierre Gibrat « le Vol du Corbeau », au « Il était une fois en France » du tandem Nury et Vallée sur le collaborateur Joseph Joanovici, au premier tome d’« Opération, vent printanier » de Wachs et Richelle ou de « Secrets, L’Echarde » du duo Giroud-Duvivier évoquant tous deux la rafle du Vel d’Hiv…
Maints albums nous content donc le quotidien à cette époque et les persécutions dont furent victimes les Juifs mais peu s’intéressent au contexte culturel de l’époque. A l’exception peut-être du « Dolor » de Catel et Bocquet qui évoque le triste devenir de l’actrice Mireille Balin et du tout récent « un amour de guerre » de Keraval et Leyho qui rapporte l’anecdote incroyable (mais authentique) du faux film allemand d’actualité sur le front russe tourné en …Ile et Vilaine, aucun d’eux ne s’était intéressé à cette période à travers le prisme du 7eme art. Laurent Galandon, ancien exploitant de salle de cinéma et cinéphile invétéré, répare cet oubli dans son diptyque « Retour de flammes » paru aux éditions Glénat dont voici le deuxième volet.
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Dans le tome introductif, « Premier rendez-vous », il plantait le décor et nous dépeignait de façon extrêmement pertinente le monde du cinéma français des années 1940 en s’appuyant notamment sur l’ouvrage « Le cinéma français sous l'occupation » de JP Bertin-Maghit. Mais il ne se contentait pas d’une bande dessinée documentaire car il bâtissait un véritable thriller prenant place dans cet univers. Une grande partie de l’intrigue tourne en effet autour de la société de production allemande Continental dirigée par le mystérieux Alfred Greven qui employa la fine fleur des comédiens français de l’époque. Des cinémas où étaient projetés les films qu’elle produisait se trouvaient mystérieusement incendiés et la police française, pressée par la Gestapo persuadée qu’il s’agissait d’actes terroristes, enquêtait. Cette sombre histoire se doublait du meurtre d’une jeune starlette, Victoire, maitresse d’un officier du Referat film (service cinéma du ministère allemand de la propagande), que le commissaire Lange, flanqué de son fidèle inspecteur Goujon, devait élucider. A cette occasion, le lecteur assistait sur plusieurs planches au tournage de « L’assassin habite au 21 » de Clouzot dans lequel aurait dû jouer Victoire. Le commissaire Lange y était même repéré par Greven qui voulait l’engager comme premier rôle pour son prochain film en costumes ! On voyait également au cours de l’investigation certains acteurs très populaires, tels Fernandel ou Tino Rossi, se compromettre largement avec l’occupant.
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Si l’on voit de nouveau ces interactions au deuxième tome, avec notamment cette fois le personnage d’Edwige Feuillère qui permet d’évoquer les différentes attitudes des artistes à l’époque (collaboration active ou pragmatisme) ou si le méconnu autodafé du patrimoine du cinéma français par les Allemands y est abordé, ce volume s’intéresse un peu moins au contexte culturel et élargit son analyse de l’époque en évoquant cette fois le recensement obligatoires Juifs, les rafles qui commençaient, ainsi que la persécution des homosexuels et des communistes. Il s’attache principalement au développement des personnages. L’enfance d’Engelbert Lange est révélée et l’on comprend mieux ses relations avec l’inspecteur Goujon et surtout avec ce mystérieux fantôme, Madeleine, dessiné en noir et blanc, coiffé à la Louise Brooks et semblant sortir d’un film muet. Là encore, le cinéma est la clé ! Cet approfondissement des caractères s’effectue au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête qui révèle les coupables et met également à jour les secrets des uns et des autres. Certains personnages annexes dans le premier tome deviennent ainsi essentiels et des détails perçus initialement comme anecdotiques, trouvent tout leur intérêt dans ce deuxième tome : ainsi la « toquade » de Greven pour Lange et son envie d’en faire un acteur constituent un véritable ressort dramatique. Le scénariste relie toutes les intrigues entre elles avec intelligence et nous offre un dénouement à la fois surprenant, convaincant et émouvant. On regrettera cependant que cette résolution des intrigues n’ait pas pu bénéficier d’une pagination un peu plus généreuse car elle semble parfois un peu trop précipitée - surtout dans l’intrigue annexe de la jeune voisine Clotilde et de sa « fille » - mais l’ensemble reste cependant extrêmement maîtrisé et plaisant.
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La qualité du dessin se confirme : le trait semi-réaliste d’Alicia Grande, qui rappelle celui de Jordi Lafebre, est parfait pour les gros plans sur les visages et l’expression des sentiments. La dessinatrice prête toujours autant d’attention aux décors et nous plonge bien dans l’ambiance cinématographique du récit en reconstituant parfaitement les cinémas de campagne improvisés, les grandes salles luxueuses du centre de Paris, les cinémas de quartier ou même une salle de projection privée. Elle réalise également des portraits étonnamment ressemblants des stars de l’époque. Enfin, elle reconstitue minutieusement les voitures, l’architecture, les tenues et coiffures des années 1940. On a du mal à croire qu’il s’agit de sa première incursion en bande dessinée … La très belle mise en lumière de la coloriste Elvire de Cock donne de pleines pages magnifiques sublimées par la somptueuse mise en couleur dans des tons mordorés qui donne un « grain » filmique ainsi qu’une teinte « d’époque » sans tomber dans le sépia attendu.
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Galandon avait déjà rendu un très bel hommage au cinéma dans le diptyque « La Parole du muet » réalisé avec Frédéric Blier. Il nous communique à nouveau son amour du cinéma dans cette série dont le premier tome est sorti juste avant le premier confinement l’année dernière et est resté relativement confidentiel. En espérant que la parution de ce deuxième volet, longtemps reporté, viendra relancer les ventes car il s’agit d’un très beau diptyque à la fois historique, policier et fantastique avec des personnages bien campés et originaux. On se croirait dans un film de Clouzot grâce à ce scénario ciselé et à la mise en scène et au découpage très cinématographiques d’Alicia Grande ! La fin de ce premier cycle est ouverte et l’on aimerait vraiment que le titre du deuxième volume « dernière séance » ne soit pas prémonitoire : il y a en effet matière à de nouvelles histoires du commissaire Lange et de l’inspecteur Goujon et à de nouvelles incursions dans le monde de l’art : sur les traces de Madeleine dans le Hollywood des années 1930 par exemple…
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