"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La fréquence sans exemple du recours au coeur anatomique dans À la recherche du temps perdu permet d'attribuer à Proust la qualification de cardiologue. La masse de l'organe introduit une perception spatiale et fragmentée du corps dont le coeur séparable est l'extrême exemple, et la rougeur du visage la visible correspondance. Les métamorphoses de l'espace projeté autour du thorax n'ont que l'apparence de l'irrationnel : tout un système signalétique travaille un corps autonome, opacifié à dessein. Au coeur qui s'y dissimule, répond l'analogie fonctionnelle des fluides vitaux, air et sang, déplacés par le jeu d'un mouvement périodique. Les intermittences, imperfections de cette périodicité, témoignent d'une vision anticipatrice de la nature probabiliste du fonctionnement du vivant. L'échange permanent des molécules constitutives de ces fluides ou la mise en relation de la ventilation pulmonaire et du sommeil témoignent d'une intuition biologique sans précédent. L'oeuvre est parcourue d'une pensée de la biologie et d'une pensée de l'Être dans la biologie, sans comparaison dans le monde littéraire : il n'est de pensée qu'au sein du vivant, et le vivant doté de cette pensée est le produit de la transmission du substrat génétique dans le temps.
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