80 ans après, il est toujours essentiel de faire comprendre cet événement aux plus jeunes
« Étant enfant, Polyte une fois s'était cassé un piquant d'oursin dans le doigt ; ni les cataplasmes de gingembre, ni les emplâtres de vers de terre pilés, rien n'avait pu faire sortir la fine pointe barbelée... Et pendant bien des mois, il avait connu cette sensation cuisante d'un élancement subit qui vous larde la chair, sans avertissement, sans raison... Il semble à Polyte qu'il a maintenant un piquant d'oursin dans le coeur. » Hippolyte Lavictoire dit Polyte a navigué sur toutes les mers du monde : il a connu les péniches, les chasse-marées, les goélettes, les longs courriers. Mais après trente-six ans d'aventures et de tempêtes, il ne peut résister à l'appel de la terre, sa terre : deux arpents de glèbe pierreuse, un chétif domaine, que son père et ses pères avant lui lui ont transmis et qu'il ne peut se résoudre à abandonner. Alors ce coeur farouche, asséché par la dureté d'une vie en mer, s'ancre pour la première fois : il trouve une jeune épouse, Rebecca Sansdésir, des occupations quotidiennes, et surtout il guette l'arrivée de l'enfant, l'héritier qui sauvera son maigre bien et transmettra sa mémoire. Mais l'enfant ne vient pas et l'attente de Polyte devient tourment, doute, colère. Et quand six ans plus tard survient enfin l'heureux événement, il est trop tard. La suspicion, la jalousie et le désir de vengeance se sont emparés du coeur farouche de Polyte. Il est devenu ce monstre implacable, qui broie lentement les siens et s'enferme dans le cachot de la haine qu'il crée lui-même de toutes pièces. Polyte est bien le héros de cette tragédie superbe, un héros terrible mais qui nous fascine aussi par ses chimères vaines et fragiles comme l'écume, par sa verve fine jusqu'à la rouerie, qui touche à la poésie, à la magie.
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