"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le troisième roman d'un surdoué de la littérature. Olivier Bruneau nous donne un roman cette fois-ci d'une sobriété radicale.
Pharmakon nous plonge dans une contrée jamais nommée, semi désertique. Un mercenaire, en proie aux doutes et à une veillée sans fin, est à l'affût de rebelles insaisissables et d'un sommeil impossible à trouver.
Isolés dans un pays déchiré par la guerre, retranchés dans leur camp, des mercenaires au service d'une entreprise privée ont pour mission de protéger une raffinerie de pétrole. L'un d'eux, tireur d'élite, reçoit un traitement expérimental qui doit lui permettre de rester sans sommeil plusieurs jours et nuits d'affilée, afin d'optimiser ses performances. Soumis à la solitude de cet état de veille artificiel, et à la menace fantôme d'ennemis toujours cachés, il vit contre la nuit, dans un paysage de plus en plus hypnotique, et une tension toujours plus dense.
Quand Olivier Bruneau joue avec nos obsessions et la littérature, cela donne des choses toujours étonnantes. Lorsqu'il décide d'aborder notre rapport au sexe, il conçoit un pastiche fou, qui amuse les critiques les plus féroces :
Dirty Sexy Valley (2017). Lorsqu'il interroge notre rapport aux intelligences artificielles et à l'amour, il change de genre et imagine un roman SF, finaliste du prix des Utopiales :
Esther (2020). Et lorsque, pour son troisième livre, il s'inquiète de nos obsessions pour la performance et nos nuits sans sommeil, il change encore de registre et écrit Pharmakon, roman d'une épure littéraire radicale.
3 livres, 3 mondes, 3 écritures : 1 auteur à découvrir.
C'est plutôt rare chez moi que d'acheter un roman pour sa couverture lors d'une déambulation dans ma librairie habituelle. L'illustration de l'artiste lituanienne Natalie Levkovska m'a fascinée, son trait de crayon simple et évocateur, cet homme mystérieux dont on n'entrevoit pas le visage, juste le corps repu, la nuque offerte aux regards. Et puis la ligne éditoriale de la maison d'édition le Tripode ne m'a jamais déçue, avec des auteurs comme Bérangère Cournut, Olivier Mak-Bouchard ou Dimitri Rouchon-Borie.
Et bien bonne pioche avec ce roman court très singulier qui distille une atmosphère légèrement dystopique, en tout cas cauchemardesque, très réussie.
Et ce dès la première phrase, surprenante : « Y a pas plus beaux paysages que ceux de pays en guerre » nous interpelle le narrateur en décrivant de façon très poétique le paysage qui l'entoure à travers la croix du viseur de son arme. C'est un mercenaire d'un groupe type Wagner, sniper surdoué chargé de surveiller une raffinerie de pétrole, quelque part au Moyen-Orient, contre des ennemis menaçants mais souvent invisibles. C'est aussi un cobaye qui teste une traitement expérimental lui permettant de ne pas dormir. Ou le sommeil rendu obsolète par la technologie.
Derrière la routine de la vie du soldat dans l'attente des attaques sporadiques de l'ennemi, derrière la crudité des mots pour dire les traumatismes de chacun ou la violence larvée de ce mode de vie, banales, monte une étrange tension avec ce narrateur shooté aux amphétamines. D'autant plus en plus forte, qu'il est en proie à des hallucinations. L'écriture d'Olivier Bruneau est suffisamment précise et évocatrice pour électriser le lecteur, totalement happée par l'imprévisibilité à venir. On colle au sniper, à ces sens suraiguisés par la drogue prise, il ressent tout de façon trop intense, les sons, les odeurs ; tout l'attaque et l'agresse, jusqu'à l'usure mentale dévastatrice. Jusqu'à devenir fou.
Et puis il y a ces treize dernières pages qui ramènent le lecteur dans la société civile, ou plutôt dans une ville à la fois très contemporaine futuriste, une ville qui ne dort jamais au sens premier du terme, une ville sans nuit. Un cauchemar où la lutte des classes se joue autour du sommeil. Cet ultime chapitre est la clé pour comprendre tout ce qui a précédé. A l'image de ce drôle de titre avec son double sens étymologique. Le« pharmakon » en grec, c'est le bouc-émissaire, la victime expiatoire qui permet de purger le mal de la cité, c'est à la fois celui qui soulage, le remède, mais c'est aussi le poison qui envenime … ce qui permet une très intelligente double lecture de tout le roman, à rebours de la première impression.
Définitivement troublant.
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