"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quand, chaque matin, tu te levais sans rechigner pour te coucher, chaque nuit, sans soupirer, tu te brisais ; tu perdais les étincelles qui avaient forgé tes rêves. Et ce, dans l'espoir que tes enfants puissent atteindre un environnement social qui t'était inaccessible. Tu t'acharnais à vouloir leur bâtir la vie que tu aurais désiré avoir. Tu te donnais du mal pour leur offrir une éducation différente de celle qui avait été la tienne, au moyen d'un travail qui t'asservissait. Tu sais, je déteste l'argent qui t'a dominé. Je le hais davantage depuis que j'en ai. À présent que je me trouve là où tu as toujours souhaité que je sois, l'existence est devenue d'un ennui ! La petite bourgeoisie est un milieu fastidieux, oui. J'aurais aimé que tu le saches. Voici le portrait d'un père, émigré kurde venu s'établir dans les corons belges. Des champs de coton d'Anatolie aux chantiers de construction en Europe, en passant par la petite épicerie familiale et les vacances au pays, les souvenirs de ce père et de sa fille se confondent et se répondent. D'une émotion rare, qui séduit par son élégance, sa pudeur et sa noblesse, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi parvient à personnifier la bonté et à donner chair à la dignité.
Cela commence par un vertige, suscité par une relation ambiguë avec les personnages : le tutoiement crée un flou et le voile se lèvera plus tard, lorsque le « je » sera identifié.
En fait, et pour résoudre cette question, le personnage à qui la narratrice s’adresse est son père, dont elle imagine dans un premier temps, peut-être au gré des histoires familiales rapportées, l’enfance dans le pays natal, l’école quittée à regret, pour travailler dans les champs de coton, les soeurs que l’on marie selon la tradition, mais aussi la maladie du père, qui ne sera pas soignée, le condamnant à une mort rapide.
Viendront le départ pour la France, les travaux pénibles puis les souvenirs communs de la petite fille, totalement fascinée par ce père élevé au rang de héros. Cette idéalisation ne quittera jamais la narratrice.
C’est un amour, sans concession, éternel et irrévocable, que nous confie la narratrice et sans doute pour une part non négligeable l’autrice. C’est aussi le parcours rude d’une famille pauvre, appartenant à une ethnie exposée à la haine aveugle. L’immigration est à peine un choix, et à nouveau les années galère, les emplois précaires et usants, puis l’amour d’une famille, et le lien distendu mais tenace avec le pays originel.
Ce chant d’amour est suffisamment sincère pour oublier l ‘écueil de cet artifice qui consiste à tutoyer un personnage, qui nécessite toujours un temps d’adaptation pour se repérer.
247 pages Viviane Hamy 17 Août 2022
https://leslivresdejoelle.blogspot.com/2022/09/petite-je-disais-que-je-voulais-me.html
Le père de la narratrice a quitté ses montagnes comme il l'avait promis à son propre père, il a abandonné les champs de coton d'Anatolie pour s'installer dans les corons belges et travailler sur des chantiers de construction.
Les souvenirs de ce père, émigré kurde, et de sa fille se répondent.
A travers ses souvenirs et ceux de son père qui se mêlent parfois, l'auteure retrace l'histoire de son père et brosse son portrait mais elle relate surtout son amour immodéré pour cet homme qu'elle magnifie certainement et dont la bonté, le courage et la dignité m'ont émue. L'écriture est très belle et le début très prometteur mais cet amour inconditionnel et exclusif qui écarte tous les autres, ce besoin égocentrique d'être regardée par lui et d'être tout pour lui ont fini par me déranger d'autant que les souvenirs qu'elle raconte sont souvent non datés, on ne sait donc jamais si elle parle de lui avec des yeux de petite fille ou de jeune femme.
Le récit tourne en rond autour de cette adoration, voire cette idolâtrie, et nous enferme dans une histoire assez étouffante qui écrase les nombreux thèmes intéressants abordés : le manque de prise sur son propre avenir qui est très souvent entre les mains des parents, l'abandon de tout rêve, l'asservissement dans le travail, le désir d'ascension sociale, le poids des attentes familiales. Mehtap Teke montre que, comme son père mais d'une façon différente, elle a aussi dû s'adapter aux ambitions que son père avait pour elle. "Tu aurais mérité de concrétiser tes rêves. C'est pour cela qu'à mon tour, je me suis engagée à perpétuer tes ambitions; à les assimiler et à les faire devenir réalité, même s'il faut, pour cela, feindre qu'elles sont miennes."
Malgré ces réserves, je lirai avec plaisir le prochain roman de Mehtap Teke car j'ai été séduite par son écriture.
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