"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Souvenirs d'enfance et rages du moment ; visites dans des restaurants fameux ou oubliés ; odes à l'andouillette, la nèfle, le sablé à la confiture, la figue, les vins du Rhône, les Haribo ; tête de veau et Kinder ; déjeuners de conféries aussi secrètes que savoureuses ; critiques gastronomiques plus ou moins fréquentables, ogres, poètes et cannibales...
Il y a tout cela, et bien plus, dans l'arborescence mémorielle et gourmande de Nicolas d'Estienne d'Orves. Le tout saupoudré de colère, de coups de sang, d'images parfois lointaines, d'une foi qui sait être mauvaise et d'un amour sincère, réel, jamais repu, pour les joies de la gueule.
Si la gourmandise est universelle, le goût est singulier. Aujourd'hui, celui de « NEO » vous invite à sa table et vous souhaite bon appétit.
Critique issue du blog : https://hanaebookreviews.wordpress.com/2021/04/07/petit-eloge-de-la-gourmandise-nicolas-destienne-dorves/
Peut-on se rassasier par le fumet des mots ? Diffusent-ils un parfum si puissant qu’ils permettent de goûter sans pourtant mastiquer ? A défaut de me remplir la panse, j’ai nourri mon esprit en savourant les lignes, en picorant l’humour et en imaginant les mets fumants ou dégoulinants.
Car l’humidité suintante et odorante exsude à travers les lignes. Si les amateurs de rognons, cervelles et andouillettes ne sont plus à conquérir, Néo règne à relever la tripe d’une poésie ragoutante.
Pour convaincre les plus sceptiques, voyez comme quelques secondes suffisent à faire du mot « moist » (humide) un délice affriolant (Winston And Coach Have A Baking Duel | Saison 3 Ep. 13 – Série New Girl). De la même manière, Neo tourne la tripaille en un festin alléchant : le gras, le maturé, la viande qui « sent le zizi » excitent les zygomatiques et avivent les palais curieux.
Le verbe fait saliver, les souvenirs sont drôles ou émouvants et les réflexions fines comme une pincée de fleur de sel relève un chocolat croquant.
Mais ce petit éloge cache bien plus qu’une ode à la bonne chair et bien que paré de rouge-sang, c’est son titre qui annonce la couleur : l’essentiel est la gourmandise.
On évince donc la gastronomie que Le Larousse désigne comme la « connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets ». Ces termes réglés et raisonnés rappellent une science, un savoir ou une adresse qui se travaille, sans jamais évoquer le plaisir du gourmand…
Or la Gourmandise parle à tout le monde – terme bien plus relevé que la gastronomie, on lit qu’elle est « universelle », mais que « le goût, [lui] est singulier ».
Le Goût a la magie des odeurs ; il nous fait revivre des états, des lieux, des souvenirs ou des saisons.
Comme la cuisine suscite des émotions, Neo raconte ses souvenirs d’enfance, ses plaisirs coupables comme les Haribos ou le MC Fleury – ou sa fierté de père lorsque ses fils trempent leurs museaux dans une tête de veau. On devine que les souvenirs gustatifs de la descendance auront un parfum commun avec ceux du père.
Ce que j’aime le plus avec la cuisine c’est la magie qu’elle a de nous étonner. Comment un macaron chocolat foie gras peut-il être aussi doux (Pierre Hermé) ? Qui a eu l’audace de marier la poire avec le roquefort ? A combien d’entre vous est-il arrivé de penser « beuuurk » avant de goûter, avaler puis faire jaillir un « Mmmmmh ».
Neo écrit dans cette veine. Répugnant et ragoutant s’équilibrent d’une juste dose d’humour. On lit un passage aux souvenirs doux, la page se tourne, toute bienséance est oubliée puis l’auteur fustige avec finesse, en faisant l’éloge de l’autre (« Moissonier n’est plus, remplacé par une boulangerie hérissée de tous les labels bios. Nous lui souhaitons bonne chance mais la tendance ne remplace jamais la poésie »)
Après La Dévoration, qui aurait l’audace d’associer le cannibalisme à une forme de raffinement sauvage ? (« forme la plus absolue du raffinement, le degré ultime de l’humanité, de la civilisation ? Le viol le plus subtil : s’approprier l’autre de la façon la moins anodine, comme les chrétiens mangent leur dieu. », ou l’affaire Sagawa « ce constant va-et-vient entre l’élégance et la sauvagerie, la lumière et les ténèbres, l’humour et la bétise. »)
L’auteur s’intéresse à ce qui provoque. Il s’interroge ; une chose qui répugne a quelque chose de fascinant, a minima curieux : « la tripe exhale un parfum de scandale » ou il n’existe pas de consensus lorsqu’on évoque l’andouillette. Pourquoi ? « A bien y regarder un rôti n’évoque rien d’autre qu’un repas en puissance. Chez les abats, la métaphore est plus tortueuse. La viande banale nous annonce ce qu’elle sera, les abats nous rappellent ce qu’ils furent. »
Il arrive que le lecteur pousse des « eww » intérieur. Puis le nez renifle, le palet goûte, l’esprit tâtonne et le gosier en redemande.
Comme un trou normand, arrivent une anecdote grillée, un souvenir d’enfance ou un bonbon Haribo : le lecteur devient curieux, se transforme en goûte-à-tout. Enfin on adhère. On a envie de goûter et on finirait presque avec un goût de trop peu.
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