"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une fresque haletante dans la Bulgarie des années cinquante. Un groupe d'amis, ingénieurs et architectes, travaille à la construction d'une usine qui devra être le symbole de la modernité du pays. L'histoire commence quand le groupe part pour un échange en Allemagne de l'Est, fleuron industriel du bloc communiste. Parmi eux, Theodor, étroitement surveillé par le régime, se lie d'amitié avec Emil, fils d'un artiste allemand dont l'oeuvre est désormais interdite car jugée subversive. À son retour, Theodor est arrêté sans raison et déporté à Béléné, l'un des plus terribles camps du pays... Zinaïda Polimenova signe un roman poignant sur l'arbitraire du régime communiste bulgare et son absurdité technocratique. A l'origine du livre, un album de photographies anonymes, chiné aux puces de Sofia qui semble documenter un voyage professionnel ou syndical en RDA, un échange entre deux délégations communistes. A partir des photographies de ces hommes et femmes souriants, elle imagine quelle aurait pu être la « véritable » histoire de ce voyage, en-deçà et au-delà des apparences pour retracer l'histoire de son pays dans les plus dures années du totalitarisme.
Sur les photos en noir et blanc, l’ambiance semble légère, les sourires des uns, les rires des autres. Mais que cache ces photos ?
Impossible de le savoir mais Zinaïda Polimenova comble les vides avec ce récit.
Ce groupe c’est celui d’un cercle de collègues et amis ingénieurs bulgares, envoyé en Allemagne de l’Est pour peaufiner leurs techniques auprès de leurs homologues allemands en vue de la construction d’une usine de sirop de pêche.
Il y a Theodor, Anka, Ilynda, Nikola, Pavel… Ils illustrent la pluralité de la société bulgare : certains sont enfants de paysons, d’autres enfants des nouveaux chefs du pays.
Car oui, les russes ont libéré la Bulgarie de l’occupation nazie mais les bulgares réalisent que tout n’est pas si simple. Le joug de fer soviétique étend son ombre sur ce pays…
Ce roman est un coup de cœur. Il décrit avec acuité la façon dont les gens perçoivent, au quotidien, la dictature, comment les nouvelles règles apparaissent arbitrairement, comment la liberté s’étouffe au fil des disparitions.
Le roman est fort, à l’image de son titre qui illustre la solitude de l’individu, ce qui constitue son identité la plus irréductible mais aussi ce noyau social, les gens qui sont là pour nous arracher à un sort funeste.
La plume de l’autrice est belle et dense, poétique, sombre et lumineuse.
Ce roman rend hommage à tous les bulgares qui ont été internés dans le camp de Béléné pour que leur mémoire continue de résonner, pour que face à des photos souriantes, le lecteur cherche à découvrir si la réalité était aussi belle ou si tout n’avait pas été orchestré.
Je ne peux pas finir cette chronique sans saluer le travail éditorial réalisé, le livre est magnifique et très soigné. Bref, si vous ne connaissez pas cette maison d’édition ou cette autrice, ce livre est l’occasion idéal d’y remédier !
Anka "sait à partir de maintenant, il y aura cette dissociation, le moi qui vit et le moi qui a peur, le moi en mouvement et le moi paralysé de frayeur ". (p.112)
J'espère que les futurs lecteurs de la médiathéque seront aussi sensibles que moi aux destins de ces jeunes bulgares des années 50 sous l'ère communiste.
Teodor, Ankara, Nikola, Pavel, Néda, Ilynda ... sont jeunes, amoureux, travaillent, sortent, voyagent mais toujours sous la surveillance de cet Œil. Ce Il communiste qui épie leurs moindres faits et gestes.
Tout doit être conforme !
Adhérez aux idées Camarades !
Rentrez dans les cases Camarades !
N'omettez pas d'objection Camarades !
Ecartez vous du chemin Camarades et vous subirez "les camps de concentration conçu dans l'intérêt du peuple, afin de le nettoyer de ses éléments les plus dangereux, de ses déchets, comme on leur a dit." (p.117)
Un roman étouffant qui provoque l'envie incontrôlable de respirer le grand air et de savourer sa Liberté!
L’écriture si poétique, vertigineuse, est le contre-feu de ce récit poignant qui traque le réel et pourvoit à la mémoire vive, avec une lucidité sans failles et un rythme politique qui ne lâche rien.
Zinaïda Polimenova est bulgare. Elle conte ici, ce qui fut de son pays en 1952 à Sofia et jusqu’aux cartographies inoubliables.
Elle rassemble l’épars, d’un plus que plausible. ZinaIda Polimenova a trouvé en chinant, un album de photos anonymes. Le hasard n’est pas. Le regard observe et la main acte l’exutoire. Elle prononce « Nucléus », cette épopée politico-prodigieuse.
La méticulosité d’une autrice sublime et touchée en plein cœur, qui donne naissance à un chef-d’œuvre. Une épopée essentielle, solidaire et charnelle. Elle reformule les battements de vérité dans un langage indépassable. Quasi sacré, car la résurgence acte ce grand livre qui vient témoigner à la barre de l’inoubliable. Puisqu’ici, il s’agit des siens, les habitants d’une Bulgarie ployée sous les affres. De nous, puisque c’est ensemble que les pages se tournent. L’union et la complicité.
« Le soir chaud enveloppe de fraîcheur / la mère se lève / le spectre doux pour fermer la fenêtre sur rue. »
Le totalitarisme est prégnant. La Bulgarie est communiste. Une dictature sournoise qui fait la chasse aux subversifs, aux anarchistes, aux intellectuels, aux ennemis d’une pensée contraire. « Nucléus » fait un zoom sur des jeunes gens, ingénieurs, architectes. Ils travaillent pour élaborer une nouvelle usine.
« Comme prévu. Le projet a été accepté. On part pour deux semaines. Sofia -Berlin – Heningsdorf, en avion, en bus, en bateau. » « L’échange est avant tout une question de solidarité. Les mondes communistes sont faits pour se rencontrer. » « La capitale est en pleine effervescence dit Müller, vous allez plonger dans le chantier de la Stalinallee. »
L’Allemagne de l’Est, les visages fermés, ce groupe d’amis soudés. Et dans cette lignée réaliste, inconditionnelle d’une amitié. L’impulsion de la prudence à chaque pas. Sauf que Theodor est surveillé. Les angles portent les ombres assassines. Il ne le sait pas. Il s’est lié d’amitié avec Emil, fils d’un artiste réputé, dont l’œuvre est censurée.
« Les habitants sont pliés, accablés. L’effet de l’architecture stalinienne, c’est ça, pensent-ils sans le dire. Le résultat est au rendez-vous. »
Emil veut sauver l’œuvre de son père décédé au front. Il a dissimulé « la précarité merveilleuse de l’image », des dessins dans des bocaux dans le sombre d’une cave. Theodor va acter le scellement. Les emmener dans une valise. Les protéger avec des vieux vêtements, quitter ce lieu. Se dire que dans de nombreuses années, il reviendra les chercher. Lorsque la liberté sera enfin au seuil de la Bulgarie. Il est piégé et arrêté. Le bouc-émissaire, un de plus sur la liste du tirage au sort. Emprisonné à Béléné dans un camp de concentration. Le travail forcé, la faim et la soif et les amis qui n’oublient pas.
« Nous savons que vous avez rapporté d’Allemagne et distribué ici du matériel de propagande antigouvernementale contre le comité central. »
Theodor ne dit rien.
« On est des bêtes, c’est l’odeur du danger. Ce charnier à ciel ouvert, cet enfer, c’est le camp de concentration de Béléné. Theodor sent son deuxième corps scintiller. »
le mal en puissance, l’immensité des engloutis, les barbelés armures, le monde en mal. Les amis règnent et se souviennent dans chacune des minutes de chaque heure de Theodor.
C’est ici, la jachère fleurie, la résistance, la vertueuse concorde qui apaise de loin Theodor. « Nucléus » le déroulé de l’Histoire et celle d’une miraculeuse amitié.
À la page 148, règne le secret de « Nucléus ». Il faut apprendre par cœur ce passage qui reformule la mission de la vie et de ses destinées. L’invisibilité comme une œuvre entre nos mains. La résistance et le génie littéraire.
Après « Eremia et Vertige de l’eau » Zinaïda Polimenova signe le renom et un devoir de mémoire incommensurable. Également publié aux majeures Éditions du Chemin de fer.
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