"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Pour une banale histoire de bouteille introduite illicitement dans son restaurant, le jeune Alexandre Romani poignarde Alban Genevey au milieu d'une foule de touristes massés sur un port corse. Alban, étudiant dont les parents possèdent une résidence secondaire sur l'île, connaît son agresseur depuis l'enfance.
Dès lors, le narrateur, intimement lié aux Romani, remonte - comme on remonterait un fleuve et ses affluents - la ligne de vie des p rotagonistes et dessine les contours d'une dynastie de la bêtise et de la médiocrité.
Sur un fil tragicomique, dans une langue vibrante aux accents corrosifs, Jérôme Ferrari sonde la violence, saisit la douloureuse déception de n'être que soi-même et inaugure, avec la thématique du tourisme intensif, une réflexion nourrie sur l'altérité. Sur ce qui, dès le premier pas posé sur le rivage, corrompt la terre et le coeur des hommes.
Ce roman paru lors de la rentrée littéraire du mois d’aout, me faisait de l’œil. Il se passe en Corse. Un jeune insulaire poignarde un estivant qu’il connait depuis toujours, pour une banale histoire de désaccord sur le prix d’une bouteille de vin.
Derrière ce qui pourrait être un simple fait divers, Jérome Ferrari nous dépeint les habitants de cette île, confrontés à la masse de touristes débarquant sur leur île. Il condamne la violence érigée comme héritage de générations en générations.
L’auteur mélange les époques, les voix, les personnages, les styles pour nous mettre face aux résultats de la colonisation, face aux différences qui perdurent depuis des siècles.
Un roman très travaillé qui m’a beaucoup plu pour son ton tragi-comique, pour la façon qu’a l’auteur de balader son lecteur sans jamais le perdre, et en le poussant toujours plus loin dans une réflexion sous-jacente.
Laissez-vous porter dans ce voyage de 140 pages qui vous mènera au cœur des dégâts du tourisme, et de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Alexandre poignarde Alban. De cette tragédie , Jérôme Ferrari nous embarque dans deux dynasties de médiocres qui vont conduire les deux protagonistes au fait dramatique énoncé plus haut. Un style mordant et ironique, des phrases parfois un peu alambiquées, un roman assez court qui demande un petit effort de concentration à la lecture. Bien mais pas inoubliable…
En dépit du titre, Jérôme Ferrari ne nous emmène pas dans le golfe du Bengale, sur l’île de North Sentinel que ses habitants protègent du monde en accueillant les intrus de leurs flèches et de leurs lances, mais sur un bout de terre qui, s’il se garde de le nommer, n’en évoque pas moins clairement la Corse à laquelle il est si attaché.
Un soir d’août, pour une ridicule histoire de bouteille de vin, un jeune restaurateur poignarde un estivant dans une station balnéaire bondée de touristes. C’est un parent du meurtrier qui relate l’épisode du haut de son aigre condescendance pour cet homme, à ses yeux produit typiquement imbécile de ces anciennes lignées corses aussi fières qu’indolentes qui, dépendant jusqu’ici du banditisme, ne sont que trop heureuses de voir affluer l’argent facile tombé des poches de hordes touristiques, en vérité consternantes de médiocrité consumériste.
Le ton est donné. Satire frôlant parfois la farce, la narration noire et grinçante s’emploie alors à disséquer le destin des deux hommes, victime et meurtrier liés depuis l’enfance et incarnant chacun une face de l’Ile de Beauté : d’un côté les Corses territoriaux, à peine sortis de ce qui paraît leur féodalité clanique, paresseusement tombés dans la dépendance de la manne touristique ; de l’autre, les étrangers qui, déferlant périodiquement en pillards uniquement préoccupés de leur plaisir instantané, s’avèrent les nouveaux acteurs d’un colonialisme contemporain. Mêlant les époques et les registres, du roman policier au conte en passant par un soupçon de merveilleux, l’histoire éclaire peu à peu la violence corse d’un jour nouveau, irrémédiablement tragique.
Etendant la moquerie jusqu’à la tonalité volontiers pompeuse de ses très longues phrases et jusqu’à la hauteur outrée et provocatrice, pleine d’une amertume critique et contemptrice, de son narrateur, l’auteur se sert de ce personnage érigé en commentateur de tragédie grecque pour élargir le champ autour de son histoire – insularité face à intrusion étrangère – et poser au sens large la question de notre rapport à l’altérité. Si bien construit et écrit que cela soit, l’on pourra rester décontenancé par la réponse suggérée, extrêmement pessimiste puisque prônant l’isolationnisme et le repli sur soi. Même sous couvert d’humour, ce radicalisme que l’on aurait pu, peut-être, mieux comprendre en pensant par exemple aux Kawésqars de la Terre de Feu évoqués par Jean Raspail dans Qui se souvient des hommes, reste plus difficile à concevoir à propos des Corses…
Superbement maîtrisé quant à sa forme, un roman dont on ne sait, sur le fond, s'il faut le prendre pour du lard ou du cochon, tant il brouille la frontière entre outrance humoristique et pessimisme avéré.
"Le premier qui pose le pied sur le rivage, fût-il animé des intentions les plus pacifiques et les plus louables, fût-il le saint, fût-il le sauveur du monde en personne, il faudrait le tuer, lui et tous ceux qui l'accompagnent, sans distinction d'âge ou de sexe. » peut-on lire au tout début du dernier roman de Jérôme Ferrari, auteur des magnifiques « Où j'ai laissé mon âme » et du « Sermon sur la chute de Rome » pour lequel il reçut le prix Goncourt en 2012.
Avec cette affirmation péremptoire, l'auteur évoque non seulement le colonialisme et ses conséquences pour les populations indigènes mais aussi le tourisme de masse.
Le récit se déroule sur une île qui, même si elle n'est jamais nommée, ressemble à la Corse, et gravite autour de la tentative d'assassinat, pour une broutille, d'Alban Genevey, un jeune continental dont la famille possède une résidence secondaire proche de la mer, par Alexandre Romani, rejeton d'une longue lignée d'autochtones.
Catalina, mère du tueur, reproche au narrateur qui est son cousin, d'avoir encouragé ce passage à l'acte par son apologie du meurtre.
Ce geste ne s'inscrit-il pas plutôt dans une longue tradition familiale de délinquance dont Jérôme Ferrari retrace la généalogie ?
« Race élue de seigneurs » comme il se revendique, le clan Romani est dans la réalité un ramassis de voyous.
Pierre-Marie, l'arrière-grand-oncle d'Alexandre, sema la terreur dans toute la région en rançonnant allègrement les habitants. Quant à son arrière-grand-père, il se lança dans le proxénétisme... On est bien loin de l'honneur revendiqué comme un mantra.
Puis, la « folie collective » s'empara « d'abrutis extatiques » avides de se laisser rôtir sur les plages, alors que les locaux les fuyaient en se retranchant dans les montagnes plus fraîches.
Philippe Romani, père d'Alexandre et plus malin que ses aïeux, sut saisir la manne touristique en retapant des bergeries désaffectées, en installant une paillote sur la plage, en ouvrant un magasin de souvenirs, un restaurant...
Son fils n'a pas les mêmes capacités d'entrepreneur, ce qui ne l'empêche pas de mépriser ceux qui ne font pas partie de la lignée Romani, y compris le narrateur qui, de retour sur l'île après dix ans d'absence, devient son professeur. « Le gosse était complètement con » assure-t-il.
Pour surfer sur le besoin de nature et d'authenticité des villégiateurs, les autochtones se muèrent en passeurs de traditions et en bêtes de foire. En dépit de l'animosité qu'ils ressentent à l'égard des envahisseurs. Mais le business, c'est le business.
Premier opus d'une trilogie, « Nord sentinelle » décrit, avec un humour noir décapant, la transmission de la violence sur fond de tourisme de masse qui fait « régner partout la laideur et la tristesse».
Le style, toujours très travaillé et métaphorique, balance entre les registres littéraire et prosaïque.
C'est puissant et virtuose.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-nord-sentinelle-jerome-ferrari-actes-sud/
L’inde : son fleuve, ses moines, sa capitale polluée, et son île de North Sentinel. Sur cette île, ses habitants ne laissent personne s’approcher.
Je me demandais pourquoi l’auteur avait choisi ce titre pour son roman. Est-ce un roman, d’ailleurs ? Je le vois plutôt comme un agrégat de récits et de réflexion autour de la Corse, ses habitants, et du tourisme.
Le personnage d’Alexandre m’a fait presque rire jusqu’à la catastrophe.
J’ai aimé suivre le personnage de Shirin et le conte du Djinn.
L’histoire de team building m’a faite sourire et j’ai eu de la peine pour cette team emmenée par sa manageuse hyperactive.
J’ai été horrifiée par celle de l’enquêtrice qui ne voulait rien savoir des mobiles des crimes, souvent futiles.
Sa très brève théorie de l’enfer ne m’a pas convaincue.
Tout au long de ma lecture, je me demandais où voulait en venir l’auteur. C’est en lisant la table en fin de volume que j’ai compris.
Malheureusement, je pense que cette lecture ne me marquera pas longtemps.
L’image que je retiendrai :
Celle du narrateur obligé de faire cours de philo à son seul élève de terminal, obligé dêtre présent à cause de son bracelet électronique.
https://www.alexmotamots.fr/nord-sentinelle-jerome-ferrari/
Une écriture et un style difficiles à suivre..Malgré tout j'ai réussi à terminer la lecture sans enthousiasme ni intérêt...
Un brin d’histoire de la Corse d’hier et d’aujourd’hui.
Je ne me rappelais plus du style d’écriture de Jérôme Ferrari, de ces phrases si longues mais oh! combien précises et évocatrices de tout ce qui défile et s’est imprimé dans la tête de l’auteur. Avec ses longues et élancée phrases ‘’proustiennes’’ - si je puis me permette la comparaison - il dessine, fait et refait les contours de ce qu’il voit, de ce qu’il tient à partager avec le lecteur. Le résultat donne à la fois une impression de vigueur, de robustesse mais aussi de grande finesse. On n’y échappe pas, on plonge et on déguste.
L’histoire elle, est un prétexte pour Jérôme Ferrari pour nous parler de cette magnifique île française qu’est la Corse. Ses descriptions ont eu comme un parfum de nouveauté pour moi qui pourtant y aie déjà été plusieurs fois. Il colorie. Il se projette dans les paysages. C’est d’ailleurs là que ses longues phrases ont tout leur intérêt, pour ne pas dire attrait.
L’histoire lui permet aussi de pointer sérieusement les voyages en avion et les dégâts engendrés par le tourisme de masse.
Que 140 petites pages diront certains ! J’ajoute sans hésitation, 140 belles pages dont chacune a son intérêt et sa part de puissance structurelle. Cet écrivain a bel et bien une « patte » perso. Je la décèle de plus en plus ; je la comprends de mieux en mieux.
Je ne pense pas qu’il soit intéressant d’en écrire davantage sur l’histoire afin de laisser l’esprit du futur lecteur se promener librement sur cette île.
Une citation qui malgré le fait qu’elle soit une attaque, n’en est pas moins parfaite :
« Ils parlent fort, ils sont laids - car rien ne rend plus manifeste la laideur humaine que la chaude lumière d'été -, ils sont pathologiquement désinhibés, comme si le simple fait d'être en vacances produisait chez eux les effets d'une lésion cérébrale, ils sont grossiers, ils se prennent constamment en photo les uns les autres, ils s'adonnent aux moments les plus inopportuns à la pratique impardonnable du selfie, pratique aggravée de surcroît par l'utilisation d'une grotesque perche télescopique sur laquelle il faudrait les empaler avant d'exposer leurs dépouilles à la vue de tous, aux quatre points cardinaux, en guise d'avertissement solennel adressé à leurs congénères, ils sont innombrables et invincibles et à l'heure où je les vois déambuler dans les ruelles de la haute ville ou prendre le chemin du port, je sais bien que leurs armées victorieuses ont envahi le reste du monde, ils avancent en colonnes compactes dans les rues de Dubrovnik, ils se pressent sur la place du Duomo, à Milan, à Sienne et à Florence, autour de la tholos de Delphes, dans le sanctuaire d'Athéna, alors que les dieux anciens et nouveaux, désormais impuissants, n'ont plus rien à leur opposer qu'un éternel silence, ils pique-niquent dans les pinèdes, pissent dans l'Adriatique, dans les ondes pures des lacs et des torrents, au bord des routes et contre les colonnes des temples, ils se prennent en photo, encore et toujours, dans les allées du Perga mon à Berlin, devant la blonde Vénus surgie des eaux. ils montent en riant niaisement sur des plots de ciment, à dix mètres les uns des autres, faisant mine tous en même temps de tenir la grande pyramide du bout des doigts, dans la cour du Louvre, ou de soutenir la tour de Pise, suscitant le long de leur chemin triomphal l'apparition d'entités conceptuelles aberrantes - hospitalité tarifée, vision aveugle, repos frénétique ou individualisme grégaire - oh, comme ils sont loin, les verts paradis du sens et de la vérité ! »
Ou encore : « On raconte aussi que , très loin au nord, dans une contrée de forêts profondes et de plaines fertiles, au terme d’un joyeux repas de famille, deux frères se disputèrent pour une raison que nul ne connut jamais. A l’heure où le soleil de printemps se couchait sur les blés murs, une toute jeune Séverine Boghossian pénétrait dans la propriété avec les membres de la brigade recherches au sein de laquelle elle venait d’être affectée. »
Ce court roman en quatre parties raconte la violence individuelle et la manière dont elle imprègne une famille. Les Romani, de Pierre-Marie à Alban, ont brillé sur l’île de Beauté par leurs gestes de violence. Des gestes, pas des actes. Car il n’y aucune tragédie puissante et profonde mais juste l’envie d’être sur le devant de la scène, d’avoir le dernier mot par la violence. Le narrateur, proche de cette famille – jusqu’au dégoût -, connaît l’histoire de certains hommes qui ont usé de leur pouvoir pour s’enrichir et s’imposer. Mais ils n’ont pas le sens des affaires ni aucune perspective politique ou sociale. Ils veulent être les plus forts. Comme des malfrats, ils tentent de prendre le dessus. Le destin de Pierre-Marie illustre parfaitement cela. Jérôme Ferrari passionne quand il pose son regard et ses mots sur cet homme dont le moment de gloire lui donne des airs de parrain. Très vite, il chute à cause de sa bêtise, son aveuglement. Le portrait est cruel. L’auteur y met les formes et par ce point de départ, offre des clés pour rentrer dans cette famille par le mythe fondateur. Celui-ci a donné lieu à des fantasmes qui inconsciemment ont forgé une ligne pour exister. On voit ainsi les hommes de la famille se confronter à cela et à l’image d’Alexandre, échouer à sortir de la bêtise de la violence.
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