La Revue de Presse littéraire de février
Cet homme qui soliloque dans un bar, nuit après nuit, c'est le frère de l'Arabe tué par un certain Meursault dans un célèbre roman du XXe siècle. Soixante-dix ans après les faits, rage et frustration inentamées, le vieillard rend un nom au mort et donne chair à cette figure niée de la littérature : l'Arabe. Un roman profond sur les héritages qui conditionnent le présent et sur le pouvoir exceptionnel de la littérature pour dire le réel.
L’auteur a eu l’idée lumineuse d’opter pour un narrateur – et principal protagoniste- de choix : Haroun, le frère de la victime, tuée à Alger par arme à feu (geste fou d’un certain Meursault, condamné à la guillotine – réf : « L’étranger » d’ Albert Camus …) Soixante-dix ans après le crime, le vieil homme n’a toujours pas « évacué » la disparition de son grand-frère, Moussa, qu’on pourrait également nommer « Zoudj » (signification de deux, ou quatorze heures, soit le moment fatal de cet été 1942)
L’immense chagrin de la mère, les conséquences terribles sur l’existence de ce frère encore enfant, qui devait à tout prix prendre la place de l’absent … Et puis, vingt ans plus tard, durant l’été 1962 (et les tragiques évènements que nous connaissons …) le drame qui se répète, comme une fatalité, en sens inverse cette fois. La mère, soulagée d’un coup par un acte aussi peu justifié que le précédent, perpétré comme une vengeance, par son second fils âgé de vingt-sept ans.
Un très beau texte qui interroge et une écriture élaborée qui mérite sans conteste ce prix Goncourt du premier roman, reçu en 2015.
Kamel Daoud invente un frère à l'arabe tuée par Meursault dans L'étranger de Camus. Il en fait son narrateur. Un narrateur qui aidé, ou plutôt poussé, par sa mère a usé sa vie à la recherche du passé du frère mort.
Une écriture riche et complexe, qui ne se laisse pas facilement apprivoisé. Un petit roman qui trouve sa place au côté de la tétralogie de l'absurde de Camus.
Faut-il relire L’Étranger avant de découvrir Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud ? Certainement, car pour beaucoup d’entre nous cette lecture date de nombreuses années et la perception que l’on peut avoir à sa relecture est différente de celle que l’on a connue dans sa jeunesse (en particulier lorsqu’un livre est imposé par un programme scolaire !) de même il est intéressant de se souvenir précisément du roman d’Albert Camus avant d’aborder le roman de Kamel Daoud. Voilà, j’ai lu les deux, l’histoire est complète… L’histoire ? Mais laquelle ?
Celle de « l’Arabe », cet inconnu tué sur une plage, simplement parce que Meursault était ébloui de soleil, aveuglé par les quelques gouttes de sueurs qui perlaient à son front, un jour de désœuvrement trop ordinaire ?
Celle de Haroun, le narrateur, le frère de « l’Arabe », de celui qui depuis tant d’années n’a jamais eu de prénom ni de nom, jamais eu de vie, de famille, d’emploi, de rêves à accomplir, car personne ne s’y est intéressé ?
Celle de « l’Arabe », qui pourrait être n’importe quel inconnu ou simplement ce frère qui vit dans un pays dont il a du mal à comprendre et à accepter les évolutions, la fin de la colonisation et les dégâts irréparables de la guerre dans la population, la place qui est aujourd’hui faite aux femmes, l’importance grandissante de la religion dans la vie de chacun, l’alcool ou le vin qu’on ne boit plus, les cafés où l’on avait l’habitude de se retrouver et qui ferment les uns après les autres ; celui qui vit dans la solitude, qui a connu le désintérêt et la manque d’amour d’une mère, celle qui a perdu un fils, le vrai, le seul qui compte ; celui enfin qui cherche une identité dans un pays qui n’est plus le sien, comme il peut parfois l’exprimer ?
Alors, oui, la boucle est bouclée, car « l’Arabe » a enfin une identité, mais à la lecture de ce Meursault, contre-enquête on tourne la dernière page avec une certaine frustration et une grande interrogation. Car Kamel Daoud est un auteur qui dit et qui ose, avec des mots qui marquent et interpellent, même si parfois le style et l’approche peuvent dérouter le lecteur. On sent en filigrane les reproches, l’héritage dont on veut se défaire, les critiques exprimées sans complaisance et surtout les attentes de l’auteur envers un pays qui change et qui trop souvent contraint.
https://domiclire.wordpress.com/2016/11/17/meursault-contre-enquete-kamel-daoud/
Une belle réponse à Albert Camus, et un dénouement qui manquait au lecteur avec « l’Etranger ».
Après ce cadavre de l’Etranger jamais nommé, son frère ici le dévoile. Il ressasse l’heure, le jour de l’assassinat, cherche ce corps avalé par la mer, évoque les mobiles du crime…. Il faut dire que depuis, Moussa est transparent aux yeux de sa mère qui n’avait de sentiments que pour son frère.
Jusqu’où les mèneront les tourments de leur vie, celle de sa mère et la sienne ?
Malgré des difficultés à entrer dans l’histoire à cause d’un style que j’ai d’abord trouvé tortueux, je ne pouvais m’empêcher de faire le parallèle de l’œuvre de Camus avec ce remarquable premier roman de K. Daoud.
Sans chercher à comparer les deux écrits, j’ai retrouvé des similitudes notamment dans les relations de Moussa avec sa mère qui ressemblent fortement aux relations que décrivaient Camus dans « le premier homme », lorsqu’il revient à Alger après la mort de son père. Ici, dans le texte, le père n’est plus là non plus.
Il en est de même avec ses réflexions sur la colonisation.
Kamel Daoud va loin avec ses propos sur une idéologie qui le dérange « la religion est un transport en commun qu’il ne prend pas »,ou sur la liberté des femmes, et sur la colonisation.
Un roman que je recommande vivement, parce qu’il prolonge l’œuvre de Camus qui est ma référence littéraire, mais aussi pour le talent et le courage de Kamel Daoud qui n’hésite pas à parler librement.
Un livre super intéressant. D'une pertinence inouïe. L'auteur questionne l'identité et la mémoire, sans oublier les relations entre la France et l'Algérie. L'intelligence avec laquelle le récit est mené nous conduit à nous demander pourquoi avant Kamel Daoud aucun auteur ne s'était intéressé au sort de l'Étranger de Camus.
"Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C'est comme la négritude qui n'existe que par le regard du Blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était un musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. Eux étaient les "étrangers",les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l'épreuve, mais dont les heures étaient de façon comptées: ils partiraient un jour où l'autre, c'étaient certain. C'est pourquoi on ne leur répondait pas, on se taisait en leur présence et on attendait, adossé au mur."
Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Actes sud (2014), p. 70
Le sujet est superbe, ayant adoré "L'étranger" j'ai trouvé cela sublime. J'ai pourtant eu du mal à m'accrocher à ce livre, ne trouvant pas toujours le fil rouge, et m'égarant parfois. Bon, je l'ai fini, j'étais content, mais un peu laborieux pour moi
Kamel Daoud, journaliste pour Le Quotidien d’Oran, aime et admire Albert Camus. Cependant, il lui fait un reproche important : ne jamais citer le nom de l’homme tué par Meursault, sur une plage d’Alger, un assassinat raconté dans L’Étranger, chef-d’œuvre paru en 1942. Il le nomme simplement l’Arabe et cela revient vingt-cinq fois dans ce roman. Il n’a même pas un prénom. Comme l’écrit Kamel Daoud : « … on ne tue pas un homme facilement quand il a un prénom. »
Ici, l’auteur se met dans la peau du jeune frère de la victime, Haroun, qui, au soir de sa vie, se confie, dans un bar d’Oran, à un inconnu, « monsieur l’inspecteur universitaire ». À son tour, il ne cite jamais Camus et fait comme si L’Étranger avait été écrit par l’assassin, Mersault lui-même.
Personnage important du récit, la mère qu’il nomme M’ma, est omniprésente. Elle est même derrière lui lorsqu’il commet à son tour un crime : « Le Français qui avait eu le malheur de venir se réfugier chez nous cette nuit d’été 1962, moi, avec mon bras qui ne retombait pas après le meurtre, M’ma avec sa monstrueuse exigence enfin vengée. »
Joseph Larquais, parent des propriétaires qui employaient M’ma, est comme une victime expiatoire du meurtre de celui qu’il nomme enfin Moussa Ould el-Assasse. Ces Français ayant pris la fuite, Haroun et sa mère s’étaient installés dans leur maison, à Hadjout, ex-Marengo, comme cela s’est passé presque partout lors de l’indépendance de l’Algérie.
L’écriture est précise, agréable et ne ménage personne. Lorsque Haroun et sa mère quittent Alger, il parle d’ « un immense labyrinthe fait d’immeubles, de gens écrasés, de bidonvilles, de gamins sales, de policiers hargneux et de plages mortelles pour les Arabes. » Plus loin, il ajoute : « Alger, dans ma mémoire, est une créature sale, corrompue, voleuse d’hommes, traitresse et sombre. »
Puis, il parle de la société algérienne depuis l’indépendance, de la religion aussi lorsque son voisin récite le Coran à tue-tête : « La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas… aller à Dieu à pied mais pas en voyage organisé… je déteste la religion et la soumission… » Il n’oublie pas cette langue française apprise pour devenir « l’instrument d’une enquête pointilleuse et maniaque. »
Enfin, il y a l’amour rencontré grâce à Meriem qui enquête à partir d’un livre d’un auteur célèbre qui avait raconté la mort d’un Arabe et en avait fait un livre bouleversant « comme un soleil dans une boîte. » Haroun en tombe amoureux dès la première minute mais : « Elle appartient à un genre de femme qui, aujourd’hui, a disparu de ce pays : libre, insoumise et vivant son corps comme un don, non comme un péché ou une honte. »
Kamel Daoud écrit avec son cœur et ne mâche pas ses mots au risque d’être menacé dans sa vie même, une raison de plus pour lire Meursault, contre-enquête.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Bien sur, tout le monde connaît le propos de ce livre : donner un prénom à L’Arabe du célèbre roman d’Albert Camus L’étranger.
Ce n’est bien sûr qu’un prétexte pour l’écrivain pour nous parler de son pays et de son problème d’identité après ce qu’il nomme L’Independance.
Mais ce que j’ai aimé, dans cette lecture, c’est me laisser porter par la langue de l’auteur, celle qu’adopte le narrateur en racontant son histoire et celle de son frère le soir, au bar. Le dernier à servir du vin dans le pays.
Plus qu’une contre-enquête, c’est à une recherche à laquelle nous assistons.
L’image que je retiendrai :
Celle de l’omniprésence de la référence à 2 heures de la journée, l’après-midi ou la nuit.
Quelques citations :
« Quelqu’un m’a dit récemment que les livres qui se vendaient le mieux dans ce pays étaient les livres de cuisine. Moi je sais pourquoi. Alors que M’ma et moi ont se réveillait de notre drame, titubant et enfin apaisés peut-être, le reste du pays mangeait, à pleine bouche, la terre et le reste du ciel et les maisons et les poteaux et le oiseaux et les espèces sans défense. » (p.83)
« C’est une nationalité, « Arabe », dis-moi ? Il est où, ce pays que tous proclament comme leur ventre, leurs entrailles, mais qui ne se trouve nulle part ? » (p.113)
https://alexmotamots.wordpress.com/2015/08/29/meursault-contre-enquete-kamel-daoud
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