"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Trois vieux Chiliens rêvent de renverser le dictateur Pinochet. En attendant leur chef, " Le Spécialiste ", dans un vieil entrepôt de Santiago, Aranbicia boit, Lolo Garmendia fulmine devant ses mots croisés et Cacho Salinas se remémore son passé d'éleveur de volailles. Mais " Le Spécialiste " ne viendra pas : il est mort, assommé par un tourne-disque converti en projectile lors d'une dispute conjugale. Une satire absurde et émouvante du Chili et des ambitions révolutionnaires.
Qu’ont-ils donc été, ces trois vieux types qui en attendent un quatrième dans un hangar de Santiago, par une nuit de pluie sans fin ? Ils ont été trois militants gauchistes, fervents partisans de Salvador Allende, qui ont payé cher leur loyauté à leurs idéaux, en passant par la case prison sous Pinochet puis celle de l’exil en Europe. Trente-cinq ans plus tard, de retour dans leur pays, ils savent qu’ « On ne revient pas de l’exil, toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans sa mémoire. Tout est beau au pays de la mémoire, il n’y a pas de dommages au pays de la mémoire, pas de tremblement de terre, et même la pluie est agréable au pays de la mémoire. C’est le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire« . Mais malgré leurs désillusions, il leur reste un brin d’espoir, d’utopie et d’envie de revanche. Alors ils ont décidé de préparer un dernier coup, un dernier baroud en l’honneur de leurs frères d’armes disparus et des générations sacrifiées par la dictature. Ils ont besoin pour cela du « Spécialiste », le quatrième larron qu’ils attendent. Mais le destin est un vilain farceur, le Spécialiste n’arrivera pas, victime d’un tourne-disques jeté d’un balcon au moment où il passait dessous. Un quatrième personnage, invité surprise, viendra néanmoins en renfort. Et évidemment, ce serait trop simple si la police ne s’en mêlait pas. Mais avec un peu de chance, ses représentants seront peut-être intègres, pour une fois…
Cocasse, nostalgique, cruel, attachant, ce roman est un hommage aux perdants, au peuple chilien, aux générations passées brisées par la dictature, et aux actuelles, qui en portent toujours le poids. C’est aussi une charge virulente contre des autorités qui continuent à occulter le passé et à profiter de cet héritage, qui ne rendent pas justice aux victimes, et contribuent à la division d’un pays qui ne parvient pas à se réconcilier avec son histoire. Un roman profondément sincère et humain, qui touche au cœur.
« Je suis l’ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu’il y aura de la lumière".
Un roman que Luis Sepulveda dédie à ses compagnons de lutte « A mes camarades , ces hommes et ces femmes , qui sont tombés, se sont relevés, ont soigné leurs blessures, conservé leurs rires, sauvé la joie et continué à marcher »
Ils ont bien changé, les trois anciens activiste gauchistes, sortes de tontons flingueurs retirés des affaires, ils ont pris des cheveux blancs, se sont empâtés .
Ils se retrouvent, dans un entrepôt discret, après des années de d'activisme clandestin et d'exil, prêts à reprendre du service et ils attendent un quatrième homme « le Spécialiste » qui doit leur expliquer leur mission . Mais celui-ci, sur le chemin de leur rendez-vous aura la malchance de recevoir sur la tête un tourne disque sorti brusquement d'une fenêtre et lancé par une épouse excédée lors d'une scène de ménage. Il en mourra, le pauvre...
Si le titre du roman connote la mélancolie, le regret d'un temps où nos héros d'hier combattaient toutes formes de dictature, son contenu n'engendre pas la mélancolie chez le lecteur !
Chaque chapitre fonctionne comme une scène de comédie avec situations cocasses, dialogues pleins d'humour et conclusion percutante.
Bien heureusement, car les propos des personnages qui alternent entre passé et présent, Chili et autres pays théâtres des interventions de l'activisme communiste international m'ont donné le vertige. Bien difficile de s'y retrouver pour qui n'a pas mis à jour ses connaissances géopolitiques.
Mais j'ai poursuivi ma lecture, un petit sourire au coin des lèvres , malgré les passages confus ou ceux qui faisaient référence aux atrocités commises lors des années noires de la dictature de Pinochet.
Dans le Chili d’après, ils se retrouvent, de retour d’exil, et les souvenirs remontent car les vieilles blessures ne sont pas refermées. Il y a eu cette première attaque de banque de l’histoire de Santiago, par quatre hommes dont Durruti, anarchiste espagnol, le 16 juillet 1925. Puis l’auteur nous parle aussi d’un certain Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto, connu dans les milieux bohèmes de l’époque mais passé à la postérité sous le nom de Pablo Neruda.
La dictature a tellement fait de victimes, tellement brisé de destins, profondément modifié le cours de la vie des Chiliens que chaque rencontre fait remonter les souvenirs douloureux, à la surface. Luis Sépúlveda qui a vécu au cœur de ces années d’espoir sait en parler avec précision, tendresse, émotion avec toujours un peu d’humour.
On rencontre un vendeur de poulets rentré au pays après dix ans d’exil en Suède. Ceux qui avaient fui en Espagne rêvaient de revenir au Chili pour ouvrir un bar dans ce pays qualifié « d’heureuse image de l’Éden » dans l’hymne national.
Une violente dispute conjugale entre Conceptión García et Coco Aravena se termine en drame puis Lucho Arancibia fait des mots croisés dans l’édition dominicale d’El Mercurio et les souvenirs remontent : « …quand les jeunes filles communistes nouaient le foulard rouge autour du cou des camarades et les embrassaient pour leur donner un avant-goût du nectar de l’amour des jours à venir. »
Rien n’était simple pourtant avec ces grèves menées par des groupes toujours plus extrémistes, ces exclusions des jeunesses communistes après la mort du Che en Bolivie. Enfin, ce retour au pays : « on ne revient pas de l’exil, toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans sa mémoire. Tout est beau dans le pays de la mémoire… »
L’auteur évoque aussi le GAP, l’escorte du Président Allende dont il a fait partie. L’inspecteur Crespo et son adjointe, Adelita Bobadilla, née après 1973, « aux mains propres », enquêtent et là aussi, le passé remonte à la surface. Souvenirs d’humiliations, comment la droite a fait sortir illégalement des devises du pays pour le priver de dollars car « …les Nord-Américains avaient donné un chèque en blanc pour couler le pays. »
Finalement assez pessimiste sur ce qui attend son pays, Luis Sepúlveda constate les lenteurs de la justice, la dérive qui entraîne la police comme l’avoue Crespo à Adelita : « Bientôt on annoncera la privatisation de la police et tout ce en quoi tu crois sera laissé aux mains de mercenaires. »
Lolo Garmendia, Lucho Arancibia, Coco Aravena et Salinas sortent sous la pluie, à 5 heures du matin et se rendent au Joyeux Dragon… Une lettre écrite par un anarchiste conclut cette histoire d’hommes et de femmes toujours attachés à leur idéal et relevés par d’autres lorsque leur parcours s’achève. Hélas, ils ne sont plus qu’une ombre…
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Un roman picaresque a la sauce Sepulveda. Une critique mi-tendre, mi-acerbe de ce que le Chili est et de ce qu’il a ete. Des personnages attachants comme toujours. Une ecriture parfois un peu decousue mais de grands moments de fulgurance et quelques perles de ci de la. Un bon Sepulveda qui aurait peut-etre merite un petit peu plus de polissage, mais pas de quoi passer a cote. A lire donc !
J'aime beaucoup cet auteur qui manie la nostalgie, l'humour et la tendresse comme peu. Ses personnages sont toujours attachants et le fond historique ajoute à l'intéret de ce petit livre.
Luis Sepulveda fait du Edouardo Mendoza ! Sauf que c'est Luis Sepulveda, donc c'est sensible et poétique, en plus. Très agréable à lire.
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