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Fred Daniels, ouvrier noir américain, est arrêté par la police un soir alors qu'il rentre de son boulot. Il est soupçonné d'avoir volé et assassiné les voisins de ses employeurs. Pas de preuve mais il est noir. C'est suffisant. La police l'interroge, le torture jusqu'à ce qu'il avoue ces meurtres qu'il n'a pas commis. Profitant d'une occasion, Fred s'enfuit, se cache dans les égouts et s'installe sous les rues de Chicago.
Cela commence comme une histoire typique d'injustice raciale et en une fraction de seconde, le roman prend une tout autre direction, une toute autre dimension.
La vie sous terre de Fred se transforme en une allégorie de l'expérience noire. Une vie invisible.
Caché sous la ville, dans la clandestinité, hors du monde, Fred Daniels va accéder discrètement à ce qui compte tant au dessus (l'argent, les diamants….) et réfléchir à ce qui a vraiment du sens.
L'entrée en matière est ultra réaliste et à l'opposé, les aventures souterraines totalement surréalistes. La combinaison des deux rend l'expérience de lecture de ce roman incendiaire, puissante et douloureuse.
Ecrit dans la foulée du succès d’édition Native Song qui fait alors de Richard Wright « l’auteur noir le plus en vue d’Amérique », L’homme qui vivait sous terre est d’abord refusé par son éditeur, effrayé par sa dénonciation sans fard du racisme dans l’Amérique de ces années 1940. Le livre finit quand même par paraître, mais réduit par la censure au format de nouvelle. Avec quelque quatre-vingts ans de retard, il nous est enfin proposé dans sa version d’origine. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a rien perdu de sa force d’impact !
Un jeune Américain, Fred Daniels, s’apprête à rentrer chez lui après sa journée de travail, lorsqu’il est arrêté par la police. Un double meurtre vient d’avoir lieu dans le quartier et lui qui passait par là avec sa peau noire fait un coupable fort opportun. Malgré son évidente innocence, ses aveux soutirés au terme d’un passage à tabac suffiront aisément à clore l’affaire. C’est tout ce qui compte pour des autorités jugées sur leur apparente efficacité. De toute façon, que pèse ce pauvre gars seul au monde face aux préjugés, mis à part une fragile épouse enceinte et un employeur particulier en l’occurrence absent pour plusieurs semaines ?
Son sort semble donc scellé, quand l’énergie du désespoir lui donne la force de s’échapper. Aux abois, il se glisse par une bouche d’égout entrouverte et se retrouve en un instant « hors du monde ». Là, sous terre, il survit de rapines en perçant les murs de caves et de sous-sols qui, comme autant de périscopes pointant sur le monde, lui ouvrent par la même occasion de subreptices échappées sur la vie privée des hommes. Viendra pour lui le moment de regagner la surface, impatient de partager sa nouvelle compréhension des égarements humains. Sauf qu’entre-temps, les vrais coupables du meurtre auront été identifiés et que ce fou intempestivement ressurgi pour débattre de sa culpabilité deviendra cette fois, toujours pour son malheur, un chien dans un jeu de quilles…
Le récit présente clairement deux faces. Il y a d’abord, côté pile, le réalisme à couper le souffle d’une peinture du racisme et des violences policières qui n’a rien perdu de son actualité, preuve en est l’affaire George Floyd en 2020. Puis, côté face, en même temps que le protagoniste se retrouve à errer dans un envers du monde en jouant les passe-murailles, l’allégorie prend le dessus. Dans ce qui se manifeste comme une folie croissante, en réalité une aliénation causée par la totale incommunicabilité entre Fred Daniels et le monde et par le sentiment de culpabilité en résultant, s’incarne le malaise d’une population noire américaine obligée de faire son chemin, comme elle peut et non sans dommages, dans une société qui ne la reconnaît pas et où elle ne peut donc non plus se reconnaître.
L’auteur s’en explique dans le complément à cette édition, intitulé Souvenirs de ma grand-mère. Il y revient sur l’extrême religiosité de cette dernière, façon pour elle de rendre vivable un monde qui ne l’était pas en s’en extrayant par la création d’une bulle artificielle. Elle aussi vivait attachée au monde, mais hors du monde, dans une dimension parallèle devenue nécessaire à sa santé mentale, puisque, Noire, les codes dominants des Blancs la renvoyait à une étrangeté troublante et dépersonnalisante. Dans ce roman, Richard Wright indique avoir voulu « mettre un homme hors de la vie tout en le maintenant dans la vie, exactement comme [s]a grand-mère. » Brodant alors librement autour de ce thème constitutif, comme la musique de jazz inventée par les Afro-Américains enroule ses improvisations autour de son rythme central, il conclut avoir écrit, avec ce livre, « un morceau de jazz en prose. »
Rares sont les romans à vous emporter dans une telle intensité narrative. Ce cri de révolte aura mis plus de huit décennies avant de pouvoir enfin retentir intact et, force est de le constater, toujours terriblement d’actualité. C’est aussi une œuvre d’une grande qualité littéraire et artistique, dont la genèse expliquée par l’auteur permet d'en comprendre l’importance toute personnelle. Coup de coeur.
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