Episode 3 : Des conseils de lecture en tout genre, pour un maximum de plaisir !
Une histoire sur nos icebergs et sur le désir de ne pas sombrer sous la surface. Romy est institutrice. Benjamin est un jeune sculpteur qui prépare sa première exposition. C'est lors d'un week-end à Cadaqués que l'impensable va se produire. L'Étreinte, c'est l'histoire d'une inconnue prise en photo sur une plage. C'est une histoire d'adieux. C'est l'histoire de gens qui s'effleurent. Et de certaines émotions. De belles émotions.Et de celles qu'on préfère taire. Portée par deux talents de la bande dessinée, L'Étreinte est un choc graphique qui serre le coeur. Un livre rare et ambitieux, que l'on porte longtemps en soi après sa lecture. Ne cherchez pas mon coeur, il ne bat plus.
Episode 3 : Des conseils de lecture en tout genre, pour un maximum de plaisir !
Et comment se dire adieu?
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Romy et Benjamin, l'une institutrice et l'autre sculpteur, sont un couple uni qui a pour habitude de ne se faire aucune cachotterie. Ce jour-là, ils rentrent de leurs vacances à Cadaqués, où visiblement ils ont pris du bon temps. La preuve en image : Benjamin est subjugué et pas peu fier de l'un de ses clichés en particulier, celui d'une jeune femme en maillot de bain noir entrain de lire sur la plage. Le temps d'en parler à sa complice et l'irrémédiable se produit.
Maintenant que Romy se trouve entre deux mondes, Benjamin est seul. Face à l'avenir qui s'annonce de plus en plus sombre. Face à ses incertitudes et au poids de sa culpabilité. Et surtout face à cette obsession nouvelle pour la femme qu'il a photographié à Cadaqués, que vous découvrirez en lisant l'album.
Le scénario est réalisé de main de maître : c'est à travers des flash-backs que nous découvrons progressivement le passé des personnages, leur complexité et leurs motivations.
En tout cas, l'album est d'une esthétique rare : de dessins réalistes et expressifs esquissés à la pointe ou à la mine noire réhaussés de belles couleurs aux tons pastels et contrastés.
Comme traversé par la grâce d'une mélodie d'adieux.
J’ai adoré lire cet album captivant, qui m’a émue et bouleversée en me faisant voyager dans un univers poétique et mélancolique entre Paris et Cadaqués.
Je recommande chaleureusement.
+ À lire : Un récit intimiste sur le désir, le regret et la douleur à travers des pages sublimes aux dessins réalistes d'une rare beauté.
-S'abstenir si et seulement si vous n'êtes pas d'humeur car malgré la grâce, l'histoire est sombre et serre le cœur.
Un couple en voiture, une petite route de montagne. Romy conduit, Sébastien est concentré sur la photo d’un paysage. Il s’est aperçu, en agrandissant, qu’il avait pris la photo d’une jeune femme brune, se prélassant sur le sable. Il la caresse du bout des doigts.
Soudain, c’est l’accident. Romy est plongée dans le coma, Sébastien, s’en sort physiquement.
On va suivre Sébastien, dans un parcours chaotique et désespéré. Il enquête pour retrouver la jeune femme brune de la photo, et en même temps, visite Romy à l’hôpital. Impuissant et coupable d’être toujours en vie.
Son angoisse de voir mourir Romy et en même temps, l’instinct de vie qui le pousse à rechercher la jeune femme brune de la photo.
Deux mondes opposés où Sébastien tente de survivre : « Un monde en mouvement, qui danse et s’agite à l’air libre, et un monde à l’arrêt, qui respire sous assistance dans une chambre étroite… et entre les deux mondes, un pied entre la vie et la mort, se tiennent ceux qui se taisent et souffrent en silence. Ceux qu’ils appellent « les chanceux », « les miraculés »… Et dont je fais partie. »
Étreindre les êtres qui nous sont chers, étreindre la vie. Même inconsciente, la proximité avec Romy est forte. Elle lui parle, elle le comprend, elle le conseille et ses mots sont doux. Sébastien entend Romy qui lui dit :
« Savoir que du beau t’attend, et que c’est normal… et même quand je te regarde, je sais que tu es déjà dans l’après. »
C’est en même temps une observation précise et fine du monde hospitalier avec les autres familles rencontrées comme Marie-Yvonne, dont le mari est (soi-disant) hospitalisé pour cancer :
« Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Il y a urgence à n’en pas guérir, croyez-moi ».
C’est également les soignants dont le médecin qui suit le coma de Romy. Les attentes de la famille, les réponses du médecin :
« Et ça dure comme ça pendant 20 mn. Tu t’écoutes poser des questions, tu l’entends te répondre et tu sais que tu n’apprendras rien. Il te parle d’une voix posée, il te parle d’un dossier et il raccrochera, puis se tournera vers le dossier suivant.
Et toi, tu as envie de hurler. « Il faut du temps, il faut être courageux », il dit.
« Connard. »
Le graphisme accompagne harmonieusement le texte. Certaines planches sur la totalité de la page, sont même de petits tableaux à part entière, par leur beauté, par l’évocation précise du sentiment.
Je pense à celle de la crique, page 158 : un homme de dos, (Sébastien) regarde la mer sous la pluie.
Mais on comprend aussi qu’il n’y a pas eu de scenario indiquant le graphisme à suivre, car certaines planches ne correspondent pas au texte. On sent qu’elles ont été rapprochées sans trop de raison.
On le comprend d’autant mieux que Jim et Laures Bonneau expliquent leur façon de travailler : pas de scenario préalable. Chacun travaille, ils communiquent ensemble et construisent le récit au fur et à mesure de l’avancée de chacun.
« Nous avancions simultanément en fonction de ce que proposait l’autre.
Laurent a commencé avec le dessin d’un ami sculpteur. (…) Jim s’est accroché à une photo prise sur une plage. (…) A partir de cette photo, j’ai découpé les quelques pages d’ouverture. Un début d’histoire, une promesse peut-être. Un trajet en voiture, un accident… »
Laurent Bonneau (illustrateur)
« Pour moi, c’était une sensation très plaisante de constater qu’il savait toujours quoi faire de ce que je dessinais (seules 10 planches n’ont pas trouvé leur place sur les 300 réalisées au total). »
Malgré ce léger bémol, l’ensemble est très réussi.
Un roman graphique qui suscite l’émotion sur un sujet sensible et douloureux.
C'est un roman graphique d'une grande puissance, dont personnellement j'ai dû apprivoiser le graphisme au début pour me rendre compte à la fin que j'étais moi aussi complètement envoûtée ! Que le graphisme et ses couleurs épousent à la perfection le scénario, à moins que ce ne soit l'inverse. Un entretien croisé entre scénariste et dessinateur explique à la fin leur processus créatif atypique.
C'est une histoire d'amour, de vie, de mort, de désir, de renaissance.
Au rythme des battements du cœur.
Une pulsion de vie pour ne pas sombrer,
sans rien renier de ce qui a été.
Une histoire d'étreinte.
Enveloppante,
magnifique,
bouleversante... ❤
Si vous ne deviez choisir qu'une seule BD, alors lisez celle-ci !
« C’est l’histoire d’un sculpteur qui improvise un chemin vers la beauté. », Jim.
Une étreinte pour oublier l’absente.
Une étreinte pour combler le vide.
L’étreinte ou l’illusion de l’étreinte…
« L’étreinte », c’est d’abord un processus de création original : une construction à l’envers, Laurent Bonneau dessine d’abord, il part d’une photo prise dans le téléphone de Jim… puis Jim commence à écrire.
Cette photo est d’abord un appel pour Benjamin…le destin va en faire une obsession, une raison de vivre.
Le travail graphique est fort, il prend le temps de nous montrer visuellement les sentiments des personnages, le lecteur ressent avec Benjamin… les images disent l’essentiel.
Le tour de force consiste à parvenir à nous proposer un ensemble aussi réussi, cohérent et puissant.
Au final, un livre impressionnant, une expérience au sens propre comme au figuré, dans le fond et dans la forme. Cette histoire relève de l’intime mais résonnera en chacun de nous, à coup sûr.
« Il faut pleurer de bonheur chaque jour, et pleurer de peur de perdre les gens qui nous importent, même si on sait qu’on les perdra. »
Quand apparaissent sur une même couverture les noms de Jim et de Laurent Bonneau, l’alliance semble a priori surprenante. Le premier est un auteur à succès prolifique avec 90 albums au compteur, en tant que scénariste ou dessinateur, allant de la bd d’humour à la bd de mœurs. Le second, poly artiste plus confidentiel, est à la fois photo-vidéaste, peintre et bédéiste. Tous deux souhaitaient travailler ensemble depuis longtemps mais ne trouvaient pas de voie/ voix communes. C’est désormais chose faite avec une œuvre expérimentale et ô combien réussie : « L’Etreinte » parue aux éditions Bamboo dans la collection grand Angle dont la musique intimiste ne saurait vous laisser indifférents.
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C’est l’histoire d’un sculpteur prometteur, Benjamin. Il vient de passer de belles vacances à Cadaquès avec sa femme Romy. Sur le trajet du retour, alors que Romy est au volant, il fait défiler sur son téléphone les photos prises durant le séjour. Il s’arrête sur un cliché pris sur une petite plage au centre duquel une femme énigmatique est allongée sur le ventre, en train de lire. Cette inconnue le subjugue, il apprécie son attitude gracieuse qui semble l’inviter à la sculpter. Et puis soudain, il entend un crissement de pneu et relève la tête juste à temps pour voir une voiture les percuter de plein fouet.
Quand il se réveille à l’hôpital, il est miraculeusement indemne. Sa compagne, elle, est plongée dans le coma. Les jours puis les semaines passent … les nouvelles ne sont pas bonnes. Pour tromper l’attente insupportable, Benjamin se raccroche à son art et à la photo de Cadaquès. Il décide de mener une enquête et de partir à la recherche de l’inconnue sur le cliché…
UNE TRAME A QUATRE MAINS
Jim et Laurent Bonneau ont au départ essayé d’œuvrer ensemble sur un projet traditionnel mais, comme ils l’avouent eux-mêmes, le « résultat semblait contraint ». Ils ont donc décidé d’inverser le processus habituel de création en octobre 2019 et cherché à se surprendre mutuellement. Quand traditionnellement l’écriture précède le dessin et le borne, ils ont opté pour l’inverse : le dessin suscite l’écriture. Ils se sont lancés sans plan de départ et sans contraintes. Laurent Bonneau a apporté au projet son envie de mettre en scène son ami sculpteur Olivier Delobel à qui il avait déjà consacré un court métrage « Chaque jour je me réveille » en 2014 et une série de 66 portraits lors d’une récente exposition. Il l’a ainsi « croqué » en train de marcher, de sculpter, de téléphoner ou de prendre sa voiture… Jim a choisi, quant à lui, d’y faire figurer un cliché pris à la volée avec son portable lors de vacances en Catalogne : celui d’une femme inconnue lisant sur la plage dans une attitude presque posée. Ces deux arcs narratifs sont d’ailleurs mis à l’honneur sur les couvertures : la photo de Jim pour l’édition classique et le sculpteur et ses œuvres pour l’édition limitée.
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Reprenant finalement le jeu du cadavre exquis littéraire, Bonneau et Jim ont beaucoup échangé et ajouté d’autres éléments : un accident de voiture, des références cinématographiques, des rencontres, une narration en voix off à la première personne… Dans un fécond « ping-pong » artistique tissant peu à peu la trame de l’œuvre, les deux auteurs agissent finalement comme des sculpteurs qui taillent le marbre et dégrossissent sans savoir par avance ce que donnera la pierre.
« LE CŒUR DES HOMMES »
Malgré leurs apparentes différences, Jim et Bonneau partagent dans leurs œuvres le goût pour l’intime et des thématiques communes. Ainsi, ils dressent dans « Une nuit à Rome » et « On sème la folie », le portrait d’une bande adulescents qui peinent à grandir.
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Dans les albums où Bonneau officie en tant qu’auteur complet, il affectionne comme Jim le monologue intérieur et les longues tirades introspectives entre amis. On retrouve cela dans le mode narratif choisi pour « l’Etreinte ». Une grande partie de la narration est prise en charge par le monologue intérieur de Benjamin et ses dilemmes et remords apparaissent grâce à ses conversations imaginaires avec Romy. Comme souvent dans les albums de Laurent Bonneau on a aussi de longues séquences muettes qui invitent le lecteur à s’immiscer et à donner son interprétation. Ceci permet alors une plongée dans « le cœur des hommes »…
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Enfin, on retrouve ici comme dans « Le Regard d’un père », une réflexion sur la transmission et sur le rôle consolateur et mémorial de l’art. A travers les références à des artistes mythiques d’abord : Dali et Gala, Chagall et Bella, grâce ensuite à l’exposition de Benjamin consacrée à Romy qui lui offre une vie prolongée et démultipliée grâce à la reproduction obsessionnelle de bustes d’elle à des âges différents mais également grâce à la démarche plus « amateur » du mari de Marie Yvonne qui l’a immortalisée tout au long de leur vie commune dans des clichés publiés à compte d’auteur. Sur les planches originales de « l’Etreinte » avant la mise en couleur par ordinateur, on remarque l’utilisation de la bichromie : la voiture accidentée et les sculptures sont dessinées au crayon rouge et cela crée des connections souterraines. L’art apparaît donc comme un moyen pour Dali, Chagall, Benjamin, Jean-Jacques, Jim et Bonneau de figer le temps, d’immortaliser et même de redonner vie dans une tentative - peut-être dérisoire - de contrer la mort.
LES CHOSES DE LA VIE
Les deux auteurs abordent en effet tous deux le thème du deuil et du manque dans « Où sont passés les beaux jours » et « Le regard d’un père ». Mais ce qui sous-tend profondément leurs albums c’est aussi le « memento mori ». Sans dogmatisme et sans emphase, ils rappellent chacun à leur façon, la fugacité de la vie et l’importance de profiter des « Beaux moments » et de dire à ses proches qu’on les aime avant qu’il ne soit trop tard. C’est l’un des leitmotivs de ce dernier album. Et c’est ce que souligne la référence aux « Choses de la vie » de Sautet dans la scène onirique et traumatique de l’accident. A la manière du cinéaste, Bonneau et Jim s’attachent aux choses anodines et fugaces dont on ne perçoit l’importance qu’une fois qu’on les a perdues…et ils s’intéressent, comme lui, particulièrement à la confusion et à la complexité des sentiments qui sont formidablement retranscrits dans les dialogues, les non-dits et les visages expressifs des personnages. C’est peut-être un hasard également mais juste avant la parution de ce dernier opus, un film de Lionel Bergery s’intitulant lui aussi « L’Etreinte » est sorti avec une Emmanuelle Béart campant une veuve qui n’arrive pas à faire son deuil et à s’autoriser à vivre.
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Si le livre renferme des références cinématographiques car Jim est un grand cinéphile, il ne faudrait pas non plus oublier que les deux artistes sont également vidéastes. Après plusieurs courts-métrages, Jim met enfin en scène son premier long, « Belle enfant » et la façon dont l’album a été construit s’apparente aux techniques du 7e art. Il fonctionne en effet par séquences tournées - pardon dessinées ! - dans un ordre complètement différent du montage final effectué par le scénariste. Certaines scènes « coupées » apparaissent même en appendice de l’édition limitée de Canal Bd comme autant de « bonus » dans un DVD. Le découpage et le graphisme de Laurent Bonneau vont dans ce sens également : il aime dessiner d’après modèle vivant et fait ses castings à la manière d’un réalisateur. Il a d’ailleurs commencé par filmer son ami sculpteur dans les rues de Cadaquès pour le mettre en situation et ses crayons virevoltent comme une caméra. Il multiplie les angles de prise de vue et les plans et pratique souvent le travelling avant ou arrière pour donner du dynamisme aux conversations tandis que la multiplication de gros voire très gros plans permet au lecteur d’entrer en empathie avec le héros.
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Et puis il y a un côté charnel et incarné qui renvoie également au 7e art. Laurent Bonneau qui a publié un recueil de croquis intitulé « Corps », s’intéresse particulièrement à la représentation des corps. Dans la palette restreinte de couleurs qu’il utilise dans l’album, ressort le pêche couleur peau : cette peau omniprésente et tant absente dans la quête du héros … Tel un chef opérateur qui choisit ses éclairages pour créer des ambiances et des atmosphères, Bonneau introduit des échos grâce aux couleurs. Le rouge est associé en permanence à Benjamin : rouge du sang de l’accident, rouge de la honte, rouge de la colère, rouge de l’amour aussi, rouge comme cette « fleur de chair » qu’est le cœur … et le réalisme se mue alors en poésie.
« L’Etreinte » c’est donc un choc narratif et graphique et une expérimentation réussie,
« L’Etreinte » c’est un livre aux thème universels qui nous oppresse mais en même temps nous fait du bien,
« L’Etreinte » c’est un album qui rappelle l’essentiel,
« l’Etreinte » c’est une petite musique mélancolique interprétée par un duo de virtuoses,
« L’Etreinte » c’est aussi une anagramme d’éternité … mon coup de cœur de ce début d’été !
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