"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En l'espace de quatre ans, Jesmyn Ward qui, depuis Bois sauvage a fait de l' État du Mississippi son territoire, a assisté à la mort de cinq jeunes garçons qui lui étaient chers. Ces morts n'avaient à priori rien en commun, si ce n'est le spectre puissant et hors statistique de la pauvreté et du racisme qui conditionne l'avenir difficile des jeunes hommes issus de la communauté noire américaine. Les Moissons funèbres est un roman introspectif, âpre et mélancolique, sur la pauvreté dans le Sud profond des États-Unis.
Quelle claque ! Ce livre est bouleversant, d'autant plus quand on sait qu'il s'agit d'une autobiographie.
Le récit est entrecoupé de l'histoire de cinq des amis, cousins et surtout frère cadet de Jesmyn Ward, tous disparus bien trop tôt.
L'histoire récente de ce sud des États Unis où le drapeau des confédérés flotte encore trop souvent au vent, et où la justice n'est pas la même selon la couleur de sa peau.
Jesmyn s'interroge sur le fait que de génération en génération, « les jeunes noirs ont toujours passé leur temps à mourir, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les enfants et quelques vieux, comme après une guerre. »
Elle n'en a choisit que cinq, mais la pauvreté, la promiscuité des logements , la drogue, les études réduites à peu de choses, le chômage, les perspectives d'avenir ... tout contribue à faire de cette population noire du Mississippi une de celle où le taux de criminalité est le plus important.
Jesmyn grandit dans cet univers où, malgré tout, l'entraide, le partage et la générosité sont légion. Parce qu'identifiée comme très bonne élève, elle bénéficiera, grâce à un des employeurs de sa mère, des meilleures écoles. Elle relaie ainsi, grâce à sa très belle plume, la spirale de violence pour les hommes ou en version féminine le rôle des femmes au foyer, ceux-ci étant malmenés.
Les femmes sont très présentes dans ce récit : sa mère qui « avait tenté d'échapper au destin qui lui était promis à sa naissance, à ce monde de femmes laborieuses, de pères absents, ou l'éducation était sommaire et les opportunités inexistantes ». Mais aussi ses soeurs chéries, les petites amies de ses proches.
Grace à ses lectures, elle s'évade, s'extrait d'un « monde qu'elle ne comprend pas, qui ne lui explique rien, surtout pas le chemin à suivre. »
On est au milieu du bayou, à quelques encablures de la Nouvelle-Orleans, cette partie de l'Amérique qui a été dévastée par Katrina. Cet ouragan qui a dévasté tant de vies, de maisons, et qui aurait pu dévaster l'esquisse de ce récit alors dans le disque dur de l'auteure.
Un magnifique récit autobiographique qui dépasse largement le cadre de la jeunesse de l’auteure pour soulever les questions existentielles que se posent les jeunes afro-américains dans l’Amérique de la deuxième moitié du XXème siècle.
Deux fils d’histoire se déroulent en parallèle ; l’un raconte la vie de la communauté noire, à De Lisle et Pass Christian, dans l’état du Mississippi, dans «un monde de femmes laborieuses et de pères absents», où le chômage et la pauvreté sont endémiques. L’autre fil remonte le temps en retraçant la vie jusqu’à leur mort de cinq jeunes hommes dont l’auteure a partagé la jeunesse et qui résonnent encore dans les rues de ces petites villes rurales.
Jesmyn WARD nous livre cet essai avec une violence et une sensibilité qui émeut au plus haut point et je vais avoir du mal à dépasser le désarroi que m’en a procuré sa lecture.
Et, au-delà du choc d’une telle d’injustice sociale et de l’incommensurable désespoir des jeunes qui pèse sur leurs vies « comme un grand voile noir », je garde cette phrase en mémoire pour tenter de croire à un avenir meilleur « Nous survivrons ; nous sommes des sauvages ».
Ce livre n'est pas un roman, mais un essai basé sur l'expérience personnelle de l'auteure, où elle tente d'analyser pourquoi et comment les jeunes hommes noirs sont, plus souvent que d'autres jeunes américains, amenés à trouver la mort dans des circonstances dramatiques. Drogue, violence, accident, suicide… ce sont les causes qui ont successivement causé la mort de cinq jeunes hommes de son entourage en quelques années, parmi lesquels son frère Joshua.
Au début des années 2000, Jesmyn Ward était étudiante, la seule de sa famille à réussir à poursuivre des études supérieures, mais se sentait mal loin de sa famille, et éprouvait le besoin de revenir régulièrement dans sa petite ville du Mississippi. C'est à cette époque que l'un de ses frères, Joshua, trouve la mort. Comme une cascade d'événements dramatiques, d'autres jeunes, amis de la famille ou voisins, Roger, Demond, CJ et Ronald, décèdent tragiquement dans les années qui suivent.
Jesmyn Ward, par une construction habile, raconte l'histoire de sa famille, de sa prime enfance et de sa jeunesse, et alterne avec l'histoire plus particulière de ces jeunes hommes et de ce qui les a conduit vers leur fin, et là, son récit procède d'une chronologie inversée, pour terminer avec le décès qui l'a le plus touchée, celui de son frère.
J'ai dévoré ce récit, sans doute cathartique pour l'auteure, mais où pourtant l'écriture, la recherche de la phrase et du mot justes ont leur importance. Après, on peut adhérer ou non aux explications qu'elle trouve à ces destins dramatiques, et aux difficultés qu'elle pointe, qui font que les jeunes afro-américains défavorisés, souvent issus de familles monoparentales, sont plus souvent qu'à leur tour touchés par le chômage, ou détournés du droit chemin pour finir par dealer ou consommer, et pour avoir des comportements à risque. Ce qui pourtant n'est pas le cas de tous les jeunes dont elle parle. Elle leur rend en tout cas un hommage très touchant, et restitue les moments qu'elle a partagé avec eux avec honnêteté et sensibilité.
https://lettresexpres.wordpress.com/2019/02/02/jesmyn-ward-les-moissons-funebres/
Récit-document à la première personne, "Les moissons funèbres" raconte l'histoire d'une famille, celle de l'auteur, d'une communauté et de cinq jeunes hommes de son entourage proche, morts entre 2000 et 2004. En revisitant l'histoire de la communauté afro-américaine de DeLisle, dans le Mississipi, et en la jumelant avec l'histoire de sa famille, Jesmyn Ward met en évidence le poids annihilant d'un racisme véritablement enraciné, un racisme vécu de l'intérieur et tellement intégré à l'histoire et à la culture des Blancs, qui le pratiquent, et des Noirs qui le subissent, qu'il en devient comme une sorte de fatalité anéantissant tout espoir de changement et toute velléité de rébellion. L'aspect répétitif et lancinant de la narration reflète cette désespérance face à un avenir reproduisant perpétuellement le même système, les mêmes injustices et les mêmes schémas familiaux : des pères absents, des mères qui s'échinent à leurs innombrables tâches en portant leur famille à bout de bras, des jeunes qui errent entre bière, musique, drogue et désoeuvrement.
La tonalité plaintive du récit, la résignation des êtres, la répétition incessante des mêmes gestes, des mêmes pensées et des mêmes constats insistent sur une victimisation qui m'a laissé une impression de malaise. Certes, la narration reflète parfaitement l'enfermement dans un destin tracé à l'avance, la monotonie des existences et l'impossibilité de quitter DeLisle, comme si la ville poissait à la peau. L'auteur, elle-même, n'a de cesse d'y revenir comme s'il lui était interdit de réaliser sa vie ailleurs. Interdiction sociale et raciale mais aussi interdiction intérieure, envisagée comme la nécessité de se plier impérativement à une détermination lointaine. Mais cette insistance sur le pathos et le point de vue victimant n'ont pas eu l'effet percutant que j'attendais d'un livre sur un tel thème. Il m'a semblé, au contraire, que les choix narratifs et l'écriture faisaient perdre de sa force au témoignage.
Une lecture que j'ai trouvée pesante, monocorde et même un peu ennuyeuse. Avec un sujet aussi fort, je le regrette beaucoup !
http://www.leslecturesdumouton.com/archives/2017/02/11/34895912.html
Jesmyn Ward, dite Mimi, est une jeune romancière américaine prometteuse, vue comme l’héritière de Toni Morrison. Dans ses romans, elle avait déjà évoqué son enfance difficile au cœur du Mississippi mais là, dans Les moissons funèbres, plus de romans mais un récit autobiographique abordant des thèmes et surtout des personnes qui lui sont chères. En l’espace de quatre ans, elle perd cinq jeunes hommes qui lui sont proches : des amis, de la famille notamment son frère Joshua. Ils sont tous décédés de façon différente mais violemment. En leur rendant hommage, Jesmyn Ward va bien plus loin. Elle montre à quel point les destins de ces jeunes hommes sont les révélateurs d’une vie difficile pour la communauté noire du sud des Etats-Unis : grande pauvreté, drogue, alcoolisme, racisme, inégalités sociales entre noirs et blancs, peu d’opportunités de s’en sortir au point qu’on n’essaie même plus. Hommage des proches, témoignage sur les conditions de vie de la communauté noire, Jesmyn Ward alterne sans cesse entre un chapitre sur un des proches disparus et un autre sur son enfance et la vie à DeLisle et Pass Christian.
Le comportement que ses amis, sa famille – et elle-même – est à l’image de cette désespérance : on cherche à oublier la misère en brûlant la chandelle par les deux bouts. Il faut vivre vite et intensément parce qu’on sait que le malheur va frapper à nouveau. Mimi est la seule à avoir réussi à échapper à cette malédiction, mais les blessures demeurent et toujours ce besoin de revenir dans son sud natal se fait sentir. On n’échappe pas à ses racines et on n’a pas forcément envie de s’en soustraire.
Un beau témoignage qui montre bien qu’il y a encore beaucoup à faire pour l’égalité sociale et raciale aux Etats-Unis. L’élection de Trump ne risque pas d’arranger les choses…
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