Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
L'histoire s'ouvre sur une scène brutale qui donne le ton du roman : une jeune femme prénommée Kenza est retrouvée gisant par terre. Elle a voulu se suicider, mais elle respire encore. Il y a quelque chose de surprenant dans ce texte ; sa violence pourrait en rebuter plus d'un, mais il y a tant de poésie qu'elle s'en trouve adoucie et nous happe totalement. On est saisi par la beauté des phrases qui racontent l'horreur. C'est comme si la perversité était devenue poète. On est attiré par le gouffre, l'horreur. Et c'est cette horreur qui nous prend dès le début pour ne plus nous lâcher ; elle nous fascine. Ce texte est une descente progressive vers le chaos, car il est vrai qu'il semble inimaginable que les destins de ces personnages ne soient destinés à autre chose qu'au néant. On y trouve les dérives d'une société malade : la schizoïne, cette substance qui permet de s'évader d'un quotidien inconsistant et finit par atteindre toutes les classes de la sociétés, rythme le texte. Elle a été mise au point par Dalton, un pompier qui s'occupe essentiellement de faire disparaître les traces des accidents et tragédies, et qui, en parallèle, fait du trafic de médicaments. C'est ainsi qu'il a rencontré Kenza, presque nue, étendue sur le sol, son pouls si faible qu' « une simple caresse pourrait lui ôter ce qu'il lui reste de vie. » Et là nous avons cette poésie sur la vie, sur la mort. N'est-on extrêmement vivant que lorsqu'on se trouve confronté au vide ? Un pas en avant on tombe, un pas en arrière on continue... à se voiler la face ?
Le choix : ne plus avoir le choix, voilà le dessein poursuivi par Kenza, après le ratage de sa décision d'en finir. C'est avec la schizoïne qu'elle s'enverra en l'air, plus de repères, plus de respect des logiques et conventions. La survie l'a finalement transformée en monstre. Aide-soignante dans une clinique pour vieux, elle donne la substance à des patients. Elle les fait parler, les filme et poste les vidéos sur internet. Ces derniers, heureux, succombent à des convulsions, un des effets de cette drogue. Kenza mutile son visage. Elle cultive ses cicatrices, les met en valeur, devient Kenzasupernova, un véritable monstre, une déesse barbare shootée. C'est ainsi qu'elle transforme son suicide raté en un abominable destin. La dépravation grignote la société - même les notables prennent de la schizoïne. C'est le chaos qui approche, une société vouée à s'éteindre dans l'horreur et la barbarie.
Ce livre renverse les codes du polar version drame urbain (il n'y a pas d'autre vérité à découvrir, au bout de l'asphalte, que la violence archaïque, brute et sauvage), tutoie le fantastique et esquisse au travers d'une langue sèche et resserrée une théorie du chaos qui sous-tend le langage.
Le moins qu'on puisse dire c'est que ce roman n'est point amusant. Si vous recherchez de la détente pure, euh.., passez votre chemin. Mais si vous recherchez un beau texte, un roman original tant dans le fond que dans sa forme, restez ici, ou plutôt courez voir votre libraire pour acheter Les aliénés. Les personnages d'Espedite sont hors normes, même ceux qui n'interviennent que très peu sont quand même assez barrés, par exemple Jenny, cette femme âgée démente : "Jenny s'est fait refaire les seins et le visage à soixante-neuf ans, avant d'être frappée par une démence sénile. Le haut de son corps ressemble à la statue de cire d'une bourgeoise de quarante ans, le sourire figé par une peau hyper-tendue dont les rides sont absentes, mais sur laquelle se remarquent de nombreuses tâches de vieillesse. Le décolleté, opulent, tombe sur deux protubérances mammaires en plastique bien rondes qui lui compriment les poumons et l'empêchent visiblement de respirer correctement." (p.59). Imaginez maintenant le bas du corps, comme celui de la femme de presque 70 ans qu'elle est et vous avez une image assez nette. Les portraits des autres personnages ne sont pas mal non plus, Espedite a le sens de la formule et de l'image. Ils sont vraiment barrés, aliénés, doublement à la fois à la drogue, la schizoïne dont ils ne peuvent plus se passer et parce qu'ils sont totalement fous. Kenza se détruit, essaie toute sorte de moyen de s'enlaidir, de disparaître. Dalton et elle recherchent des sensations fortes qu'ils ne trouvent que dans la drogue qui les désinhibe ; ils ne se souviennent que rarement de ce qu'ils ont fait sous l'effet de la schizoïne.
Un roman dur et violent qu'on ne ressent pas comme tel, sûrement grâce à l'écriture de l'auteur, qui prend des distances, qui use d'humour, de poésie, de détachement et de mélancolie. On peut le lire comme un polar puisqu'il y a des morts, mais sa construction ne permet sans doute pas de le classer comme tel, de ne pas le limiter à ce genre. Espedite révèle des pans de son histoire grâce à des personnages annexes, qui ne restent pas longtemps en scène, une jolie manière de surprendre le lecteur et de le tenir jusqu'aux révélations finales. Les vies de tous les intervenants croiseront à un moment ou un autre celles des deux "héros" Kenza et Dalton, c'est un puzzle qu'il est aisé de construire et surtout particulièrement agréable à suivre.
Encore un titre fort original et fort bien chez Christophe Lucquin chez qui je trouve toujours des textes forts et qui peut compter sur mon soutien dans des moments difficiles pour sa jeune et fragile maison : une contribution est ouverte sur Ulule.
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
L’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy poursuit l’exploration fantasmagorique de sa mémoire familiale...
Des romans policiers à offrir ? Faites le plein de bonnes idées !
Nostalgique, nomade ou plutôt romantique ? Trouvez le livre de la rentrée qui vous correspond !