"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les bateaux ne partent pas que des ports, ils s'en vont poussés par un rêve. Bien des historiens ont déjà commenté et commenteront la Découverte de Christophe et disputeront de ses conséquences. Étant son frère, celui qui, seul, le connaît depuis le début de ses jours, j'ai vu naître son idée et grandir sa fièvre. C'est cette naissance, c'est sa folie que je vais raconter. E. O.C'est léger, nerveux, malin, documenté. Lire Orsenna, c'est encore et toujours redécouvrir l'Amérique. Pierre Vavasseur, Le Parisien/ Aujourd'hui en France.Il est à son affaire pour évoquer la cartographie, sa grande passion, et faire revivre ce XVe siècle de tous les possibles, à travers une somme de seconds rôles irrésistibles. Il donne surtout un portrait inédit du grand Christophe Colomb. Delphine Peras, Lire.
Noël 1511, Hispañola.
Le roman commence avec le prêche d'un prêtre qui fustige les colons pour la façon cruelle et ignoble dont ils traitent les indiens à qui ils ont volé la terre. Et donc la question de leur légitimité est posée. Un prêtre dominicain, Bartolomé Las Casas, en quête de vérité, demande au frère de Christophe Colomb de raconter.
Ainsi l'histoire de Christophe Colomb et de son frère Bartolomé nous est contée par celui-ci alors qu'il est au soir de sa vie.
Bartolomé est éduqué dans une Sainte ignorance par un vieux prêtre, comme si ne pas savoir préservait du mal. Pourquoi cette haine du savoir chez les prêtres alors que les grecs avaient démontré depuis deux millénaires que la terre était ronde ?
Bartolomé apprit la cartographie auprès de maître Andrea, cartographe à Lisbonne, ce qui allait lui ouvrir l'esprit et changer le cours de sa vie et celle de son frère Christophe.
Il nous emmène au fil de ses pérégrinations, de Gênes sa ville natale à Hispañola, en passant par Lisbonne, lieu qu'il a tant aimé. Avec lui, on découvre le monde du XVème siècle et ses modes de vie. On a beau savoir que de l'ignorance naissent la peur et les superstitions, ça reste incroyablement surprenant et même consternant. On touche du doigt la fascination des hommes pour la mer, et la répulsion des femmes pour celle qui leur prend leurs maris et leurs fils, on baigne dans l'atmosphère de Lisbonne, où l'arrivée d'un bateau déplace à chaque fois bon nombre d'habitants dans une liesse absolue.
J'ai parfois trouvé que ça manquait d'explication, des petits renvois en bas de page auraient été les bienvenus. Cependant j'ai beaucoup aimé l'évocation des voyages à travers le monde connu à cette époque, ainsi que le voyage dans le temps au côté du découvreur du nouveau monde.
Pourtant, Il est beaucoup plus question de Bartolomé Colomb que de son célèbre frère. C'est qu'il a envie qu'on l'écoute !... lui qui a toujours été éclipsé par Christophe. Et il se raconte encore et encore. Et moi qui pensais découvrir l'Amérique avec eux... Il n'est pas question ici de cette odyssée mais de tout ce qui l'a précédée.
Passion des cartographes pour leur art mais aussi pour les livres, de la mer et de la découverte pour les navigateurs, ainsi que tous leurs rêves aux uns et aux autres, ce roman m'a ouvert un monde dont j'ignorais tout. Je suis cependant déçue de n'avoir pas fait la traversée, moi qui rêvais d'aventure.
Malgré cela, il faut bien dire que l'écriture est magnifique.
Après nous avoir fait voyager sur les routes escarpées et surprenantes de la langue française, contempler les façades maritimes et emmenés au pays du coton, Erik Orsenna nous emporte dans ce roman sur les chemins de l'Histoire, celle de la découverte de l'Amérique, mêlant amour de la langue, de la mer et de l'aventure. Mais avant la Grande Histoire des Grandes Découvertes, il y a les petites histoires qui précédent et sans lesquelles l'explorateur ne serait pas devenu ce qu'il a été et n'aurait pas réussi sa folle Entreprise. Sans curiosité naturelle, sans fièvre, sans aplomb, sans amour de l'inconnu et sans capacité à faire entrer ses proches dans son univers et dans ses rêves, Christophe Colomb n'aurait pas été celui qui a découvert l'Amérique... Mais pour raconter la genèse de cette formidable épopée, Erik Orsenna prend le parti audacieux, subtil et pertinent de faire parler le frère cadet de Christophe, Bartolomé Colomb. Celui qui adore son frère solaire et si envahissant ; celui qui va prendre un peu de distance avec le "héros" de la Découverte et révéler l'envers du décor, tout en conservant un immense respect et un amour infini pour ce frère envers lequel il fait preuve d'un dévouement extrême. Cartographe, amoureux des traits de côte plus que des mers, Bartolomé est aussi le complémentaire idéal du navigateur. Avec lui, Erik Orsenna n'aborde pas Christophe Colomb de face mais par le biais d'un personnage à la fois historique et romancé ; tout comme, avec ce roman, il n'aborde pas la découverte de l'Amérique de face mais en revenant à la genèse de l'expédition. Il évite ainsi habilement et fort agréablement le piège du didactisme au profit d'un récit sensible, peuplé de personnages dignes de la littérature picaresque, où l'aventure côtoie la métaphysique, où la mesquinerie se mêle à la noblesse, où la scène de rue succède à la disputatio. Tout le livre est écrit avec le soin calligraphique d'un manuscrit ancien, enluminures, finesse, détails, sans oublier les cartes qui nous font pénétrer dans l'atelier d'Andrea et Bartolomé. Cette construction en cercles concentriques, cette évocation patiente et méthodique, l'écriture ciselée vont peu à peu lever le voile sur les aspects secrets et cachés de la Découverte de l'Amérique. Et alors éclate avec encore plus de force et de violente horreur le fanatisme, l'inhumanité, la cruauté des conquistadors dénoncés par le sermon de Montesinos et les écrits de las Casas. Plutôt que de nous embarquer dans une épopée maritime, dans le sillage du grand Christophe Colomb, lancé dans une quête insatiable d'inconnu à la poursuite de son rêve insensé, Erik Orsenna nous invite à plonger au plus profond de l'âme humaine pour découvrir la face cachée du fabuleux voyage et de la Grande Découverte... Empreint de beauté et de rêves d'ailleurs, le livre ne néglige pas pour autant de rendre compte, comme l'annonçait au début l'accusateur "pourquoi ?" de Montesinos, des horreurs commises, laissant en suspens la question essentielle posée par l'impitoyable réquisitoire de Las Casas en 1542 : le massacre des Indiens n'a-t-il pas souillé à jamais l'exploit maritime ? Parvenu au crépuscule de sa vie, poussé à la narration par le dominicain, Bartolomé est amené à repenser aux heures les plus sombres et les plus inhumaines de cette conquête de territoires et de peuples. Ce récit à la fois biographique est romancé est fascinant tant pour son intérêt historique que pour ses qualités littéraires admirables. La plume est vraiment belle, elle parsème le récit de jolies surprises, de digressions passionnantes, elle désoriente le lecteur : détours poétiques, contes enchanteurs, promenades délicieuses... Décidément un très beau livre, un livre qui de plus, développe des images qui résonne à nos coeurs de lecteurs, comme cette métaphore magnifique entre l'île et la vieillesse ou celle qui unit l'écriture et la navigation, "la page blanche de[venant] une voile que l'on hisse"... Avec Erik Orsenna, "lire ressemble à regarder l'horizon. D'abord on ne voit qu'une ligne noire. Puis on imagine des mondes."
Un récit original, haut en couleurs et en parfums...
Remarquablement écrit!!!
Erik Orsenna aime filer la métaphore marine : les îles sont des « résumés » du monde et les livres, comme les bateaux, y font commerce de notre curiosité et de nos savoirs. J’y songeais au cours du long trajet ferroviaire qui m’emmenait hier d’un îlot familial à l’autre : le train avalait les kilomètres sous le regard de vaches, rousses au départ d’Auvergne, blanches à l’arrivée en Bourgogne et moi je dévorais « L’Entreprise des Indes ». Après avoir couru le monde pour nous rapporter les tribulations contemporaines du coton et de l’eau, Erik Orsenna remonte à la source de la mondialisation en nous contant la genèse de la « découverte des Indes » par la route maritime de l’ouest. Bartolomé, le jeune frère de Christophe Colomb, livre son récit : « c’est lui qui parle, c’est lui qui raconte », avec toute la verve, la malice et l’humanisme qu’y met l’écrivain dont on connaît le style pétillant. La gravité n’en est pas exclus : Bartolomé, ancien vice-roi d’Hispañola (Haïti) est à son dernier âge, son grand frère vénéré est mort, à l’éclat de la découverte a succédé l’horreur du massacre des Indiens, l’Inquisition et la chasse aux Juifs ravagent la péninsule ibérique. L’écrivain y trouve matière à toucher notre sensibilité : le génie de l’homme ne le préserve pas de la sauvagerie. La littérature est le mode d’expression irremplaçable de l’épopée humaine, ce livre lui fait honneur.
nb : délicat que ce roman soit récompensé par le jury du prix Orange ! Mais je le place très haut dans la production du moment.
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