"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Qui est le vice-consul? Pourquoi tirait-il de son balcon dans la direction des jardins de Shalimar où se réfugient les lépreux et les chiens de Lahore? Pourquoi adjurait-il la mort de fondre sur Lahore? Un roman de l'extrême misère:celle de l'Inde, mais aussi celle du coeur, débordant de culpabilité.
Ce livre c'est la misère et l'horreur sous le colonialisme, le non sens des blancs d'eux-mêmes, une destruction latente de tout. Tout semble pourrir sur place.
J'ai vu le film "India Song" il y a quelques mois et je pensais retrouver la trame dans "Le Vice-Consul". Et bien non, c'est un livre à part entière ayant deux destins de femmes en parallèle :
- celle de la mendiante de Savannakhet (Indochine) ayant vagabondé jusqu'à Calcutta en Inde. Chassée par sa mère (violente de toute façon) pour être enceinte sans être mariée, c'est la déchéance jusqu'à la folie. Elle chante la nuit, vit la nuit, se baigne la nuit (pour manger), résiste à la lèpre qui ne veut pas d'elle, elle pourrit sur place sans se décomposer, elle répète inlassablement comme une incantation identitaire le nom de son village. Elle mange les restes qu'Anne-Marie Stretter, l'ambassadrice, fait distribuer le soir. Elle a réussi à donner son premier bébé à une femme blanche ayant des enfants, ce qui n'est pas sans rappeler "Un barrage contre le Pacifique" qui est clairement l'histoire de cette femme qui leur a déposé son enfant. Dans d'autres oeuvres de Duras, "la folle de Calcutta" est aussi évoquée.
Parfois, je n 'ai pu m'empêcher de me demander si Duras n'était pas hantée par l'idée de ce qui aurait pu lui arriver si elle avait eu un bébé avec "l'Amant", un bébé dévoré par les vers.
- celle d'Anne-Marie Stretter, la femme de l'Ambassadeur de France à Calcutta. Elle semble un puits sans fond de tristesse qu'elle noie dans les relations sexuelles avec l'accord tacite de son mari. On dit qu'elle vivait avec un administrateur français en poste au fin fond de l'Indochine (comme la mendiante) et que l'Ambassadeur l'aurait ramené dans ses valises. Elle l'aurait suivi sans amour. Elle a, comme dans "Yeux bleus , cheveux noirs" ou "L'homme assis dans le couloir" et d'autres oeuvres, cette peau blanche, cette laideur qu'elle pourrait avoir, les yeux souvent fermés comme si elle dormait, une impudeur et le désir masculin qui lui colle à la peau : "Michael Richard la caresse. Elle s'est assise sur lui, les jambes relevées. [...] Michael Richard la prend tout entière" (p.197, éd. Gallimard de 1966).
Ce dernier d'ailleurs, présenté comme Anglais, ne peut pas ne pas rappeler Michael Richardson dans le "Ravissement de Lol V. Stein", celui qui partit du jour au lendemain pour suivre Anne-Marie Stretter aux Indes après avoir eu un coup de foudre. Le "Vice-Consul" a été publié après Lol V. Stein.
Et le Vice-Consul de Lahore ? Celui qui hurle à la folie, celui qui tire sur les lépreux, les mendiants et les glaces, celui qui tue, celui qui veut posséder physiquement Anne-Marie Stretter, celui qui fredonne Indianna's song? Dans le film "India Song", Michael Lonsdale joue ce personnage que Marguerite DURAS a fusionné entre le Vice-Consul et Michael Richard. C'est un fou.
J'ai retrouvé ici le style parfois alambiqué de Duras. Il m'a même fallu relire une phrase pour la comprendre, comme si l'auteur voulait nous perdre dans le méandre de ses phrases, comme se perd la mendiante:
N'a-t'elle pas marché davantage avant de trouver le fleuve qu'elle n'a marché en le suivant pour retrouver le nord?
Ce désir de nous perdre par la plume me semble être au cœur du roman même. Si le titre semble mettre le vice-consul au centre de l'histoire, il ne m'a pas semblé plus important dans le roman que la mendiante ou Anne- Marie; si on sait qu'il a un passé trouble, on n'apprend rien de ce qu'il a fait, si Anne-Marie Stretter est si triste, on n'en comprendra pas la raison, tout comme on ne comprendra pas vraiment le lien qui semble se tisser entre elle et le vice-consul sans que rien ne se produise réellement. Et puis, il y a ces passages entre le vice-consul et le directeur qui m'ont laissée dubitative. Duras oppose avec talent les espaces infinis de l'Indochine que traverse la mendiante aux villes indiennes étouffantes dans lesquelles vivent ambassadeur et vice-consul. Je vais encore avoir besoin de quelques romans pour totalement apprivoiser son univers. Peut-être que ce roman est en fait un tableau fragmentaire d'impressions vécues par Duras lors de sa vie en Orient puisqu'il semble qu'elle ait été obsédée par la vision réelle d'une mendiante vendant son enfant.
Il y a quelques temps, j'ai vu au cinéma "India Song", le film de Marguerite Duras tourné d'après ce livre. Film déroutant par sa forme : des personnages comme des décors, des voix off ou une récitante, des images presque fixes. J'ai eu envie de lire le livre qui a inspiré ce film. On y retrouve bien le style si particulier de Marguerite Duras. À découvrir même si c'est vraiment très particulier.
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