"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le bourdonnement incessant des cigales et la chaleur ne facilitent pas les choses pour Asa. La jeune femme vient de déménager à la campagne, et elle tente de s'adapter à la situation. Si son mari a changé d'emploi, elle a perdu le sien, et elle vit désormais près de ses beaux-parents, soucieuse de remplir ses journées vides de toute occupation sérieuse. Asa se décide donc à explorer son environnement et, lors d'une de ses promenades, tombe dans un trou. Cet incident sera le premier d'une série d'expériences étranges dans un monde peuplé de créatures bizarres. L'existence d'Asa prend alors un tournant imprévu...
Le Trou peut se lire comme une fable sur le monde du travail, le couple et les normes sociales qui régissent nos sociétés aux dépens des femmes. Sous la plume de Hiroko Oyamada, la critique sociale rencontre une envoûtante réécriture du monde par les moyens du réalisme magique.
Suite à la mutation professionnelle de son mari, la trentenaire Asahi quitte son énième CDD mal payé pour s’installer à la campagne, à proximité de ses beaux-parents, dans une maison qui appartient à ces derniers. Plus de loyer à payer et une vie de femme au foyer : pour sa collègue envieuse, c’est le rêve, le rêve « d’avoir quelqu’un qui subvient à tes besoins et de rester à la maison pour s’en occuper tranquillement, de faire son pain, de jardiner… La chance, la chance ! »
La jeune femme découvre donc un nouveau rythme de vie, dans la torpeur d’un été aussi abrutissant que l’infernale stridulation des cigales. Confinée sans moyen de locomotion dans un court rayon n’incluant que les proches voisins, le supermarché et la rivière, elle autrefois si active se retrouve à meubler ses journées de tâches ménagères répétitives, à cuisiner et à préparer le bento d’un mari qui travaille jusqu’à point d’heure et, une fois rentré, n’a d’yeux que pour son smartphone. Egalement pris par son travail, son beau-père est invisible. Sa belle-mère court entre ses obligations professionnelles et familiales. Ne reste que le grand-père, lui aussi livré à lui-même malgré sa tête plus tout à fait claire, tout entier absorbé par sa perpétuelle et unique activité : arroser sans fin le jardin.
Mais voilà que cet univers vide et figé s’anime soudain d’une étrange fantaisie. C’est d’abord un animal bizarre, peut-être un de ces tanukis, entre chien et raton laveur, qui ont nourri la mythologie japonaise, qui l’entraîne dans une zone de hautes herbes où elle tombe dans un trou profond, métaphore de son existence. Elle ne parvient à s’en extraire qu’avec l’aide d’une énigmatique voisine, pour enchaîner d'autres rencontres toutes plus fantasmagoriques les unes que les autres, comme si, à force de vivre en marge du monde, elle ne parvenait plus à comprendre le moteur des autres, désormais étrangère à leurs activités et à leurs préoccupations. Comme Alice au pays des merveilles tombée dans un puits à la suite du lapin blanc, Asahi s’initie à un monde parallèle, dont on ne sait plus la part de réel ou de fantasme, toute une intériorité qui la mènera peut-être à une nouvelle issue, qui sait ?
Profondément déconcertante dans son étrangeté inexpliquée et dérangeante, cette fable métaphorique empreinte de réalisme magique est une critique aussi sévère qu’onirique de la société japonaise. Le travail y avalant nuit et jour ceux qui en ont un, sans pour autant les préserver de la précarité comme ces salariés en CDD, qui, passés trente ans, ne trouveront sans doute jamais d’emploi stable et mieux payé, la vie de famille s’y réduit au croisement sans vrai partage de parcours la plupart du temps séparés, au point qu’Asahi, à force d’attendre son mari à la maison, se sente presque aussi isolée que ces hikikomori repliés dans leur bulle, faute de parvenir à se conformer à la norme sociale.
Un petit livre étrange, qui, après L’usine qui s’attaquait sévèrement au monde du travail japonais, démonte cette fois la famille et le mode de vie au pays du Soleil Levant, si contraignant et aliénant qu’il pousse certains à s’en extraire totalement dans un isolement extrême, ou à s’inventer une réalité altérée.
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