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« Je suis un "Arabe" invité à passer une nuit dans le musée Picasso à Paris, un octobre au ciel mauvais pour le Méditerranéen que je suis. Une nuit, seul, en enfant gâté mais en témoin d'une confrontation possible, désirée, concoctée. J'appréhendais l'ennui cependant, ou l'impuissance.
Pour comprendre Picasso, il faut être un enfant du vers, pas du verset. Venir de cette culture-là, sous la pierre de ce palais du sel, dans ce musée, pas d'une autre. Pourtant la nuit fut pleine de révélations : sur le meurtre qui peut être au coeur de l'amour, sur ce cannibalisme passionné auquel l'orgasme sursoit, sur les miens face à l'image et le temps, sur l'attentat absolu, sur Picasso et son désespoir érotique. »
Invité à passer une nuit dans le musée Picasso à l'automne 2017, alors qu'y était présentée l'exposition,
Partagez une nuit au musée de Picasso à Paris en compagnie de l’auteur Kamel Daoud. Dans son tout dernier roman » Le peintre dévorant la femme « paru aux éditions Stock en fin d’année 2018 dans la Collection Ma nuit au musée, Kamel Daoud se fait les yeux de la confrontation de l’art entre l’Occident et l’Orient. Si pour l’écrivain « il faut être un enfant du vers, pas du verset, pour comprendre Picasso », sa manière inédite d’appréhender l’ensemble des toiles du célèbre peintre est un appel à la méditation.
» Je suis un « Arabe » invité à passer une nuit dans le musée Picasso à Paris, un octobre au ciel mauvais pour le Méditerranéen que je suis. «
Déambulant seul dans l’antre dédié au peintre, dans la magie d’une nuit sacrée et consacrée à l’érotisme à travers l’art, l’auteur suspend le temps, dans une visite bien singulière des lieux.
p. 34 : » L’exposition est ordonnée comme un journal, disaient tous les prospectus. D’ailleurs, Picasso aime bien raconter que peindre c’est entretenir un journal, c’est-à-dire baliser le temps, le cadencer, le domestiquer, en faire un rythme choisi, pas un cycle subi. «
Marie-Thérèse Walter n’est âgée que de dix-huit ans lorsqu’elle rencontre Picasso qui en a alors cinquante ! A la fois offrande et désespoir, elle devient muse pour le célèbre peintre, dans cette année si sensuelle de 1932. Toujours peinte de profil, elle est ainsi consentante mais pas complice.
p. 73 : » Picasso se peint et se repeint dans le nu de la femme. Il vise le paroxysme de l’autoportrait : celui où on le voit de l’intérieur, dans la coupe verticale de ses obsessions, à partir du point de vue de sa hantise. «
A travers les toiles, force est d’admettre que la femme est source d’inspiration inexhaustible, objet de désir et de controverse, tout autant que de contemplation. Parfois en proie à une sorte de cannibalisme artistique, tel un animal traquant sa proie, Picasso déploie d’ingéniosité face à la représentation de l’érotisme.
p. 40 : » Il n’y a pas d’érotisme sans folie de possession. «
Que l’on vienne de l’Occident ou du Sud de la Méditerranée, la notion de représentation par l’image est équivoque. Si la culture de l’un non seulement l’autorise mais l’y encourage, l’autre y est appauvri par tout le poids d’une religion, dans tout ce que l’extrémisme a de plus pernicieux.
p. 173 : » La peinture ou l’art sont la déclamation de l’intime, une exposition dit-on à juste titre. Quand cette intimité est refusée, tout l’art est déclassé vers le vice ou la solitude. Les artistes fuient, se déguisent, sont tués ou s’exilent. Ils deviennent expression de la liberté refusée. «
C’est pourquoi, tel un miroir, l’auteur introduit dans sa narration le personnage d’Abdellah, prisonnier d’une culture castratrice de toute liberté et de jouissance, otage d’une certaine conception de la religion qui interdit toute représentation du plaisir. Ainsi, dans une sorte d’échange constant entre les pensées de l’un et les réflexions de l’autre, l’art devient un terrain de discordances.
p. 49 : » Mon personnage s’appellera donc Abdellah, l’esclave de Dieu, monstre né des chairs mortes des cadavres de notre époque, l’enfant d’un malheur qu’il perpétue. «
Faisant référence à de nombreuses reprises à l’œuvre de Daniel Defœ « Robinson Crusoé », pour son rapport à la nudité et à l’asservissement, Kamel Daoud amène le lecteur à s’interroger sur la perpétuelle confrontation entre l’Occident et l’Orient.
p. 204 : » Je me pose cette question à la fin : l’art peut-il guérir mon personnage de sa perte du désir du monde ? De sa violence qui croit trouver le soulagement par la destruction ? Je suis l’enfant d’un monde où l’érotisme est un silence. Le corps n’y est pas aimé mais subi. «
La couverture est le reflet de cette nuit au musée, faite d’humilité et de vastité. Composé de nombreux chapitres très courts, il en favorise l’absorption par le lecteur, car c’est un roman d’une grande richesse. S’il a mis un terme à sa carrière journalistique pour se consacrer pleinement à l’écriture, Kamel Daoud est, pour ma part, une révélation en tant qu’auteur. Il représente la puissance de l’écriture dans une plume de velours et de poésie. Si son écriture peut rester hermétique pour certains, c’est qu’il faut apprivoiser ses mots, prendre le temps de la lecture, non pas à la recherche d’un dénouement imminent, mais dans la délectation du subtile choix des mots et du sens. Il est un écrivain engagé vers l’ouverture. Un roman qui appuie et confirme sa virtuosité.
p. 103 : » Collectionner c’est sauver, préserver. Tout musée, dans ce cas, fait face à une barbarie présupposée, implicite. Si on collectionne, c’est parce que le reste du monde détruit. «
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