"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il y avait six canots sur le pont, calés dans leur berceau, sans compter la grande baleinière. Chacun était recouvert d'une bâche en grosse toile grise qui formait tente.
Une de ces bâches remuait, un vide se dessinait entre elle et le plat-bord, et l'on aurait pu penser à la présence de quelque animal si l'on n'avait distingué des doigts humains.
Un très bon Simenon sur fond exotique soutenu toutes les 4 ou 5 pages par une planche illustrée signée Jacques de Loustal.
Au bout d’un ponton en bois sur pilotis, deux hommes attendent d’embarquer sur l’Aramis, un cargo mixte, qui mouille au large de Panama. L’un est le Major Owen qui se fera conduire par la vedette de service et l’autre, un Français taiseux et renfrogné qui a décidé de la jouer solo en prenant un canot à rames indigène. Ils vont tous deux, se retrouver à bord, être accueillis par M. Jamblan qui remplit les fonctions de maître d’hôtel et de commissaire de bord pour les conduire à leurs cabines respectives.
« L’Aramis avait quitté Marseille vingt-deux jours plus tôt ; dans dix-huit jours il atteindrait Tahiti, puis onze jours plus tard encore, son terminus, aux Nouvelles-Hébrides. Là, il ferait demi-tour et reprendrait sa route en sens inverse. »
La plupart des passagers sont des habitués. Entre parties de cartes et apéritifs, tout le monde connaissait le commandant par son nom et les particularités de chaque officier.
Le Français et Owen purent lire leurs noms sur la liste des passagers affichée sur un tableau à droite de l’escalier :
« Alfred Mougins, de Panama »
« Major Philip Owen, de Londres »
Sans s’adresser la parole les deux hommes « avaient pour se mesurer les mêmes regards aigus d’hommes qui connaissent les hommes. »
Donc, venaient s’ajouter un administrateur des colonies venu éplucher les comptes dans les archipels français, quatre femmes, une vieille, une jeune, deux institutrices, un gros négociant de Nouméa, un prêtre, trois gendarmes et un Danois parti tenter sa chance dans les îles, plus l’équipage dont un télégraphiste et en bas des nègres nus aux chaudières, un chef mécanicien et, sous la bâche d’un canot de sauvetage, un passager clandestin.
Allez hop ! On est partis. Dans cinq jours les Galápagos, les poissons volants, le passage de l’Équateur et un éventuel typhon ou tout au moins sa fichue queue.
On arrive à Papeete / Polynésie.(1947)
« Le long de l’océan, ou plutôt du lagon, qu’une invisible bande de corail formant brisants séparait du large, un quai très vaste, au sol fait d’une terre rougeâtre avec deux rangs de flamboyants magnifiques. Et le vert sombre des arbres, le bleu du ciel, la pourpre du sol, le rouge plus vif de la robe d’une gamine qui passait à vélo, le blanc des costumes coloniaux, tout cela constituait comme un feu d’artifice dans le soleil. »
« L’auto glissait le long d’une rue où des maisons de bois peintes en couleurs vives étaient enfouies dans le vert sombre des jardins. (…) Plus loin, une maison en pierre blanche semblait avoir été amenée telle quelle des bords de la Loire, avec sa large enseigne en fer forgé qui portait en lettres dorées : ‘Hôtel du Pacifique’. »
« Un village. Une église en bois, toute blanche, avec un toit rouge et une mince flèche gravée dans le ciel. Une école, en bois aussi, sur pilotis comme la plupart des maisons de l’île, où, par les fenêtres ouvertes, on voyait vingt visages d’enfants… »
De bars en hôtels on va apprendre tous les petits secrets des uns et des autres parmi les passagers mais aussi parmi le petit monde des expatriés déjà installés dont un dénommé René Maréchal fils d’Arlette Maréchal et de Joachim Hillmann, un milliardaire décédé et qui laisse derrière lui un empire en dollars… Mais le dénommé Maréchal, lui, est absent. Il est parti pour trois semaines sur une goélette de ravitaillement …
Les énigmes sont nombreuses. L’histoire va se corser. Il y a danger… Les bons et les très méchants… Le passager clandestin qui va jouer un drôle de rôle… Le très regretté Simenon va tisser et entrecroiser les fils avec un talent sans pareil et les planches de Loustal vont nous faire rêver.
Le talent d’écrivain et le talent d’illustrateur réunis, nous font plonger, des mots à l'image, dans un polar et un voyage en Polynésie qui est un moment d’absolu plaisir récréatif.
Georges Simenon est mort le 4 septembre 1989. 2019 marque les 30 ans de sa mort.
On ne présente pas Georges Simenon qui, avec près de 200 romans et 155 nouvelles est le troisième auteur francophone le plus traduit dans le monde. Son oeuvre est publiée notamment par les éditions Omnibus / Presses de la Cité qui ont eu la belle idée de faire illustrer certains de ces romans par Loustal.
Jacques de Loustal, dit Loustal, auteur de bande dessinée et illustrateur français a publié à ce jour (et tous genres confondus) plus de 80 ouvrages. Son dessin facilement identifiable, très cinématographique, installe des atmosphères fortes. En tant que fervent admirateur de l'oeuvre de Simenon, il était le plus à même de mettre en valeur les mots et les ambiances si caractéristiques de l'oeuvre du père de Maigret.
Dans « le passager clandestin », paru en 1947, point de commissaire Maigret, et loin de ses décors coutumiers, quartiers de Paris ou province française, le grand romancier fait surgir sur une toile de fond exotique des personnages ambigus, dont les motivations ne sont pas forcément des plus nobles. Inquiétants, fascinants, ils nous entraînent sur leurs traces, et nous nous demandons à chaque page ce qu'ils cherchent.
L'Aramis a quitté Panama pour faire escale à Papeete. A son bord, le major Owen remarque un passager clandestin caché dans le canot de sauvetage. Une fois à terre, il découvre qu'il s'agit d'une jeune femme qui se rend à Tahiti pour la même raison que lui, retrouver le fils naturel d'un magnat de l'industrie cinématographique récemment décédé.
Avec ses fameux imparfaits et passés simples de l'indicatif, sa proverbiale économie dans l'emploi des épithètes comme des adverbes, le style Simenon est à son paroxysme dans ce roman.
Simenon observait ses contemporains, dévoilait leurs failles et faisait éclater la vérité en toute simplicité, dans le calme et le silence.
Le style Simenon, des décennies plus tard, continue d'hypnotiser la lectrice que je suis et « le Passager clandestin » fait partie des livres que les simenoniens de bon goût placent haut dans sa bibliographie.
Ajouter à cela les dessins de Loustal, que l'on dit très inspirés de David Hockney, et vous obtenez un très bel objet livre au papier épais, de ceux que l'on aime avoir dans sa bibliothèque.
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !