"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«Il était essentiel que j'écrive ce livre : une manière d'accueillir ce qui est arrivé, et de répondre à la violence par l'art.» Pour la première fois, Salman Rushdie s'exprime sans concession sur l'attaque au couteau dont il a été victime le 12 août 2022 aux États-Unis, plus de trente ans après la fatwa prononcée contre lui. Le romancier lève le voile sur la longue et douloureuse traversée pour se reconstruire après un acte d'une telle violence ; jusqu'au miracle d'une seconde chance. Le Couteau se lit aussi comme une réflexion puissante, intime et finalement porteuse d'espoir sur la vie, l'amour et le pouvoir de la littérature. C'est également une ode à la création artistique comme espace de liberté absolue.
" Je n'aime pas l'idée que l'écriture soit une thérapie, l'écriture c'est l'écriture, la thérapie c'est la thérapie, mais il y avait de bonnes chances qu'écrire cette histoire de mon point de vue m'aide à me sentir mieux. "
Son cerveau a manoeuvré au mieux pour continuer à être Rushdie, point barre.
Dans ce livre, je n’ose dire essai ou roman ou témoignage car les libraires autant que les médiathèques ne l’ont rangé sous aucun des termes auxquels j’aurais, moi, songé. Et pourtant il est un peu tout cela à la fois.
Dès la première page il campe le décor du drame, son drame, le drame de sa vie mais aussi celui de bien des écrivains. Je pense à des auteurs tels que l’Italien Roberto Saviano mais aussi à tout ceux qui savent qu’ils y ont été « fort » dans les propos et les faits dénoncés par leurs écrits et qui pourraient, un jour prochain, réveiller haine et sabotage de leurs vies.
Rushdie pensait être sorti depuis bien longtemps des années de détente aux enfers entamés après la parution de son cinquième livre, ‘’Les Versets sataniques’’ en 1988 ; l’ayatollah Khomeyni avait, il y a trente-trois ans, prononcé la fameuse condamnation à mort contre Rushdie, puis il avait été un peu comme gracié (le terme est certainement inapproprié mais c’est un peu tout comme). Malheureusement il persiste toujours des fous et haineux qui utiliseront n’importe quelle excuse pour faire exulter leur haine et commettre le pire.
Nous sommes le matin du vendredi 12 août 2022 dans un amphithéâtre de 4 000 personnes (pas totalement rempli) dans le nord de l’Etat de New York et apprenons que sous le thème ‘’Plus qu’un refuge. Redéfinir l’accueil américain.’’ Le Refuge « donne asile à un certain nombre d’écrivains en danger dans leur propre pays. Sa conférence devait parler « de la création en Amérique de lieux sûrs destinés aux écrivains venus d’ailleurs et de son engagements dans le projet ».
Il place le ralenti de l’attaque qu’il a subi par un jeune homme de 20 ans, jeune homme qu’il ne nommera jamais et qu’il laissera la majeure partie du livre sur le bord de la route. La mise à distance a son objectif, et on le comprend. Il a fallu qu’il gère sa psyché, qu’il dresse la bête qui aurait pu l’engloutir très facilement. Il meuble d’ailleurs la période suivant l’acte en nous parlant de tout et de rien. J’entends par là que je le suspecte d’avoir été un peu comme sur orbite l’année suivant le drame. Logique les soins et la rééducation ont pris la plus grande place, le stress post-traumatique a été mis dans un petit coin histoire de laisser faire le temps. Laisser venir à la fois le choix et les moyens d’aborder la souffrance psychique mais aussi, laisser retomber tout sentiment pouvant empêcher une reconstruction durable de l’attaque mental subie.
Ses yeux revoient l’avancée de l’homme au couteau mais il est comme figé, déjà choqué avant même d’être agressé. Après les coups de couteau il va gémir mais ne se rappèlera jamais de ses premières souffrances. Il campe aussi les deux derniers jours vécus par l’assaillants avant son passage à l’acte. Il conclura que « quels qu’aient été les motifs e l’agression, ce n’étaient pas ‘’Les versets sataniques’’ qui étaient en cause’’.
Passent ensuite une multitudes d’idées, de faits vécus, de sentiments. On passe de l’impression qu’il a que le « monde des poètes était bien plus convivial que celui des romanciers », par son amour pour la poétesse Eliza qu’il a connu en 2017 et épousé en 2021 pendant les restrictions liées au Covid, par sa relation difficile avec un père alcoolique et leur réconciliation bien trop tardive
Citations :
« J’ai toujours voulu écrire sur le bonheur, en grande partie parce que c’est extrêmement difficile. L’écrivain français Henry de Montherlant est l’auteur de cette formule célèbre : ‘’Le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches’’. En d’autres termes, on ne peut pas le faire apparaitre sur la page. Il est invisible. Il ne se montre pas. Eh bien en voilà un défi, me suis-je dit, j’aime les défis. »
« Le voyage qui permet de franchir la frontière entre Poésieland et Proseville semble souvent passer par Mémoiristan. Les mémoires dans la période littéraire actuelle sont devenus une expression artistique majeure, il nous permet de remodeler la perception que nous avons du présent grâce aux expériences personnelles et au passé extraordinaire des mémorialistes. »
« Il est un genre de bonheur intense qui préfère l’antimite, qui s’épanouit loin du regard du public, qui n’a pas besoin d’être connu pour être validé, un bonheur réservé aux gens heureux, qui est, en soi, suffisant. »
« Ce qui ne peut être soigné, doit être supporté. »
« Il y avait vraiment de quoi pleurer, mais il n’y avait pas de larmes. »
En 2022, trente-trois ans après la fatwa lancée contre lui à cause de son roman Les versets sataniques, Salman Rushdie est attaqué au couteau alors qu’il s’apprête à donner une conférence aux Etats-Unis… sur la protection des écrivains menacés de persécution ! Survivant miraculeux, il met ici en mots l’attentat et sa longue convalescence, manière pour lui de « s’approprier » ce qui lui est arrivé, mais aussi d’opposer l’amour des siens et la liberté de la littérature à la violence fanatique.
Ce jour-là, alors qu’après une décennie de clandestinité sous haute protection policière en Angleterre, l’écrivain désormais installé à New York a peu à peu repris une vie plus normale, ce qui semble enfin faire partie du passé refait subitement surface. Vingt-sept secondes d’attaque et quinze coups de couteau plus tard, la vie de Salman Rushdie n’a plus de place que pour l’urgence absolue. Exit la magie métaphorique : le récit minutieusement réaliste est un corps-à-corps physique avec le sang et la douleur, du choc de l’agression, de la course contre la montre médicale, puis de la réanimation miraculeuse mais ravagée, au long supplice d’une réparation longtemps incertaine, débouchant sur des séquelles irrémédiables, parmi lesquelles la perte d’un œil et de l’usage d’une main.
La peur aussi a fait son grand retour, qui vient ébranler épouse et grands enfants également. Comment reprendre le cours de l’existence sans craindre couteaux ou autres partout ? C’est un cheminement intérieur titanesque que l’auteur et les siens se sont retrouvés à accomplir, un parcours terrible mais obstinément tourné vers l’espoir et la lumière. Mise en mots de l’innommable, la narration est en même temps une formidable déclaration d’amour de l’auteur à son épouse, la romancière, poète et photographe Rachel Eliza Griffiths dont l’indéfectible dévouement parvient au final à faire passer l’amour devant la barbarie. Fort de ce soutien des siens, de ses lecteurs et de l’opinion publique en général, l’auteur qui, en plus de ses moyens physiques, a dû aussi se battre pour retrouver le goût d’écrire, se revigore d’une réflexion érudite, rappelant ces autres écrivains - à commencer par le Nobel égyptien Naghib Mahfouz -, mais aussi tous ces hommes et ces femmes tués ou menacés par le fanatisme religieux - en particulier en Inde, le pays de ses origines aujourd'hui la proie d’un radicalisme hindouiste -, et se félicitant de la flamme toujours renaissante de l’art et de la littérature, vecteurs têtus des Lumières et de la liberté.
Passerelle jetée par-delà la violence et l’intolérance nées des failles de nos sociétés, cet ouvrage de transition dans l’oeuvre de Salman Rushdie annonce le retour en littérature d’un homme augmenté, par les épreuves et le miracle d’une seconde chance, d’une conscience désormais très aigüe du bonheur et des pouvoirs libérateurs de la littérature.
27 secondes. C'est le temps que dura l'attaque au couteau de ce jeune assaillant américain de 24 ans d'origine libanaise, contre l'écrivain Salman Rushdie, alors âgé de 75 ans, le 12 août 2022 à Chautauqua dans l'Etat de New York.
Ciblé par une fatwa à l'initiative de l'ayatollah Khomeini en 1989 après la parution des « Versets sataniques » , Salman Rusdie devient un symbole de la lutte pour la liberté d'expression et contre l'obscurantisme religieux.
Publié aux éditions Gallimard le 18 avril dernier, » le couteau, réflexions suite à une tentative d'assassinat » est certainement le plus intimiste et le plus vibrant des romans de Salman Rushdie.
Dans ce roman autobiographique, Salman Rushdie fait l'éloge de l'Amour. Ils ne se connaissent que depuis quelques années lorsque le drame a lieu. Et pourtant, la romancière, poète et photographe Rachel Eliza Griffiths sera certainement la pièce maîtresse de son rétablissement improbable au vue de la gravité des blessures. A plusieurs reprises dans le texte, il insiste sur la force de leur amour, sur l'unité de leur couple et la bienveillance inaltérable qui les unit. La présence également à ses côtés de ses deux fils, de sa soeur et de ses fidèles amis, sera pour l'auteur une aide précieuse à son rétablissement.
» J'ai toujours pensé que l'amour est une force, que, sous sa forme la plus puissante, il peut déplacer les montagnes. Il est capable de changer le monde. «
Mais pour l'auteur aux 22 livres publiés, après la guérison physique (malgré la perte de son oeil droit) il est indispensable de poser les mots. D'écrire sur ce drame avant de tourner la page.
» Tant que je n'aurais pas affronté l'attaque, je ne pourrais rien écrire d'autre. Je compris qu'il fallait que j'écrive le livre que vous êtes entrain de lire avant de pouvoir passer à autre chose. Ecrire serait pour moi une façon de m'approprier cette histoire, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d'être simple victime. J'allais répondre à la violence par l'art. «
Après des mois de convalescence physique donc, que Salman Rushdie décrit avec autant de simplicité que d'humour, l'heure est à la résilience. Et pour ce faire, il met en scène un dialogue fictif avec A., l'auteur de l'attaque. Une manière d'exorciser une rencontre/une confrontation qui n'aura certainement jamais lieu…
» Je dois inventer une façon d'entrer dans sa tête, je dois essayer de l'imaginer, de le rendre réel. «
Ce nouveau roman de Salman Rushdie est une déclaration d'amour à la vie, aux secondes chances et surtout à l'écriture !
https://missbook85.wordpress.com/2024/06/01/le-couteau/
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