"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
A travers l'histoire d'une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature classique un épisode inoubliable de sa jeunesse.
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l'époque de l'empire soviétique finissant. Dans la cour de l'école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d'anciens prisonniers, d'aventuriers fourbus, de déracinés égarés «qui n'ont pour biographie que la géographie de leurs errances. » Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu'ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l'indépendance de l'Arménie.
De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d'Arménie » miniature : la mère de Vardan, Chamiram ; la soeur de Vardan, Gulizar, belle comme une princesse du Caucase qui enflamme tous les coeurs mais ne vit que dans la dévotion à son mari emprisonné ; Sarven, le vieux sage de la communauté...
Un adolescent ramassant sur une voie de chemin de fer une vieille prostituée avinée qu'il protège avec délicatesse, une brute déportée couvant au camp un oiseau blessé qui finira par s'envoler au-dessus des barbelés : autant d'hommages à ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l'Histoire. » Le narrateur, garde du corps de Vardan, devient le sentinelle de sa vie menacée, car l'adolescent souffre de la « maladie arménienne » qui menace de l'emporter, et voilà que de proche en proche, le narrateur se trouve à son tour menacé et incarcéré, quand le creusement d'un tunnel pour une chasse au trésor, qu'il prenait pour un jeu d'enfants, est soupçonné par le régime d'être une participation active à une tentative d'évasion...
Ce magnifique roman convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal, et celle de l'auteur pour son ami disparu lorsqu'il revient en épilogue du livre, des décennies plus tard, exhumer les vestiges du passé dans cette grande ville sibérienne aux quartiers miséreux qui abritaient, derrière leurs remparts, l'antichambre des camps.
Le narrateur se souvient de ses treize ans, lorsqu’il vivait dans un orphelinat en Sibérie. En cette année 1973, il s’était lié d’amitié avec un adolescent, Vardan, dont la maturité et la fragilité déclenchaient les persécutions de ses congénères. Cet ami habitait le « Bout du Diable », un misérable quartier de laissés-pour-compte. S’y était établie une petite communauté arménienne, venue du Caucase soutenir des proches arrêtés pour subversion séparatiste et anti-soviétique parce qu’ils avaient créé une organisation clandestine pour l’indépendance de l’Arménie. Ces gens ne restèrent que quelques semaines, le temps d’un procès qui devaient condamner les prisonniers au goulag. Mais pour le narrateur, jamais ne s’effacerait la nostalgie de cette amitié bien vite perdue, qui l’avait irrémédiablement transformé. Des décennies plus tard, son récit fait revivre ce Vardan que la « maladie arménienne », alors incurable, avait prématurément mûri, et ses proches, inoubliables et tragiques figures du drame arménien, qui l’avaient si chaleureusement accueilli.
Magnifique hommage à son ami disparu et aux Arméniens, « ces copeaux humains, ces vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire », ce roman autobiographique n’évoque le génocide d’une part, les persécutions soviétiques d’autre part, qu’avec la plus grande pudeur, d’une manière quasiment toujours indirecte. Une vieille photo de famille, une curieuse poupée aux mains jointes, un vol d’oiseaux migrateurs aperçu de la lucarne d’une cellule… : ces bribes d’humanité forment la trame d’une narration tissée autour de vestiges, de ce qui a survécu à la tourmente et qui laisse entrevoir en creux toute la violence et la furie destructrice desquelles elles réchappent. Ainsi, refusant tout apitoiement, le récit assemble les instants de beauté pure, éphémères mais lumineux, ceux que les survivants, mais aussi un adolescent condamné par la maladie, désignent à l’attention du narrateur, changeant à jamais son regard sur le monde et sur la vie.
Profondément touchant dans sa manière de maintenir l’émotion à distance, le texte est souvent d’une grande beauté, soulignée par la facture classique et soignée de son style. Dans cet univers crépusculaire nimbé du désespoir le plus noir, surgit une étonnante lumière, celle d’un humanisme malgré tout irréductible, qui adoucit la tristesse douce-amère de cette histoire et lui donne une portée universelle.
Un roman magnifique, pudique et respectueux hommage aux Arméniens, mais aussi touchante ode aux valeurs humaines. Coup de coeur.
Quelque part dans les années '70, au fond de la froide et désolée Sibérie soviétique, le narrateur, un orphelin de 13 ans, se lie d'amitié avec Vardan, un an plus âgé. D'origine arménienne, Vardan est arrivé avec sa famille dans ce bout du monde, à 5000km du Mont Ararat, pour suivre dans leur exil les prisonniers arméniens, déportés de leur terre natale pour cause de nationalisme anti-soviétique. La petite communauté s'est installée au Bout du Diable, un quartier déshérité en bordure de la ville, à côté de la prison.
Peut-être parce qu'il est orphelin et n'a jamais connu la chaleur d'un vrai foyer, le narrateur est fasciné par la solidarité qui règne entre les Arméniens, leur générosité malgré leur dénuement, leur force et leur noblesse de caractère, leurs traditions et l'histoire tragique de leur peuple, qu'il découvre au fil des récits de la mère de Vardan.
Si cette histoire d'amitié adolescente, pourtant brève, a durablement marqué le narrateur, elle ne m'a pas touchée, moi. Je ne suis pas arrivée à y croire, je n'ai pas ressenti ce que le narrateur a ressenti, je n'ai pas vraiment compris pourquoi cette histoire a pris autant d'ampleur dans sa vie, j'ai eu l'impression qu'il magnifiait et adulait à l'excès tout ce que pouvaient dire ou faire Vardan et sa famille. Malgré que la vie les ait déjà durement malmenés malgré leur jeune âge, j'ai trouvé ces deux gamins trop précoces avec leurs échanges philosophiques de vieux sages.
Avec une certaine poésie, le récit fait la part belle aux thèmes de la nostalgie et de la mémoire, dans un style formellement irréprochable, mais trop classique et trop lisse à mon goût. Je n'y ai pas trouvé le supplément d'âme qui m'aurait rendu cette histoire inoubliable.
A travers l’histoire d’une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature classique un épisode inoubliable de sa jeunesse.
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l’époque de l’empire soviétique finissant. Dans la cour de l’école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d’anciens prisonniers, d’aventuriers fourbus, de déracinés égarés «qui n’ont pour biographie que la géographie de leurs errances. »
Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu’ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l’indépendance de l’Arménie.
De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d’Arménie » miniature : la mère de Vardan, Chamiram ; la sœur de Vardan, Gulizar, belle comme une princesse du Caucase qui enflamme tous les cœurs mais ne vit que dans la dévotion à son mari emprisonné ; Sarven, le vieux sage de la communauté…
Un adolescent ramassant sur une voie de chemin de fer une vieille prostituée avinée qu’il protège avec délicatesse, une brute déportée couvant au camp un oiseau blessé qui finira par s’envoler au-dessus des barbelés : autant d’hommages à ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire. »
Le narrateur, garde du corps de Vardan, devient le sentinelle de sa vie menacée, car l’adolescent souffre de la « maladie arménienne » qui menace de l’emporter, et voilà que de proche en proche, le narrateur se trouve à son tour menacé et incarcéré, quand le creusement d’un tunnel pour une chasse au trésor, qu’il prenait pour un jeu d’enfants, est soupçonné par le régime d’être une participation active à une tentative d’évasion…
Ce magnifique roman convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal, et celle de l’auteur pour son ami disparu lorsqu’il revient en épilogue du livre, des décennies plus tard, exhumer les vestiges du passé dans cette grande ville sibérienne aux quartiers miséreux qui abritaient, derrière leurs remparts, l’antichambre des camps.
L'ami arménien convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal et celle de l’auteur pour son ami disparu qui souffrait de la « maladie arménienne ». Ce roman nous embarque en plein cœur d'une communauté exilée, certes pauvre, mais digne et ô combien riche de l'essentiel. Probablement parce qu'il est orphelin, le narrateur tel un papillon, est irrésistiblement attiré par la lumière et la chaleur qui émane de ce "royaume d'Arménie", de sa générosité et de son hospitalité. "Le bout du diable" est un lieu où l'histoire de l'Arménie ne meurt jamais, elle se transmet. À travers ce peuple déraciné et son ami, l’auteur va découvrir les horreurs que les arméniens ont subies. Il va découvrir aussi la solidarité, la fidélité avec Gulizar la sœur de Vardan, mais aussi la sagesse avec Sarven. Malgré l'oppression, le déracinement, leur misérable condition de vie, l'incertitude du lendemain, cette communauté offre une belle leçon d'humanité et d'espérance.
Quant à Andréï Makine, avec sa plume poétique, il rend un bel hommage à son ami disparu et aux siens, ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire. » Un seul bémol, à vouloir poser sur son récit un voile de pudeur, l'auteur tient un peu le lecteur à distance, sentiment accentué en raison de son style d'écriture. Malgré cela, L'ami arménien est à lire pour ne pas oublier et pour la plume de l'académicien, Andréï Makine.
https://the-fab-blog.blogspot.com/2021/05/mon-avis-sur-lami-armenien-de-andrei.html
https://leslivresdejoelle.blogspot.com/2021/05/lami-armenien-dandrei-makine.html
" Il m'a appris à être celui que je n'étais pas", c'est ainsi que commence cette histoire d'amitié entre deux adolescents.
L'histoire se déroule en Sibérie centrale dans les années 70, à l’époque de l'empire soviétique finissant. Le narrateur avait treize ans et vivait dans un orphelinat quand il se lia d'amitié avec Vardan, son aîné d'un an qui vivait avec sa mère Chamiram dans une pièce louée au "Bout du diable", un quartier qu'une dizaine d'Arméniens avait choisi quelques semaines plus tôt comme lieu d'échouage pour ne pas s'éloigner de leurs proches, incarcérés dans l'attente d'un procès. C'était le "royaume d'Arménie" que les gens de la ville évitaient soigneusement.
Dans la cour de l'école, la narrateur a pris la défense de Vardan, harcelé pour son visage à l'apparence féminine puis l'a protégé quand il a su qu'il était atteint de la maladie dite "arménienne", un mal héréditaire, il est alors devenu la "sentinelle de sa vie menacée". En raccompagnant son ami à son domicile il a fait connaissance avec la petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour "subversion séparatiste et complot anti-soviétique" parce qu'ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l'indépendance de l'Arménie.
Dans ce roman se croisent deux nostalgies, la nostalgie d'une amitié pour le narrateur et la nostalgie du pays natal pour les arméniens. Le narrateur va découvrir ce peuple déraciné, ses rythmes et ses rituels mais aussi les horreurs dont il a été victime et la solidarité qui unit ses membres. Il va se sentir bien au sein de cette communauté où règne une tendresse qu'il n'a jamais connue à l'orphelinat, il découvre ce que peut être une famille, un monde bien différent de celui où il a toujours connu. L'écriture d'Andréï Makine est bien entendu irréprochable mais je l'ai trouvée parfois un peu trop travaillée avec des passages un peu grandiloquents. Même si son vécu et sa santé vacillante ont donné à Vardan une maturité exceptionnelle, j'ai parfois trouvé que les pensées philosophiques, les réflexions sur la vie que l'auteur lui prêtait étaient assez incongrues dans la bouche d'un adolescent de cet âge. Malgré quelques scènes marquantes, malgré le caractère lumineux de Vardan, ce roman ne m'a malheureusement pas touchée autant que je l'aurai souhaité.
Dans ce récit, le lecteur qui s’attacherait de trop près au titre sera rapidement surpris, mais ce de façon très positive, car il n’y est pas question que de l’amitié, loin de là. Le narrateur se trouve dans un orphelinat de Sibérie, aux conditions d’éducation et d’hébergement très dures, marquées par l’arbitraire, la cruauté et la violence gratuite des condisciples de l’établissement. A quelle époque se situent ces événements ? Probablement dans les années cinquante-soixante, ces années où le soviétisme fait encore illusion avant son écroulement du début des années 90.
Il y a une amitié entre le narrateur et Vardan, un garçon du même âge, en butte à la violence d’autres adolescents soucieux de profiter de ses faiblesses et d’un état d’infériorité. Vardan éprouve de la compassion à la vision d’une prostituée et c’est l’occasion pour lui de resituer la signification de la souffrance, et sa réelle place : « Or, ce que disait Vardan allait bien au-delà de ce jeu d’antithèse sociales. Le malheur et la déchéance d’un être rendaient inacceptable toute la fourmilière humaine. Oui, tout entière ! »
Le narrateur et Vardan vivent dans le quartier du Bout du diable, déshérité et peuplé en majorité d’Arméniens. A l’occasion d’une visite chez la mère de Vardan, Chamiram, celui-ci scrute une photographie accrochée sur le mur. Ce sont des parents de la famille, des victimes du génocide de 1915, perpétré par les autorités de l’Empire ottoman et ayant provoqué la mort de plus d’un million et demi d’Arméniens dans des conditions de cruauté et de souffrance rarement atteintes dans l’histoire. Ces personnages, ce sont celles de Sarkisian, un horloger, et d’Altounian, un négociant en tissus.
Vardan joue là encore le rôle du révélateur, mais d’une façon sobre, faite de peu de mots, mais très évocatrice de l’horreur de l’événement : « Et pourtant, c’étaient précisément ces mots dénués de toute emphase et l’extrême simplicité de leur sens littéral qui rendirent à l’horreur vécue par les Arméniens une vérité sans recul possible, à la fois insupportablement réelle et fantasmagorique. »
Ce qui séduit, aussi, dans ce roman, c’est de voir resituer, redessiner des notions morales importantes, ainsi celle de la normalité. Vardan suggère à son ami de ne plus craindre d’être « anormal », de ne pas craindre de se tenir à l’’écart, sur le bas-côté : « Oui, la possibilité de m’en décaler-et de « sortir du cercle
Dessiné sur l’asphalte ». Quitte à être traité de pas normal. »
Enfin, et ce n’est peut-être pas un aspect anecdotique du roman, l’évocation du poids de l’héritage du communisme soviétique sur les comportements et les jugements des citoyens de ce pays est souligné à plusieurs reprises, « Ces humbles copeaux humains sacrifiés sous la hache des faiseurs de l’Histoire. »
La révélation finale du livre surprendra le lecteur, mais elle ne minorisera pas l’intérêt de ce beau texte sur l’amitié, l’histoire, la petite et la grande, et la nécessaire préservation des valeurs morales qui maintiennent en nous l’humanité.
C'est un bel hommage qui est rendu à l'Arménie à travers Vardan, que le jeune narrateur place au centre de son histoire, laquelle se déroule quelque part en Sibérie centrale. L'Arménie, cette ancienne république socialiste soviétique, séparée de la Russie par la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Encore une fois, c'est l'histoire, les histoires de déracinés, celle du jeune Vardan, celle qui le reliait à son pays natal, celle du narrateur orphelin dépourvu de toutes racines familiales, et celle de cette diaspora qui vit dans ce qu'il semble être ni plus ni moins qu'un ghetto poétiquement nommé « Royaume d'Arménie ».
J'ai d'abord perçu ce roman comme un livre de souvenirs de cette amitié passée du haut des treize ans du jeune narrateur, de son ami qui a contribué à son développement, le récit d'un guide, d'un apprentissage à une vie et une réflexion adultes, loin de ses sentiments et de ses réactions de jeune adolescent. On ne saura vraiment ou exactement, en Russie, se déroule ce récit. Vardan, du haut de ses quatorze années, est un adolescent déjà bien aguerri, plus éveillé aux problématiques de leur société et à ceux qu'elle maltraite, à ses parias, Puisque en tant qu'arménien, il est lui-même un de ces êtres exclus et moqués. Il y avait différentes formes de rejets dans cette société, et Vardan apparaissait comme appartenir au tout dernier cercle, de cette famille de renégats, logés au « Bout du diable », regroupant tous les laissés-pour-compte de tous poils – anciens prisonniers, aventuriers, et les exilés qui logent au Royaume d'Arménie. C'est aussi la fascination d'un enfant pour ces quelques représentants d'un lointain pays, pour la famille de Vardan, laquelle même si elle se pose très loin des schémas familiaux traditionnels, représente tout de même un embryon de vie qui lui paraît inaccessible. Si le narrateur vit par procuration cette amorce de vie arménienne, la lectrice que je suis l'a également vécue à travers lui.
C'est une écriture grave, que déploie là Andreï Makine, celle d'un homme ayant bien vécu, qui se retourne sur cette amitié aussi éphémère qu'exceptionnelle, celle d'un homme qui a réussi à prendre conscience de la vision si clairvoyante, bien qu'intransigeante de son ami d'antan. Une vision amère de la vie qui est devenue sienne. Une réflexion d'autant plus profonde que le temps de la narration donne justement l'impression que le temps s'est arrêté, avec son ami et dans ce Royaume d'Arménie, aussi irréel qu'il fut fugace. L'emploi du passé simple confère au récit une dimension quasi fantasmagorique, presque légendaire, et rend à la lectrice que je fus cette impression d'avoir été confronté à un récit d'un autre temps, d'un autre siècle, d'une Odyssée mythique dont Andreï Makine que parvient à ressusciter à travers la poésie de son écriture. Il y a des pages absolument incroyables notamment lorsqu'il évoque l'Arménie, son ami, sa famille et ce Royaume d'Arménie, ainsi que de l'histoire de ce pays et de sa mythologie, représenté à travers sa montagne sacrée, bien que turque aujourd'hui, l'Ararat, d'une richesse puissante, dont je me suis délectée.
Et, c'est aussi ce qui m'a conduit à vouloir lire ce livre, comprendre le lien qui unissait l'Arménie à feue l'URSS, et plus largement l'attitude de l'autorité soviétique envers ses minorités, qui avait à l'époque fait l'objet d'assauts insurrectionnels afin de retrouver leur indépendance, pour comprendre l'exode de cette communauté. Andreï l'explique, certes, sans rentrer dans les détails, mais suffisamment pour avoir été fascinée par ce pan de l'histoire soviétique. L'histoire de l'Arménie représente également l'histoire de toute une multitude d'autres peuples, qui se sont entredéchirés après l'implosion de l'URSS et qui continuent, par ailleurs, à se confronter les unes aux autres. Il n'y a qu'à se pencher sur l'actualité du Karabakh. À travers l'existence de cette communauté, C'est un constat également sur l'histoire, ou ce qu'Andreï Makine appelle « un cirque humain », qui finit par dévorer inexorablement les drames nationaux et personnels des uns et des autres dans un oubli dévastateur. Et surtout Vardan, cet ami arménien, ce petit être qui n'en donne pas l'air, mais qui détient une force unique, un caractère infiniment plus forgé que ce qu'il laisse entrevoir de lui-même, l'un de ces héros de tragédies, un Ulysse qui a perdu la route pour rentrer chez lui, une étincelle aussi ardente qu'éphémère, qui va influencer durablement sur la vie de son ami russe.
Je suis ressortie de ce roman infiniment plus satisfaite que je ne l'avais été après le Testament Français, j'ai davantage été sensible au récit de ce narrateur anonyme en prise avec une culture qu'il lui est totalement étrangère, avec la personnalité hors-norme de cet ami, de cette trop courte amitié qu'il a vécu, intensément, de cette diaspora désormais disparue, sans laisser de traces si ce n'est dans sa mémoire. Et enfin on ne peut rester insensible face à cette errance initiatique dans laquelle s'est engagé notre orphelin vers un âge adulte qui conservera précieusement la mémoire de Vestan et de sa mère.
Andréi Makine est un auteur attachant, et on a le sentiment d'apprendre à mieux le connaître, de livre en livre. Pourtant ce n'est pas la dimension autobiographique du livre qui frappe, car elle n'est pas première, étant donné la discrétion d'un auteur qui ne s'apitoie guère sur lui-même. Ce qui touche, c'est l'amitié entre deux adolescents, tous deux un peu marginaux, l'un parce qu'il est dans un orphelinat, l'autre parce qu'il est malade et arménien. Deux adolescents idéalistes comme on peut l'être à cet âge lorsqu'on est très sensible et artiste, deux êtres à la fois fragiles et avides de vivre et d'aimer.
L'Arménie et le génocide sont la toile de fond du récit. Un peuple attaché à ses rites, dont la cafetière d'argent patiné est un des symboles. La maladie dite "arménienne", ou fièvre méditerranéenne, particularité d'un pays dont le destin est marqué par la souffrance. Les liens familiaux soudés, la figure maternelle généreuse qui a adopté le jeune Vardan, la soeur d'une grande beauté, le vieil homme sage que l'on vient consulter, tous font pénétrer dans un "royaume" arménien sacrifié par l'Histoire. Un livre accessible, dense et émouvant, qu'il faut impérativement lire et faire lire.
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