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« Louise éteint la radio. La décision s'impose à elle. Elle doit voir cet homme. Elle doit lui parler. On ne décide pas de publier les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline comme ça. Elle veut comprendre.
Comment l'envie est venue et pourquoi l'annonce de leur suspension n'arrive pas à l'apaiser.
[...] Demain, elle prendra le premier train pour Paris, s'engouffrera dans le métro et marchera jusqu'au numéro 5 de la rue Gaston-Gallimard.
Elle sait qu'elle n'a aucune chance d'être reçue. Louise n'est pas écrivain ni journaliste.
Louise est la petite fille du déporté numéro 21 055. »
Le jour où Louise, dix-sept ans, apprend qu'Antoine Gallimard a décidé de rééditer les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, elle se dit qu'elle doit voir cet homme et tenter de comprendre une telle décision. Louise lit beaucoup, elle aime les auteurs, les livres. Elle est la petite-fille du déporté politique numéro 21 055, réfractaire au Service du Travail Obligatoire.
Très court texte dont j'ai découvert un extrait très tentant grâce au Prix Hors Concours, ce prix qui récompense un livre issu de l'édition indépendante : première sélection sur extrait par un panel large, puis un jury d'experts lit les cinq titres choisis et élit le lauréat. Une idée excellente pour découvrir des auteurs et des maisons d'édition.
Revenons maintenant à ce court livre que je n'ai pas pu lâcher. C'est l'histoire de Louise qui est racontée, celle de sa famille, son grand-père Gilbert, déporté à Buchenwald pour raisons politiques, son père Laurent qui n'a jamais vraiment pu parler à Gilbert de ce qu'il a vécu et qui hésite toujours se renseigner et à en parler à Louise.
C'est aussi l'histoire de la maison Gallimard, notamment pendant les années de guerre où Gaston Gallimard eut, pour le moins, une attitude ambiguë. Puis, le petit-fils, Antoine qui décida en 2012 de faire entrer dans La Pléiade, le très collaborateur Drieu La Rochelle avant de laisser entendre donc que les écrits antisémites de Céline pourraient être édités par Gallimard.
Géraldine Collet écrit simplement, sans effets. Elle va au plus court mais n'omet rien. En fait, une fois tournée la dernière page (la 58), rien ne paraît en trop ni manquer. Elle parle de l'antisémitisme depuis la guerre, de ces idées nauséabondes qui montent partout dans le monde, de l'intolérance, de la haine, de la peur. Entre les lignes, on lit aussi l'interrogation qui agite les céliniens et autres : peut-on apprécier un auteur pour son style, même s'il a écrit des horreurs ? J'avoue n'avoir pas de réponse, j'ai beaucoup aimé Le voyage au bout de la nuit.
C'est un court livre à s'offrir et à offrir. Une maison d'édition que je découvre. Malheureusement, ce livre ne fait pas partie des cinq finalistes du Prix Hors Concours.
Engagé, sociétal, ce récit bénéfique est une nécessité de lecture. Il pointe du doigt là où ça fait mal. N’attise pas les braises, au contraire. Il éclaire, incite au débat en tête à tête avec le lecteur. Géraldine Collet écrit avec conviction et l’on sent dans la narratrice, la jeune Louise une grande part d’autobiographie. Les glas ont sonné. Louise veut rencontrer Antoine Gallimard. Déposer son manteau lourd aux formes éteintes et grises, si douloureuses au pied des marches éditoriales. Elle désire de toutes les forces d’une résiliente en devenir conter l’histoire de son grand-père, déporté au n° 21055. Crier face aux fenêtres du n°5 de la rue Gaston Gallimard l’arrivée de Gilbert à Buschenwald le 19 septembre 1943. Ce récit à double lecture est aussi un cri dans la nuit. Un rideau sombre qui cache les non-dits éditoriaux, la folie d’éditer ce qui ne peut voir le jour sans risquer un tremblement de terre sur les consciences. Osez le plausible, c’est déjà trop. Louise veut comprendre. On édite pas les pamphlets antisémites de Louis Ferdinand Céline sans raison. Elle veut savoir. « La Suspension » est riche de faits. Il faudra la ténacité de Serge Klarsfeld pour abolir cette naissance risquée. Le 13 janvier 2018 Antoine Gallimard déclare dans le journal « Le Monde » « Si j’ai Serge Klarsfeld contre moi je ne peux rien faire. » Ce récit courageux est bien plus que l’abîme sulfureux de pouvoir lire à ciel ouvert ces pamphlets. Il démontre aussi l’envers du décor . Lire Drieu aujourd’hui c’est adhérer en silence à l’Association « Drieu de La Rochelle » dont le responsable n’est autre que Daniel Leskens un nom connu des mouvances néonazies belges. Ce récit qui bouscule et éveille aux faits réels est d’utilité publique. Il devrait se trouver sur le fronton de La République. La liberté universelle est certes la somme de chacun mais doit on tout accepter ? Percutant et capital « La Suspension » des Editions Rue de l’échiquier est en lice pour Le Prix Hors Concours 2019 Gaëlle Bohé. Et c’est une grande chance des Lumières.
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