"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au coeur d'une grande capitale latino-américaine qui bascule dans la guerre civile, Adelaida Falcón doit se battre au quotidien pour survivre au milieu des combats. Courageuse, lucide et pragmatique, elle fera tomber toutes les barrières pour s'échapper de ce monde apocalyptique.
Adelaida Falcón vient d'enterrer sa mère lorsque de violentes manifestations éclatent à Caracas. Isolée et atterrée, Adelaida incarne la détresse d'une partie de la population qui voit le pays dans lequel elle a grandi plonger dans une guerre civile. Son appartement ne tarde pas à être « occupé » par un commando de femmes paramilitaires qui la dépouille de toutes ses affaires au nom de la Révolution. Mais au lieu de quitter l'immeuble, Adelaida tente de trouver refuge chez Aurora Peralta, une voisine espagnole qu'elle découvre morte dans son salon, sans que l'on sache comment elle est décédée. Pour éviter d'être inculpée de meurtre, elle se débarrasse du cadavre et décide de s'approprier, à son tour, des affaires d'Aurora, car elle a tout perdu.
Ce ne sont que les premiers pas qui vont la conduire, avec un naturel effrayant, à s'emparer aussi du passeport espagnol de la défunte, à supplanter Aurora Peralta et annoncer à sa famille qu'après tant d'années d'absence, elle rentre à Madrid.
Encore désemparée par le récent décès de sa mère, Adelaida Falcón doit faire face, seule, aux terribles événements qui secouent Caracas : de violents affrontements entre opposants et forces armées gouvernementales mettent la ville à feu et à sang. Chassée de chez elle, elle parvient à se cacher dans l’appartement déserté de sa voisine, dite la Fille de l’Espagnole. Spoliée de jusqu’à son identité, elle va devoir tenter de sauver sa vie et réussir à prendre la fuite.
Elle-même née à Caracas et installée en Espagne depuis 2006, l’auteur nous plonge dans la vertigineuse déliquescence dans laquelle le Venezuela est tombé, évoquant, en une vision cauchemardesque et apocalyptique qui semble à peine dystopique, un climat de guerre civile où règnent le chaos, la peur, la faim et le manque de tout, où chacun est quotidiennement amené aux pires compromissions pour échapper aux arrestations, à la torture et à la mort, et même pour simplement se nourrir : ainsi contraints de participer malgré eux au processus de pourrissement général, c’est jusqu’à leur âme que les habitants ont l’impression de livrer à la gangrène.
L’horreur imprègne chaque page, que ce soit au fil d’exactions toutes plus insoutenables les unes que les autres, qu’au travers des souffrances psychologiques dans lesquelles se débat Adelaida. Au-delà du saisissement, c’est rapidement un terne abattement qui s’empare du lecteur, asphyxié par un texte uniformément noir et monotone qui, tout entier préoccupé de témoignage et de dénonciation politique, en perd son souffle romanesque.
C’est avec soulagement que je suis parvenue au bout de cette lecture utile mais éprouvante, qui fait entrevoir une réalité venezuelienne pire que la plus désespérée des fictions.
Dans un Venezuela où les forces de l'ordre mène une sévère chasse aux opposants, Adelaida Falcón enterre sa mère ; premier déchirement pour cette jeune femme qui, à part quelques années de vie commune avec un journaliste lui-même assassiné par la dictature, a toujours vécu auprès de sa maman. Second déchirement : son appartement est "réquisitionné" par les soutiens du dictateur, et toutes ses affaires sont détruites.
Adélaida parvient à se réfugier dans l'appartement d'une voisine, "la fille de l'espagnole", qui vient également de décéder. Surmontant sa peur, elle fait disparaître le corps et entreprend de se faire passer pour la morte afin d'utiliser son passeport espagnol pour fuir...
Karina Sainz Borgo nous emmène en voyage dans un Venezuela où une forme d'insouciance, représentée par la mère, ses sœur et la vie d'avant, est balayée par la violence et remplacée par la peur.
Brutalement plongée dans ce marasme, notre jeune héroïne, d'un naturel plutôt craintif, va devoir trouver les ressources pour affronter les événements et survivre, tout en se forgeant une nouvelle identité pour pouvoir fuir.
Ce roman, dont l'auteure ne cache pas qu'il s'appuie sur des faits réels transformés par la fiction, sonne comme un avertissement : méfiez-vous de tous ceux qui veulent faire votre bien sans vous demander votre avis...
L'écriture ne cède jamais à la facilité. Les scènes de violence sont plus suggérées que décrites, entretenant une atmosphère lourde et pesante. Mais il y a également beaucoup de poésie, notamment dans la description de la vie de famille d'avant...
Deux bonnes raisons de lire ce livre : la qualité de l'écriture et le témoignage sur la dérive d'un pays qui pourrait être riche...
http://michelgiraud.fr/2020/03/25/la-fille-de-lespagnole-karina-sainz-borgo-nrf-gallimard-violence-et-poesie/
Roman palpitant et d’une beauté féroce, le récit de cette femme seule sonne juste, comme une vérité, mais également comme un avertissement. Il nous parle depuis l’avenir, à la manière d’une dystopie, nous rappelant que notre monde peut s’effondrer à tout moment, qu’il est aussi fragile que nos souvenirs et nos espoirs.
L’Île de Grâce selon Christophe Colomb est devenue la terre de la disgrâce. Si le pays a connu par le passé des dictatures, la démocratie s’était peu à peu installée laissant place à une économie florissante, notamment par les revenus du pétrole. Mais à la fin du XX° siècle, une crise s’installa, des révoltes commencèrent pour plonger à nouveau progressivement le pays dans une dictature sans pitié.
C’est dans ce contexte de chaos total que se situe le premier roman de la journaliste Karina Sainz Borgo, originaire du Venezuela et résidant désormais en Espagne. La narratrice est Adelaida Falcon qui vient de perdre sa mère atteinte d’un cancer. Les funérailles sont compliquées, elle est seule – ses tantes et unique famille habitant assez loin de Caracas – et tout se paie au prix fort, même la mort. Si le deuil est toujours triste, il le devient encore davantage dans un univers crépusculaire. Caracas n’est plus une ville mais des catacombes à ciel ouvert. Les forces d’Adelaida s’épuisent, sa mère tant aimée, sa seule confidente n’est plus. Elle est désormais sous terre, morte. Sa fille est encore sur terre mais morte également. Pourtant, la vie continue entre bagarres, gaz lacrymogènes, exécutions, tortures, délations et famine. Et quand les ventres crient leur désespoir, les cœurs n’existent plus. Chacun pour soi dans la survie. Ce roman en est un manuel.
Car Adelaida va devoir lutter, par tous les moyens lorsqu’elle se retrouve expulsée par les forces révolutionnaires qui vont utiliser son petit appartement comme local pour stocker des vivres et les redistribuer par le circuit du marché noir. Elle se réfugie chez une voisine, celle que l’on surnomme la fille de l’Espagnole. La porte est ouverte et elle trouve Aurora Peralta gisant au sol. A partir de ce moment là, les larmes ne coulent plus, seules quelques cendres de vie permettent de faire jaillir des étincelles pour ne pas s’enfoncer dans les ténèbres. Au prix de n’importe quoi car de toute façon tout l’est.
Une narration palpitante qui met le lecteur dans l’incapacité d’arrêter la lecture de ce roman qui peut facilement être converti comme un document sans concession sur ce que subit depuis des années le Venezuela. Un témoignage, certes romancé, mais qui prend une vérité indiscutable et rappelle d’autres épisodes tragiques vécus de par le monde et en Amérique Latine en particulier.
Un récit qui a également le mérite d’être très visuel et olfactif : vous respirez les gaz, les effluves de pourriture remontent à vos narines mêlées aux excréments de ces destinés sans issue, sans espoir. C’est sale, transpirant, nauséabond. Et pourtant, chaque habitant tente de vivre, de survivre, de s’accrocher à ce qui n’est rien mais qui semble un ultime tout. Les forces que peuvent dégager un humain face à l’adversité sont prodigieuses et interpellent sur l’humilité que chacun devrait avoir face à l’absurdité et à la fragilité de ce qui est unique : la vie.
Un superbe portrait de femme qui rend hommage à toutes celles qui doivent non seulement lutter dans la solitude la plus totale mais dans un contexte pandémoniaque. Et comme l’auteure semble être mélomane, je lui dédicace en résumé « La vita è inferno all’infelice » pour ce livre en forme de Force du Destin.
Blog https://squirelito.blogspot.com/2020/01/une-noisette-un-livre-la-fille-de.html
« Les Fils de la Révolution sont arrivés à leurs fins. Ils nous ont séparés de part et d’autre d’une ligne. Celui qui a quelque chose et celui qui n’a rien. Celui qui part et celui qui reste. Celui qui est fiable et celui qui est suspect. Ils ont érigé le reproche en une division supplémentaire dans une société qui n’en manquait pas. Je ne vivais pas bien, mais si j’étais sûre d’une chose, c’était que ça pouvait toujours être pire.» Karina Sainz Borgo retrace le parcours d’une jeune femme qui essaie de sauver sa vie dans un Venezuela en proie au chaos.
Adelaida Falćon, la narratrice de ce roman qui vous prendra aux tripes, vient de perdre sa mère alors que le pays est en train de basculer dans le chaos. Le désordre est tel que même l’organisation de funérailles relève du tour de force. Quand Clara et Amelia, les sœurs de la défunte, doivent renoncer à assister aux obsèques en raison de l'insécurité croissante, elle comprend la gravité de la situation: «le monde, tel que je le connaissais, avait commencé à s'effondrer». Et de fait, la violence, la peur et la mort ne vont dès lors cesser de la hanter. Car, on l’aura compris, la mort de sa mère est une métaphore pour dire la mort d’un pays: «Je ne songeais qu'à ce moment où le soleil allait disparaitre, plongeant dans l’obscurité la colline où j’avais laissé ma mère toute seule. Alors je suis morte une seconde fois. Je n’ai jamais pu ressusciter les morts qui se sont accumulés dans ma biographie cet après-midi-là. Ce jour-là, je suis devenue ma seule et unique famille. Les dernières bribes d’une vie qu’on n’allait pas tarder à m’arracher, à coups de machette. A feu et à sang, comme tout dans cette ville.»
Construit sur une tension croissante, le roman va dès lors devenir un guide de survie. Au moment de regagner son appartement Adelaida se heurte à un groupe de femmes qui ont mis la main sur les lieux, y organisant leur trafic de marchandises. Elles lui refusent même le droit d’emporter quelques effets personnels et prennent un malin plaisir à déchirer devant elle les quelques livres qu’elle entendait conserver. En fuyant, elle voit la porte d’entrée d’une voisine entrouverte et trouve refuge dans le domicile chez Aurora Peralta, la fille de l’Espagnole qui gît là, assassinée. Après avoir cohabité avec ce cadavre, elle comprend qu’il va lui falloir s’en débarrasser. Une mission quasi impossible pour elle, surtout au cinquième étage d’un immeuble. Les émeutes qui s’intensifient dans la rue lui apporteront la solution. Mais n’en disons pas davantage, sinon pour souligner que cette scène est un parfait condensé de la folie qui s’est emparée d’un pays qui quelques années auparavant était calme et accueillant. Julia, originaire de Galice, n’avait pas hésité à émigrer et s’était fait au fil des années une jolie réputation de cuisinière hors-pair. Sa gargote, dans le quartier des immigrés, n’avait pas tardé à se faire une clientèle d’habitués.
Aujourd’hui, il va falloir tenter de faire le chemin inverse. Adelaida, qui a le même âge qu’Aurora va chercher à usurper son identité pour pouvoir gagner l’Espagne. Alors que les derniers amis et connaissances capables de l’aider disparaissent sans laisser de réel espoir : «Les Fils de la Révolution sont arrivés à leurs fins. Ils nous ont séparés de part et d’autre d’une ligne. Celui qui a quelque chose et celui qui n’a rien. Celui qui part et celui qui reste. Celui qui est fiable et celui qui est suspect. Ils ont érigé le reproche en une division supplémentaire dans une société qui n’en manquait pas. Je ne vivais pas bien, mais si j’étais sûre d’une chose, c’était que ça pouvait toujours être pire. Ne pas faire partie de la catégorie des moribonds me condamnait à me taire par décence.»
Cela peut paraître étrange, mais c’est bien un sentiment de culpabilité qui étreint Adelaida lorsqu’elle choisit l’exil, tout en comprenant que ce Venezuela «n'était pas une nation, c'était une machine à broyer.»
En cela Karina Sainz Borgo, que j’ai eu la chance de rencontrer, ressemble beaucoup à sa narratrice. Elle a quitté le Venezuela en 2006 et s’est installée à Madrid où elle est journaliste. Son roman, qu’elle aura porté une dizaine d’années avant de l’écrire, montre admirablement cette ambivalence l’instinct de survie et les racines qu’on aimerait préserver. S’il a déjà été traduit dans une vingtaine de pays, c’est non seulement en raison de sa force et de son habile construction – on aurait envie de recopier toutes les formules qui concluent les chapitres – mais c’est d’abord parce qu’il résonne avec tous les problèmes actuels et en particulier cette peur que soudain tout bascule dans un avenir incertain.
Les grands romans sont des vigies dans la tourmente, celui de Karina Sainz Borgo nous éclaire et nous appelle à la vigilance.
https://urlz.fr/bv5p
C'est l'histoire d'une femme qui, peu de temps après avoir enterré sa mère, se retrouve dépossédée de son appartement et de ses biens sur fond de révolution vénézuélienne. Elle trouve alors refuge chez une voisine surnommée "la fille de l'espagnol".
Karina Sainz Borgo, vénézuélienne d'origine, nous livre ici un roman dur, violent, parfois même tellement violent que l'on se demande où se situe la frontière entre réalité et fiction. Pour l'auteur, que j'ai eu la chance de rencontrer, la situation au Venezuela est même encore bien pire que l'aperçu livré par ce roman.
Tout sonne juste dans ce livre, les mots sont parfaitement choisis, les protagonistes parfaitement dépeints, une lecture qui marque les esprits et qui pousse à s'interroger sur la situation du pays. Des points particulièrement intéressants sont abordés comme le sentiment de culpabilité de l'habitant qui choisi l'exil, vécu comme un abandon de ses racines, mais qui semble être une nécessité au regard de la situation, une porte de sortie salutaire.
Bref, un roman lu quasiment en apnée que je recommande pour son sujet, pour son écriture tantôt brut de décoffrage, tantôt poétique, et pour les messages et les interrogations qu'il soulève.
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