"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un imposteur. Voilà ce qu'est devenu, à son corps défendant, le narrateur de ce roman. Oubliés le père fantasque, tendre et dépensier, la mère austère et impénétrable. Fini le couple parental dysfonctionnel, les disputes, les fins de mois difficiles, les vacances annulées. À présent c'est dans un milieu totalement différent qu'il évolue, sous une autre identité et sous la houlette du providentiel oncle Gianni, ténor du barreau, qui aimerait bien que son protégé tire une croix sur son passé et épouse complètement son mode de vie flamboyant. Et pourtant, toujours, souvenirs et fantômes du passé ressurgissent, tourmentant sa conscience, titillant son sentiment de culpabilité, l'incitant à reparcourir les étapes d'un itinéraire qui a fait de lui ce qu'il est...
Mensonge, lâcheté, remords et culpabilité sont au menu de « La faute ».
La faute à qui ?
Qui est coupable ? Le narrateur, coupable d’avoir changé de vie, d’avoir oublié et renié ses parents, d’avoir adopté une nouvelle famille, d’avoir troqué les dettes et les huissiers de la première pour l’opulence et le luxe de la seconde ?
Les parents qui ne parlaient pas, se querellaient et ont mal fini ?
La nouvelle famille qui efface l’ancienne ?
En définitive, ce sont bien les mensonges du narrateur, ses accommodements avec la réalité qui constituent la faute principale et le sujet de ce roman d’apprentissage.
« Mentir m'avait troublé plus que prévu. C'était comme si un nouveau moi avait étouffé le petit garçon loyal et consciencieux de toujours. Un moi social, pour ainsi dire, doté de l'habileté suffisante pour deviner que dans le monde la sincérité, l'honnêteté intellectuelle et l'auto-ironie sont des qualités beaucoup moins utiles que le charme, la simulation et la possession de certains objets coûteux. »
Et de fil en aiguille,
« Comme faire de l'épate ne coûte pas cher, le risque est d'y prendre goût. Le mensonge devient alors un habitat qui n'est que trop confortable, et vous vous retrouvez l'otage de vos balivernes comme il arrive à trop de journalistes malhonnêtes et aux rares excellents romanciers encore en circulation. Alors oui vous pouvez vous exposer à des accidents fâcheux. »
Les pages se tournent vite, avides que nous sommes de découvrir « la faute ». Mais si, comme le narrateur, nous avons pris quelques arrangements avec la réalité de notre vie, impossible d’en sortir indemne. Les mensonges enfouis remontent, les remords suivent et nous voilà prêts à plaider coupables.
En fin connaisseur de Marcel Proust auquel il a consacré deux essais, Alessandro Piperno est certainement habité par le style de son illustre prédécesseur.
Usant de longues phrases métaphoriques et sondant les états d'âme du personnage principal dans toute leur complexité, l'Italien marche en effet dans les pas de son maître.
Dans son dernier roman, le narrateur, désormais quinquagénaire, se retourne sur le parcours qui l'a mené de l'enfance à l'âge adulte. Celui qui n'a ni prénom ni nom, sauf celui qu'il prendra au mitan du récit, grandit dans une famille dysfonctionnelle. Fils unique, il observe son père, un brave type incapable de mener à bien ses projets professionnels mais que son rejeton adore pour sa bonne humeur, et sa mère, une femme secrète et énigmatique. Il assiste aussi aux scènes de ménage interminables entre ses parents dont la cause est l'accumulation des dettes. Pour le narrateur l'argent restera toujours associé à la honte originelle du manque.
Le voile va se lever en partie sur les origines juives de la mère lors d'un Seder de Pessah d'anthologie. Quittant les quartiers modestes de l'Est de la capitale italienne, le couple flanqué de l'enfant débarque dans un appartement cossu où se trouve une ribambelle de gens. Parmi elles, le flamboyant oncle Gianni qui comptera beaucoup pour l'adolescent après un événement dramatique qui fera du narrateur une espèce de traître, de menteur et d'imposteur, s'inventant une autre existence que celle qu'il a connue jusqu'alors pour oublier sa courte vie bien morne et se donner une nouvelle identité, fasciné qu'il est par les mirages de la grande bourgeoisie juive romaine.
Comme dans « La Recherche » de Proust, Alessandro Piperno raconte le parcours d'un enfant qui devient écrivain et qui nourrit son œuvre de son vécu en se transformant en personnage de roman pour toucher du doigt la vérité sur lui-même.
Portrait tout en finesse psychologique, « La Faute » est un récit intelligent, souvent drôle mais d'un humour désespéré, qui souligne combien les familles sont « des repaires de duplicités éternelles » impossibles à escamoter.
EXTRAITS
Je découvrirais qu'en matière de lâcheté sentimentale, déguisée en réserve et en ironie, j'étais imbattable.
Rien ne donnait autant de lustre à un pedigree juif que deux grands-parents trucidés par les nazis.
La fiction m'offrait la possibilité inespérée sinon de dire la vérité à tout prix du moins de cesser de ne pas la dire.
http://papivore.net/litterature-italienne/critique-la-faute-alessandro-piperno-liana-levi/
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