"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans ce conte épique empli de merveilleux prenant sa source dans le sud de l'Inde au 14e siècle, une jeune femme nommée Pampa Kampana, habitée par une déesse, donne vie à un formidable empire dont elle verra l'apogée et la chute au terme de deux siècles et demi. Grande geste de la nature des hommes, Victory City est une tentative pour faire advenir une ville, un territoire, un monde où règnerait la tolérance et non les divisions de tous ordres, et où les femmes seraient les égales des hommes. Au carrefour de l'amour, de l'aventure et du mythe, le nouveau roman de Salman Rushdie fait le tour complet de la palette des aspirations humaines et pose la question de l'utopie et des sociétés que nous contribuons à créer. Ce faisant, il rend un hommage puissant aux pouvoirs (magiques ?) du récit.
Cela me sera impossible d'écrire un billet de lecture à hauteur de l'expérience de lecture de ce très grand et réussi roman du grand Salman Rushdie.
Non seulement l'auteur réussit à faire revivre une épopée de l'histoire du sud de l'Inde, mais il la ré-écrit et nous emporte de façon flamboyante et vivante dans cette histoire d'hier, qui résonne encore aujourd'hui.
La capitale de l’empire de Vijayanagara où se déroule le récit, a réellement existé du XIVe au XVIe siècle, puis elle s’est éteinte, et son souvenir fut oublié. Dans cette cité, les hommes et les femmes vivaient à égalité, bien plus que de nos jours ( Y croyez-vous ?) au même endroit. De ce point de départ réel, Rushdie tire une odyssée puissante, racontant le destin de Pampa Kampana, mi-femme mi-déesse, qui murmure aux habitants leurs rêves et leur passé.
Après un traumatisme enfant, où elle est obligée d'assister au bûcher des veuves brûlées dont sa mère, Pampa Kampana, va vivre dans une grotte où un second traumatisme la guette.
Suite à cela, elle sera choisie par une déesse qui parlera par sa voix et elle fera naître une cité où les femmes pourront être prises au sérieux, et exercer les mêmes métiers que les hommes : Bisnaga naîtra de graines, et ses habitants deviendront des êtres vivants complets,en ayant mémoire et souvenirs qui leur seront chuchotés par Pampa Kampana.
Le reste de l'histoire il faut le lire.
Sachez que Pampa Kampana vivra plus de 200 ans, que l'auteur s'amuse à distiller des pointes de malice en évoquant le long poème de Pampa Kampana, disant que son récit à lui n'est pas si bon, que j'ai pleuré et ri, parfois, que même si Rushdie est trop intelligent pour être moraliste, il reste pourfendeur des intégristes de tout poil, et que cette histoire magnifique, est profondément féministe, humaniste, merveilleuse, imaginative et pourtant basée sur un fait qui fut.
Sachez aussi qu'il est impossible de s'ennuyer à cette lecture, que c'est très bien traduit, que beaucoup de thématiques y sont abordées, que beaucoup de symbolique j'y ai trouvé.
Sachez également que l'amour, l'amitié et l'amour maternel y sont fort bien évoqués, que la bêtise humaine aussi, que les pièges du pouvoir, et que les esprits religieux voulant contrôler le reste du monde, s'y trouvent aussi.
C'est une grande comédie humaine, intemporelle, universelle et magnifique.
À lire et faire lire, absolument.
S’inspirant du véritable Vijayanagar, dernier grand royaume hindou, qui, de sa fondation au XIVe siècle jusqu’à sa disparition quelque deux cent trente ans plus tard, s’efforça de résister à l’expansion musulmane dans tout le sud du sous-continent indien, Salman Rushdie feint de nous présenter la toute première traduction, par ses soins et « dans une langue simplifiée », d’un chef-d’œuvre fictif, intitulé le Jayaparajaya – « Victoire et Défaite » en sanskrit –, récemment retrouvé dans une vieille jarre et qui, avec ses vingt-quatre mille vers, pourrait se comparer au Mahabharata et au Ramayana, les deux grands poèmes épiques de l’Inde, fondateurs de l’hindouisme.
Au XIVe siècle dans le sud de l’Inde donc, Pampa Kampana, une fillette de neuf ans, se retrouve seule survivante de son village, les hommes ayant été tués à la guerre et les femmes dans les bûchers allumés selon la tradition du sacrifice des veuves. Une déesse intervient alors et la dote de pouvoirs magiques : elle vivra deux siècles et demi, le temps pour elle de fonder et de gouverner, jusqu’à son effondrement, la ville de Bisnaga, capitale d’un empire où, pour une fois, les femmes seront les égales des hommes. Ainsi commence une épopée dont les périodes et les vicissitudes s’enchaîneront au gré d’une temporalité narrative choisissant de s’attarder ou d’accélérer à volonté.
Sous le règne de Pampa Kampana, la ville de Bisnaga, menant la guerre pour s’assurer la paix, devient l’invincible et prospère capitale d’un empire où les femmes sont libres de leur sexualité et exercent des tâches jusqu’ici dévolues aux hommes. Mais une Protestation prenant le forme d’une secte finit par se former et contester le pouvoir en place. Cette reine qui a fondé son royaume sur la force des mots, « chuchotés » à l’oreille de ses sujets, découvre, comme tout créateur, « y compris Dieu », qu’« une fois que vous avez créé vos personnages, vous êtes lié par leurs choix. Vous ne pouvez plus les refaire en fonction de vos désirs. Ils sont ce qu’ils sont et ils feront ce qu’ils voudront. Cela s’appelle le “libre arbitre”. » Au pouvoir de la magie succède donc celui de la religion, des intégrismes et des fanatismes. « Les idées qu’elle avait implantées n’avaient pas pris racine ou alors ces racines n’allaient pas assez profond et se laissaient facilement arracher. » A leur place, « avait [été] créé un nous qui n’était pas eux, un nous qui (...) soutenait en secret l’intrusion de la religion dans tous les recoins de la vie politique aussi bien que spirituelle. » « Leur sentiment religieux [étant] pesant, simplet et banal, les considérations mystiques les plus élevées leur échappaient complètement et la religion devint pour eux un simple outil destiné à maintenir l’ordre social. » Un ordre ne tenant bientôt plus qu’au rapport de forces entre factions et partisans, au rythme des conspirations, des coups d’état et des assassinats. Y-a-t-il seulement une issue à la folie des hommes ?
Flamboyante pseudo-légende subtilement teintée d’humour, le récit laisse d’autant mieux deviner sa portée métaphorique que l’on connaît les combats de l’auteur contre le sectarisme et l’obscurantisme. Ce dernier livre, tout juste achevé avant l’attaque islamiste au couteau qui, en 2022, après trente-trois ans d’une fatwa exigeant la mise à mort de l’écrivain, a bien failli lui coûter la vie, est une nouvelle croisade, pour la place des femmes, en Inde en particulier mais pas seulement, et aussi, plus que jamais, pour la création littéraire et la liberté d’expression. Dans une réalité irrémédiablement vouée au crime et à l’injustice, aux guerres et aux complots, à la torture et à l’oppression, ne reste, en ultime protestation et pour porter la vision d’un monde meilleur, que le seul poids des mots sur le papier. « Les mots sont les seuls vainqueurs », conclut Salman Rushdie. Lui-même en paye le prix fort avec les séquelles de l’attentat à son encontre. Les lire et les colporter sont le moins que l’on puisse faire.
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