"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au soir de sa vie, grand-mère (kukum, en langue innue) depuis longtemps déjà, Almanda Siméon se retourne sur son passé et nous livre son histoire, celle d'une orpheline québécoise qui tombe amoureuse d'un jeune Amérindien puis partage la vie des Innus de Pekuakami (l'immense lac Saint-Jean), apprenant l'existence nomade et brisant les barrières imposées aux femmes autochtones. Centré sur le destin singulier d'une femme éprise de liberté, ce roman relate, sur un ton intimiste, la fin du mode de vie traditionnel des peuples nomades du nord-est de l'Amérique et les conséquences, encore actuelles, de la sédentarisation forcée. Son auteur Michel Jean, descendant direct d'Almanda Siméon, est un journaliste reconnu au Québec.
J'ai aimé cette jeune femme qui part suivre son amoureux dans sa tribu Innue.
J'ai aimé découvrir la vie de la tribu avec elle au gré des déplacements saisonniers.
J'ai aimé l'odeur des sapins dont les branches tapissent les sols des habitations.
J'ai aimé cette grand-mère qui fume comme une Innue et qui craque son allumette sur sa jupe.
Un roman intimiste aussi doux que fort et percutant.
1977 – Au bord du lac Pekuakami, ( le lac St Jean au nord est du Québec ).
Une vielle dame se souvient et raconte. Un retour très lucide sur sa vie parmi la population innue.
« Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m’apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. Pekuakami : ta surface lisse se mêle à l’horizon, le soleil s’y mire comme dans une glace, et ce miroir me renvoie à tous mes souvenirs. »
Une histoire vraie puisqu’il s’agit de l’arrière grand-mère (Kukum en langue innue), de l’auteur.
Almanda, jeune orpheline, née en 1882, est élevée par les « blancs ». Amoureuse à 15 ans de Thomas, jeune innu, elle adopte alors leur culture et leur vie nomade. « J’arrivais d’un monde où l’on estimait que l’humain créé à l’image de Dieu trônait au sommet de la pyramide de vie. La nature offerte en cadeau devrait être domptée. Et voilà, que je me retrouvais dans un nouvel ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l’homme n’était supérieur à aucun autre. »
La première partie de ce beau roman est consacrée au rythme de cette vie de liberté. Chasseurs en hiver et nomades, vente des peaux en été aux blancs. Chacun y trouve son compte.
La vie est rude, mais en parfaite harmonie avec la nature et les autres populations. Paradoxalement dans cette nature hostile, c’est un monde de douceur et de poésie. Et surtout de liberté.
La seconde partie, à partir du chapitre « La nausée », relate l’exclusion progressive du peuple innu de son territoire. Car les colons blancs les ont dépossédés de leur territoire, donc de leurs moyens de subsistance, de leur langue, de leur culture.
«Ils ne se contentent pas de couper les arbres, «(…), c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent l’esprit même de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ? »
Sans leurs moyens de subsistance habituels, « les innus sont passés de l’autonomie à la dépendance »
Une vie qui paraît confortable matériellement, mais qui est surtout violente et oppressante. A l’opposé de leur vie nomade, difficile mais paisible.
La fracture entre les générations est particulièrement bien analysée et elle se rapporte aussi à toutes les populations migrantes ou exclues.
« Mes enfants sont nés dans le bois. Mes petits-enfants ont grandi sur une réserve. Les premiers ont reçu leur éducation en territoire, les seconds en pensionnat. Les pères blancs leur interdisaient de parler l’innu-aimun et punissaient même ceux qui le faisaient. Et en revenant, les enfants s’exprimaient en français. Un autre pont a été coupé entre les générations. Ils ont pensé qu’en les dépossédant de leur langue, ils en feraient des Blancs. Mais un Innu qui parle français reste un Innu. Avec une blessure de plus. »
J’ai beaucoup aimé le portrait d’Almanda, une femme au caractère volontaire, bienveillante et lucide.
Ainsi que l’expression de la nature, un personnage à part entière. Bienveillante et hostile, capricieuse et généreuse. .
La forêt, le climat et surtout l’élément de l’eau, avec le lac Pekuami et son affluent, la rivière Péribonka sont particulièrement bien décrits, tellement vivants que le lecteur partage le paysage et le voit vivre sous ses yeux.
A l’opposé de nombreux récits sur les amérindiens, mièvres, voire niais et angéliques, celui-ci dégage une grande sobriété, ce qui fait sans doute toute sa force et sa densité.
https://commelaplume.blogspot.com/
Pekuakami, le lac Saint-Jean, c'est là que Almanda rencontre Thomas, un jeune chasseur Innu, beau garçon aux cheveux longs, à la peau cuivrée, aux yeux bridés. C'était dans la deuxième moitié du XIXème siècle... elle se rappelle. Et c'est beau, le monde là-bas en ce temps là, ça sent les grands espaces et la nature grandiose, avant que les humains ne la saccagent et détruisent la vie telle qu'elle était.
Michel Jean donne voix à Almanda son arrière grand-mère, sa kukum, pour nous raconter cette vie là, quand elle et son beau natif des premières nations se sont choisis pour passer toute une vie ensemble. Elle a adopté leur mode de vie nomade et fusionnelle avec la nature, jusqu'à devenir une Innue, elle, petite blanche descendante de colons.
Ça dit des belles choses sur ce peuple, entre autre que Almanda ait été acceptée sans restriction dans "un clan tissé serré" montre l'ouverture d'esprit qui était la leur. Ce qui n'aurait pas été le cas dans le sens inverse bien évidemment, si Thomas avait intégré un village de Blancs.
Cette histoire de Almanda-Kukum, racontée comme un roman m'a passionnée. Le renoncement à son avenir de fermière à Saint-Prime qui lui semblait sans joie, tout son apprentissage de la vie Innue, sa belle histoire d'amour avec Thomas, qui a duré toute la vie. Et puis la tradition orale, les histoires racontées au coin du feu, le soir sous les étoiles avec le clan réuni, les danses au rythme du tambour, la chasse et les campements en pleine nature, la descente en canot sur la Peribonka au début du printemps alors que les eaux grondent... et tant de choses encore qui font la culture de ce peuple.
La rivière Péribonka, la Fourche Manouane, le lac Onistagan, les monts Otish, le lac Pekuakami, tous ces noms nous rappellent qui étaient les premiers occupants de ces lieux.
Qu'elle est belle cette histoire ! Elle fait rêver et témoigne d'un monde qui hélas a disparu, d'un peuple qui vivait en harmonie avec la forêt, les saisons, les animaux, la Nature dans son ensemble, respectueux de tout ce qui l'entourait. Avant que la civilisation n'achève son œuvre de destruction. En lisant cette histoire j'ai eu l'impression d'avoir traversé le miroir et d'être arrivée dans un monde enchanteur. Un monde loin des contingences bassement matérielles, où seule compte la vie dans ce qu'elle a d'essentiel. Le monde d'un peuple qui est reconnaissant envers les animaux, qui choisissent de mourir pour leur survie. Je ne fais cependant pas d'angélisme. La vie au contact de la nature est parfois extrêmement dure. Mais belle.
Cette histoire transmet beaucoup de belles valeurs telles que la solidarité et la générosité, et j'ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux, émue par la liberté de ce peuple, et la beauté de ce mode de vie qui n'existe plus. Et, bien que la vie n'existe pas sans moments de tristesse, celle-ci arrive avec l'homme blanc qui industrialise tout et vole les enfants des autochtones, le désespoir et la colère arrivent avec la "civilisation". Il y a réellement des moments déchirants, mais oui, j'ai été essentiellement bouleversée par des émotions hyper positives.
C'est dépaysant, c'est vivifiant, c'est revigorant. Une belle ode à la nature, la tolérance, la liberté.
" Une vie sans chaînes où tous les êtres vivants étaient égaux et où l'homme n'était supérieur à aucun autre."
Mais, un bel équilibre brisé par l'arrivée du progrès...
Kukum, grand mère en langue Innu, kukum comme Almanda Simeon aurait aimé que ses petits enfants l'appellent , et non Grandmère comme ils le font, eux qui ont été élevés dans les pensionnats où ils ont été emmenés de force dans leurs jeunes années pour les éduquer correctement , en français et en bons catholiques selon les principes du début du XXeme siècle.
Cette grand mère qui était une bonne catholique irlandaise, orpheline dès l'enfance, élevée dans l'est du Québec, près du lac Saint Jean, le Pekuakami comme le nommait les Innu parmi lesquels la jeune fille a passé sa vie d'adulte après avoir épousé Thomas Simeon, un jeune innu qu'elle avait croisé à pointe Bleue.
En un regard ou presque elle avait choisi cette vie nomade, avec rites annuels de montée et descente du fleuve Peribonka à la recherche des peaux d'animaux qui les feraient vivre tout le reste de l’année après la vente aux comptoirs des blancs.
Toute menue et frêle, elle avait tenu sa place et compris son rôle auprès de cette tribu qui l'avait acceptée, elle la petite blonde aux yeux bleus, elle avait petit à petit mis ses pas dans les pas de cette famille, compris à quel point leur vision de la vie, de la terre, de l'univers différait de la siene à l'origine et adopté leurs habitudes jusqu'à les défendre en haut lieu.
J'avais pourtant beaucoup travaillé lors de mes études d'angliciste sur les amérindiens, mais rien ne m'a fait approcher leur vie de si près que ce livre .
Moi qui lis vite, ai ralenti, ralenti, pour suivre le chemin parcouru par Almanda, pour savourer le doré, ce poisson à la chair si ferme et fondante, pour tresser des paniers pour la nourriture d'hiver, en fait le sirop d'érable, ou même perler les vêtements, pour l'accompagner, elle et sa nombreuse famille vers un avenir sans lac, sans fleuve, sans bois, dans une réserve dans laquelle le seul sauveur n'était plus Dieu mais l'alcool, la dérive d'un peuple qui lentement était parti pour disparaître mais qui reprend peu à peu vie .
la vie, longue qu'Almanda a vécue et que son arrière petit fils raconte lentement, doucement mais fermement, sans aigreur ni haine, une vie pleine et entière.
Prenez également ce chemin, il est beau.
Echappée livresque pleine de bonheur,de rêves,de liberté malgré la dureté de la vie:froid glacial,et, mépris des blancs,recherche du profit au détriments de la forêt.
Un enchantement !
Un très beau texte sur la grand mère de l'auteur et un moment de lecture particulier, car j'ai fait une lecture commune avec plusieurs copinautes et nous avons échangé nos ressentis lors de la lecture et à la fin, nous avons eu aussi le bonheur d'échanger avec l'auteur.
Almanda a 15 ans, orpheline, elle est élevée par son oncle et tante, colons sur un lopin de terre canadienne. Elle rencontre Thomas, qui est inuit et vient vendre ses poissons, il est chasseur d'outardes, trappeur. Ils vont décider de sa marier et voilà Almanda qui intègre la famille de Thomas et ils vont partir dans la forêt, dans les montagnes. Elle va alors découvrir la vie dans la nature et la vie difficile face à la nature. "J'arrivais d'un monde où l'on estimait que l'humain, créé à l'image de Dieu, trônait au sommet de la pyramide de la vie. La nature offerte en cadeau devait être domptée. Et voilà que je me retrouvais dans un nouveau ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l'homme n'était supérieur à aucun autre." (p45)
Ce texte est très beau, l'auteur raconte simplement et avec une belle langue la vie de sa grand mère et c'est un bel hommage à cette femme courageuse, volontaire, téméraire. Il parle aussi très bien de la culture unuit et son acculturation et son assimilation dans la culture des colons. il parle très bien aussi de leur culture, de leur langue.
"Nos récits, transmis de bouche à oreille, relatent l'histoire du territoire et de tous les êtres qui y vivent. Celle que je lui lisais évoquait un continent et un univers dont elle ignorait tout" (p100)
j'ai trouvé l intégration de Almanda dans sa belle famille assez facile malgré une culture différente et un problème de langue aussi? C est en tout cas le portait d une femme forte volontaire courageuse et quelle horreur cette façon de vouloir assimiler "les sauvages" et nous pouvons nous demander comment réagir face au progrès : tout dépend comment il est utilisé. J'
ai apprécié les descriptions de la nature et l humanité des personnages Almanda est une sacrée femme debout, courageuse, téméraire : un bel exemple à suivre j ai aimé sa patience dans le cabinet du ministre (un fait réel !! ).
L'auteur questionne sur le concept de progrès que l on amène sans prendre en compte l avant, ils l'ont fait avec la nature, couper et couper le bois et aussi pour les êtres et cette volonté d assimiler l autre : très impressionnée et en colère quand les enfants sont héliporté pour les emmener en internat pour les éduquer.
La fin ouvre avec l'espoir avec les nouvelles générations qui veulent comprendre, se souvenir et ce qui en est des langues autochtones.
Un très beau portrait de femme et de belles images de la nature.
Sait-on d'où l'on vient ? Pour beaucoup d'entre nous cette question connaît une réponse évidente, nous citons nos parents et grands-parents.
Cela est impossible pour la jeune Almanda, orpheline recueillie par un couple à la mort de ses parents.
Mais si elle ignore qui était les siens, elle sait une chose : elle veut joindre son destin à celui de ce jeune chasseur innu, Thomas, dont le chemin croise le sien l'année des 15 ans de la jeune femme.
Elle va suivre son époux et apprendre avec lui et sa famille, la vie des nomades.
Apprendre à survivre en forêt, à vivre dans un clan uni, à respecter le rythme de la vie et le cours du fleuve Pekuakami.
Ce récit est basée sur la vie de l'arrière grand mère de l'auteur. Ce lien avec les personnages du récit, ce respect et cet amour transparaît au long du récit.
Le rythme du roman est d'une lenteur calculée, d'une douceur malgré les épreuves, dans la première partie, à l'image du rythme de la vie des innus, lié à celui des saisons.
Vient ensuite le temps des épreuves, évoquées dans un temps beaucoup rapide, comme si le progrès professé par les hommes blancs changeaient le rythme même de la vie des innus.
Et quel progrès : sédentarité forcée entraînant ennui, perte de repères et son lot de calamités : alcoolisme, violence, suicide. Sans oublier la tragédie de l'enlèvement des enfants, pour les confier à des pensionnats, coupant les liens des plus jeunes avec leurs origines, leurs racines. Les abus dont ils seront victimes comme autant de cicatrices indélébiles dans leurs cœurs.
Un roman qui malgré la tristesse de ce monde perdu, reste empreint de la force d'Almanda qui s'adapte à sa nouvelle vie et ne se résigne pas aux épreuves. Un récit sur un grand amour, malgré les obstacles.
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