"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Se méfier des trous perdus : ils sont souvent sans fond et manifestent une furieuse tendance à avaler ceux qui s'y égarent. Prenez Cortez, dans le Colorado, bourgade-étape se composant d'une highway, d'un motel, de quelques commerces et de quoi faire le plein. De la halte à l'état pur. C'est en tout cas ce que pense le héros anonyme de God Bless America, premier roman de François Ide, qui s'y gare en toute ingénuité. Quand soudain..." Don Chalmers "! La simple vue de ce nom sur la plaque d'un pick-up, un Minotaure de chrome et d'acier, le fascine. Mais qui est" Don Chalmers ", redneck ou Antichrist ?
Qu'est devenu le rêve américain?
Le premier roman de François Ide nous entraîne à Cortez, Colorado au terme d'un Road trip qui va nous permettre de découvrir l'Amérique d'aujourd'hui, celle qui voit s'effacer le rêve américain derrière une nostalgie factice et le communautarisme gangréner un pays de plus en plus replié sur lui-même.
Quand il arrive sur le parking du motel, le narrateur est saisi par le nom inscrit sur la plaque d'un pick-up aux proportions considérables, Don Chalmers. Un nom qui va lui servir de guide dans cette ville totalement impersonnelle du Colorado. Cortez a en effet tout ce qu'il faut pour offrir à ceux qui s'y arrêtent de quoi continuer leur route.
Mais cette étape va profondément marquer notre Français qui, au volant de sa voiture de location, a choisi de suivre la route des pionniers, depuis les Grandes Plaines jusqu'au Colorado et au Nouveau-Mexique, en passant par les grands parcs nationaux pour finir au Mesa Verde National Park, qui abrite les habitations troglodytiques des Pueblos.
Parti à la recherche de Don Chalmers, il va voir sa quête se compliquer car le parking va peu à peu se remplir de pick-up de même calibre, témoins rutilants de cette "Amérique profonde" qui se sont donnés rendez-vous là à la veille d'une foire agricole. Les autocollants et slogans fièrement apposés sur leurs véhicules, pour le port d'armes, pour la chasse, pour le Sud et même pour le Klan ne laissant guère de doute sur leurs convictions. «L’âme des fidèles était aussi pure que le canon de leur Colt était parfaitement huilé. À l’image des bielles, engrenages, arbre à cames et soupapes de leurs puissants V8 qu'ils faisaient ronronner tel un murmure divin, affichant la fierté vrombissante et manifeste de leur destinée comme on traînait derrière soi, il y a peu, le corps violé d’une squaw ou le cadavre lacéré d’un esclave chapardeur.»
Le barbecue géant organisé sur le parking va venir confirmer ce sentiment. Parfaitement orchestrée, cette fête est l'occasion de se retrouver entre partisans, mais aussi de faire sentir aux étrangers qu'ils n'ont pas leur place parmi eux. Face à leurs faces rougeaudes et alcoolisées, il vaut mieux faire profil bas et longer les murs.
Réfugié dans sa chambre avec une bouteille de vin et une flasque de whisky, notre narrateur ne trouvera pas vraiment de quoi s'évader en regardant la télévision, les discours du Président Trump semblant relayer le malaise ambiant. Le tout se ponctuant par un mauvais cauchemar.
François Ide dépeint parfaitement cette Amérique qui se réfugie derrière ses légendes, se barde derrière des certitudes de puissance et d'auto-défense, qui rejoue la conquête de l'ouest comme une formidable épopée niant tous les dégâts collatéraux et les massacres perpétrés.
Une Amérique symbolisée par ce monstre sur un parking qu'il va recroiser après avoir repris la route: «Le pick-up de Don Chalmers serait mon talisman, mon parfum de douleur désirée, une vanité moderne, rutilante et bruyante, ténébreuse et vénéneuse, une calandre mortelle, un néant peuplé de fracas, de soupapes huilées et d’armes chargées, de corps avachis et de sexes tendus dans la rumeur enveloppante d’une cavalcade sans fin, cow-boy sans visage, clameur obscure des hautes plaines, désert inconnu qui me révélait à moi-même.»
En refermant ce court mais percutant roman, on ne peut qu'éprouver un sentiment ambivalent, entre fascination et dégoût. Comme si derrière cette Amérique en proie à ses mauvais démons, il restait tout de même quelques poches d'espoir.
On pense bien sûr à inscrire ce livre derrière les œuvres de John Steinbeck, Jack Kerouac, Jim Harrison, Bill Bryson ou encore plus récemment Douglas Kennedy, autres Road trips américains. Mais le titre de ce premier roman God Bless America rappelle aussi le pamphlet corrosif du cinéaste Bob Goldthwait paru en 2016 et la chanson de l'immigré russe, Irving Berlin composée pour exprimer sa gratitude envers les États-Unis. Un hymne dont on ferait bien de se souvenir à la veille d'une année électorale où l'on pourrait à nouveau voir surgir ce visage à la mèche orange au prénom de canard.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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