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Gazda pourrait être traduit par patron ou maître - mais on y perdrait tout le poids de ce mot.
Dans le monde patriarcal des Balkans, c'est un titre qui oblige, synonyme de l'autorité qui provient de l'âge ou de la fortune. C'est le condottiere dans une société sans grades, celle des négociants, des artisans, cette classe de gens laborieux et droits, humbles mais libres, qui a désormais disparu. Des lois tacites, mais sévères, règlent la vie des commerçants. Les taches et les faux pas se rachètent difficilement.
Les malédictions sociales y ont la gravité des péchés religieux. La phrase qui ouvre ce roman, ou plutôt ce poème, résume la sévérité des obligations qui pèsent sur Mladen : " Toute sa vie, toujours, il n'a fait que ce qu'un homme se doit de faire. " Une faiblesse de son grand-père a remis la défense du rang de la famille entre les mains d'une femme, Baba Stana, sa grand-mère. Et d'elle, le fardeau est passé sur lui, Mladen, l'héritier qui dès sa jeunesse, par son comportement exemplaire, doit racheter les errances de l'aïeul et sauver l'honneur du clan.
Voilà le fond. Mais Borisav Stankovic, par ses récits, ses trois romans (dont deux sont restés inachevés), par ses drames, a su toucher comme rarement un écrivain l'âme de sa ville - Vranje, dans le sud de la Serbie. Une âme tissée d'émotions, de passions dévastatrices, d'une nostalgie, étrange et insupportable, pour l'éphémère jeunesse, si intense, si brève, et dont l'éblouissement reste comme une écharde dans l'oeil pour la vie.
Sans grandes explications, Borisav Stankovic peint le peuple serbe tel qu'il a perduré. Paysans, mendiants, simples d'esprit, artisans et habiles négociants : tous sont empreints d'une morale austère provenant autant de l'orthodoxie que d'un héritage immémorial empreint d'une droiture impitoyable et souvent violente. Dans la douleur les larmes coulent, mais les mâchoires sont serrées, et les faits les plus minimes sont comme des scènes de tragédies antiques.
Borisav Stankovic s'adresse directement au coeur du lecteur en faisant revivre, par le sombre lyrisme de sa prose, ces actes fatidiques que l'homme oublie par devoir, et peut-être par crainte, et dont la rémanence sourde nourrit pourtant les désirs et les regrets les plus lancinants de son existence.
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