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«À supposer qu'ils habitent la même ville, Louisa Makhloufi et Romain Praisse y resteraient-ils encore cent ans que la probabilité qu'ils se croisent, s'avisent et s'entreprennent resterait à peu près nulle. En sorte que si l'une des 87 caméras de surveillance installées en 2004 par les techniciens d'un prestataire privé de la mairie les voit se croiser, s'aviser, s'entreprendre, ce ne sera qu'à la faveur d'un dérèglement des trajectoires lié à une conjonction hasardeuse de faits nécessaires».
Dans une France contemporaine fracturée, François Bégaudeau met en regard violence économique et drame personnel, imaginant une exception romanesque comme pour mieux confirmer les règles implicites de la reproduction sociale.
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Septembre 2020 :
J'ai bien aimé ce livre de FRANCOIS Begeaudeau qui décrit assez justement un portrait de la France des années 2020 . Ça finit un peu bizarrement mais c'est bien pour sortir de mon train train.
Voici un auteur connu que je n’avais pas encore lu, m’étant contenté de la version cinéma de son fameux Entre les murs. Je regrette cette lacune mais il n’est jamais trop tard pour se rattraper et c’est pourquoi j’ai beaucoup apprécié de découvrir En guerre, le dernier roman de François Bégaudeau.
Au travers d’une série de portraits, l’auteur dresse un tableau précis, complet, sans complaisance de notre société de ce début du XXIe siècle. Je me suis bien sûr accroché aux deux principaux acteurs de En guerre : Romain Praisse et Louisa Makhloufi. Le premier, aux idées progressistes et généreuses, fait partie de ceux que nous appelons les favorisés, plutôt bobos, et habite un quartier du centre-ville alors que la seconde vit dans une zone pavillonnaire une maison à peine payée et se bat pour garder son CDD chez Amazon.
Pourtant, l’attention se focalise sur un troisième personnage, Cristiano Cunhal, le concubin de Louisa. Après des années chez Ecolex, voilà que des ventes successives aboutissent à la délocalisation de l’usine et le licenciement de 283 personnes. L’actualité, hélas, depuis des années, fait état de tels massacres mais certains hommes politiques disent que ce n’est pas bien de se battre, de lutter pour refuser ce poker industriel et humain.
François Bégaudeau m’a fait souvent penser à Gérard Mordillat et en particulier à Rouge dans la brume lorsqu’il parle des luttes ouvrières et du cynisme de dirigeants interchangeables et surtout lointains. Grève, occupation, blocage de l’autoroute d’où colère des usagers… le quotidien régional parle peu du conflit. De son côté, le gouvernement socialiste ne peut pas tout faire…
D’un chapitre à l’autre, l’auteur a une façon bien à lui d’amorcer un nouvel épisode de son roman. Cela m’a désorienté au début puis je m’y suis fait et j’ai aimé ces lancements énigmatiques m’obligeant à chercher quel lien il y avait avec l’histoire. Cette technique-là, est bien maîtrisée et permet d’esquisser un tableau complet et d’élargir la focale du roman.
Ainsi, Catherine Tendron, technicienne du dialogue social tente de « convertir un départ contraint en départ voulu » avant qu’on déménage les machines sous la protection des CRS… Il y a aussi Simon Marchais, le conseiller de Pôle emploi, Manuel Bonnot et son festival Docublicain, Baptiste et Vincent qui ont créé Chez Lulu, un bar à vins et d’autres encore, des rencontres intéressantes tout au long du roman.
L’amour qu’éprouvent l’un pour l’autre deux êtres que tout oppose, est la clé de voûte du roman avec des conséquences dramatiques donnant des pages impressionnantes, confirmant tout le talent de l’auteur.
Celui-ci aborde aussi le problème des suicides dans deux grandes entreprises publiques menées à la privatisation et le traumatisme de ceux qui découvraient les corps : « Les agents d’entretien de France télécom et de la Poste se sentaient coupables. Ils n’avaient évidemment jamais échangé le moindre mot avec le mort, mais s’en voulaient d’être arrivés trop tard. 6 heures du matin est encore trop tard. Un type payé quatre fois plus qu’eux se tirait une balle parce qu’un type payé quatre fois plus que lui l’avait harcelé, mais c’était leur faute. »
Un excellent roman, cela sert aussi à rappeler des moments douloureux trop vite oubliés et j’ai vraiment apprécié la maîtrise et le style de François Bégaudeau qui ne néglige rien, même les loisirs de retraités : « les plus gros gisements de profit se nichent désormais dans le loisir des seniors. »
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Sortie le 16 aout 2018.
François Bégaudeau, sur un célèbre plateau de TV, ONPC pour ne pas le citer, s’insurgeait contre l’emploi de « en guerre » pour parler des attentats. Il expliquait qu’il fallait savoir employer les bons mots et prendre le temps de déplier les situations.
Dans ce roman encore plus que dans les précédents il s’y emploie, en dressant un roman social noir de notre contemporanéité.
Une ville, son centre et sa banlieue, un conflit social.
La presse n’a pas le temps d’en parler car elle est focalisée sur les attentats…
Dans cette entreprise depuis deux ans, Catherine Tendron opère, elle est là pour dégraisser les effectifs. Elle ne fait pas face à des grévistes en colère mais à des « lanceurs d’alertes », pour cela elle a, avant toute chose, métamorphosé son bureau en espace Feng Shui et elle gère façon Yogi. Lorsqu’elle fait face à la délégation, elle leur dit qu’elle aussi elle fait partie de cette entreprise Ecolex qui produit des connecteurs automobiles etc. Mais elle doit leur expliquer que la conjoncture… D’ailleurs elle les invite à partager une tasse de thé rouge. Catherine est des leurs, elle n’impose rien elle obtient le consentement.
Dans ce chaos, se dessine le portrait de Cristiano, mari de Louisa, qui après une journée de travail fait des balades à moto en écoutant du Métal. Cristiano est « fort en gueule mais faible en mots ».
Voici ce qu’il pense de cette situation : « On ne dilapide pas en deux semaines ce qu’on a élaboré en soixante ans, dont dix-huit avec sa pomme. On ne meurt pas comme ça d’une seconde sur l’autre. Ça c’est bon pour le gibier d’eau tel qu’abattu par son grand-père. »
Alors la délocalisation en Slovaquie va le laisser « sur le carreau ». Il va rester sur son canapé pendant que Louisa, sa femme, va trimer dans les entrepôts d’Amazon. Louisa c’est une battante, elle sait ce qui fait bouillir la marmite, elle ne va pas supporter de le voir ainsi. Elle sortira de plus en plus, d’abord avec les copines, puis seule.
Dans la même ville, mais au centre, les bobos, dont Romain Fraisse, n’ont pas conscience de cette situation, à peine lisent-ils les gros titres dans le journal.
La rencontre entre Louisa et Romain était improbable, et c’est tout de même à cause de cet évènement, qu’elle se produira.
Romain, travaille au Bureau Régional des Affaires Culturelles. Avec ses amis, ceux qui lui ressemblent il est habitué aux débats d’idées sur des sujets de hauts niveaux, comme : l’épilation intégrale chez les filles ou bien peut-on s’entendre sexuellement avec un partenaire dont les convictions politiques sont opposées ? Voilà tout de même des sujets plus importants dans la vie que la situation des banlieues.
« Bien que Romain estime aussi son temps limité, qu’il ne tienne pas spécialement à le gaspiller, que contre toute attente il aime mieux se forger une opinion que gober celle des autres, qu’au risque de choquer il ne trouve pas infamant de suivre son cœur et son intuition, cette dernière salve de philosophie achève de le convaincre que Louisa et lui n’ont rien à se dire. Il n’est que temps de passer à autre chose. »
François Bégaudeau joue avec le langage qu’il met à niveau des situations sociologiques qu’il décrit, ses personnages sont érigés sur la psychologie qui les a fondés et il n’oublie pas la gestuelle qui elle aussi les situe, aussi bien qu’une boussole vous donne le Nord.
Une analyse très réaliste, même si parfois, des raccourcis sont pris.
Le déterminisme n’a pas reculé d’un pouce malgré le progrès. Le 21ème siècle ne sera pas celui des bouleversements fondamentaux qui replacerait l’humain au cœur des préoccupations.
Non, l’individu, pas tous, sera écrasé par l’effet de masse. Il y aura toujours l’effet boomerang qui renverra dans sa case celui qui aurait eu l’impudence d’en sortir.
La question est posée, encore et encore, sommes-nous réellement en démocratie ?
Le « pouvoir de l’ensemble des citoyens » n’est qu’une énorme farce.
Roman sombre, sarcastique et caustique qui tend à montrer que « La chance s’attrape par les cheveux, mais elle est chauve » citation attribuée à Stendhal.
Merci Babelio et aux éditions Verticales pour cette lecture.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 11 août 2018.
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