"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Usant de sa propre expertise en économie, Marianne Rubinstein s'est penchée sur le sort de Detroit (Michigan), en proie aux excès du capitalisme financier lors des trois dernières décennies, mais aussi, depuis peu, en voie de renaissance accélérée. Pour mener à bien ce projet, elle y a séjourné à deux reprises grâce à l'obtention d'une mission Stendhal début 2015.
Dans cette ville trois fois et demi plus étendue que Paris pour 700 000 habitants seulement, elle a vu les maisons éventrées, les usines et les écoles murées, visité les vestiges de sa désindustrialisation, noué amitié avec Nancy Jones, sa logeuse et guide sur place, et écouté de nombreux récits de vie, touchant à la mémoire ouvrière de Motor City ou aux luttes contre la ségrégation raciale. Elle a aussi mis en lumière les arrière-pensées idéologiques de la success story de Henry Ford et analysé les étapes de son déclin, depuis la délocalisation de la production au cours des années 70 jusqu'à la récente crise des subprimes. Au terme de cette enquête, elle aura constaté que ce processus a voué plus de la moitié des anciens résidants blancs à l'exode pour ne laisser sur place que des afro-américains surendettés, dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté, pris en étau entre hausse vertigineuse de la délinquance et extinction des services publics.
À la même période, l'auteur doit faire face à un autre phénomène de dévastation, celui d'un cancer du sein. Cette longue période d'intimité avec la maladie, dont plusieurs opérations et séances de chimiothérapie, vient alimenter la charge émotionnelle de l'écriture. En 54 brefs chapitres, Detroit, dit-elle entremêle les données factuelles d'une dévitalisation urbaine et le ressenti d'une lutte contre les métastases malignes.
D'où la puissante originalité de ce récit, documentaire et intimiste, qui commence par interroger les dérèglements du capitalisme comme une pathologie en perpétuelle mutation, suscitant parfois par lui-même ses antidotes, et finit par envisager les possibilités - à Detroit et dans le propre corps de l'auteure - de la reconstruction d'un tissu social plus équitable et d'une identité personnelle désirable.
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