Alors que les membres du jury s’attèlent à leurs dernières lectures et peaufinent leurs arguments pour le 5 mai prochain, où ils devront désigner cinq romans finalistes, revenons sur les 30 titres sélectionnés pour le Prix Orange du Livre 2015.
« Je me laisse tomber sur un banc, le souffle court. Je ne sais plus où je suis. A Paris. Dans une rue. Elles se ressemblent toutes. J'ai rendez-vous. Je suis perdue. Je tente de me calmer. La respiration abdominale n'a pas été inventée pour les caniches, comme dirait ma copine Véronique. Inspirer. Expirer. Je me répète la date, mon nom, celui de mon mari, de ma meilleure amie et du président de la République. Commence à m'apaiser. Ce pas pour aujourd'hui. Ça n'a pas encore commencé. Je me suis égarée. Non, ce n'est pas pour maintenant. La malédiction qui a abattu ma grand-mère et ma mère ne m'a pas encore frappé. ». Elles s'appellent Lachésis, Clotho et Morta, comme les trois parques. Elles filent leurs propres vies, entre joies familiales et blessures d'adultère. De génération en génération, surtout, elles se transmettent le même rouet, la même malédiction : l'oubli, la folie, la perte de soi, ce que l'on appelle aujourd'hui Alzheimer. Clotho a dû enfermer Lachésis. Morta, la narratrice, sait qu'un jour elle devra à son tour enfermer Clotho. De mère en fille, le même amour, la même impuissance. Avec « Dépendance Day », Caroline Vié signe un roman où l'humour est l'autre nom de la violence, celle d'une société qui piétine la dignité humaine. De l'amour seul viendra, peut-être, le salut.
Alors que les membres du jury s’attèlent à leurs dernières lectures et peaufinent leurs arguments pour le 5 mai prochain, où ils devront désigner cinq romans finalistes, revenons sur les 30 titres sélectionnés pour le Prix Orange du Livre 2015.
Dans Dépendance Day, le second roman de Caroline Vié, nous suivons trois générations de femmes aux prénoms impossibles. Ce sont les prénoms des trois Parques, bon, là bien sûr il faut réviser un peu ses cours. Le récit de Morta, la petite-fille, nous fait plonger dans les affres de la maladie, qu’elle soit sénilité ou Alzheimer, vécue par les personnes âgées qui s’enfuient dans un univers sans mémoire, sans souvenir, sans repère et évoque surtout les bouleversements que cela entraine dans la vie des accompagnants, ceux qui perdent leurs relations avec leur famille, leurs parents.
On croirait presque une biographie tant certaines scènes sonnent vrai. Aborder la maladie d’Alzheimer n’est pas un postulat évident, pourtant je m’y suis laissée prendre, car en plus du malheur et de la souffrance évoqués sans retenue, il y a tout au long de ces pages un humour, une façon de vivre les évènements, de les décrire, qui vous oblige à rire et à pleurer en même temps. Construction étonnante, qui fait sourire et réfléchir, qui déchire et qui afflige, mais qui n’est jamais morbide.
Malgré le sujet évoqué, c’est un roman terriblement attachant que j’ai lu d’une traite, qui ne laisse pas indifférent et qui certainement pose de nombreuses questions sur l’accompagnement des malades et des personnes en fin de vie, mais aussi sur la fin de vie voulue et digne.
Dependance Day de Caroline Vié commence comme un roman. L’auteur nous entraîne dans les pas de Morta, jeune femme écrivain, fille de Clotho – sa mère.
Par petites touches elle reconstruit, en allers-retours vers le passé, l’histoire de ces deux femmes aux prénoms rares témoignant du lien avec l’arrière grand-père de Morta. Il avait appelé sa propre fille Lachésis en l’honneur des Parques, divinités romaines de la destinée humaine. Lachésis perpétuera la tradition en prénommant sa fille Clotho, elle-même nommant la sienne Morta. Ce fil invisible tissé par les prénoms nous annonce déjà celui, plus redoutable, du funeste destin de ces trois femmes.
Mais tout cela n’est qu’un peu de poudre aux yeux car très vite elle nous fait entrer dans le vif du sujet, dans un style qui pourrait d’abord sembler léger, drôle : la grand-mère Lachésis ne va pas bien. La narratrice qui remonte à ses 16 ans se souvient de la lente dégradation de Lachésis, mais ne prononce pas encore le terme fatidique. C’est pour sa mère Clotho qu’elle ne pourra plus l’ignorer : Alzheimer.
Alors très vite le roman bascule. Est-ce une autobiographie ? Une autofiction ? La dédicace me revient alors en mémoire : « A ma mère que j’ai enfermée. A ma fille qui m’enfermera ». Car la menace plane sur sa tête. Comment vivre avec ?
A partir de cet instant, je ne lis plus ce livre de la même façon. J’ai l’impression de vivre un peu son expérience avec la narratrice. Malgré son sens de l’humour et sa prise de distance, nous ressentons combien cette maladie est dévastatrice pour toutes les familles qui y sont confrontées. « L’épouvante a cela d’amusant- écrit-elle- qu’on n’en touche jamais le fond ».
Je pense que pour Caroline Vié il était vital d’écrire ce livre. Pour nous lecteurs, elle réussit à mettre en mots les moments qu’elle a traversés : drôles, terribles, épouvantables sans jamais céder au pathos ou à l’émotion facile.
Je ne peux dévoiler la fin aux éventuels lecteurs car elle donne toute sa force au récit. On n’en sort pas indemne. Mais lisez ce beau livre.
Le roman de Delphine de Vigan abordait de façon assez réussie le rapport mère-fille dans un glissement progressif vers la maladie de l'une et le ressenti de l'autre. Il y a eu bien entendu les derniers romans de Philipp Roth sur le naufrage, la déchéance, la dépendance de l'être humain quel qu'il soit dans la dernière partie de sa vie...Caroline Vié avec son roman ne vient visiblement pas boxer dans la même catégorie. Elle vient simplement faire entendre sa propre musique qui n'est pas dénuée de sensibilité, d'humour et de nostalgie. On pourrait lâcher ce roman dès le premier chapitre et ne pas vouloir s'embarquer une nouvelle fois sur ce type de bateau ivre de malheur et de tristesse. Ce serait une erreur. Il y a comme chez ses illustres prédécesseurs un aspect thérapeutique bienveillant dans son écriture.
Écrire un roman avec pour toile de fond Alzheimer, il fallait oser, Caroline Vié l'a fait. Le sujet fait peur, Alzheimer renvoie à la vieillesse, aux souvenirs qui flanchent, aux proches qui deviennent des étrangers, à la perte totale de mémoire, à celle de l'autonomie. Dans Dépendance Day Caroline Vié écrit tout cela, elle dit même bien plus, bien pire, elle n'édulcore rien du désarroi des proches, de leur souffrance face à l'être aimé qui se dégrade, dont le comportement exaspère et qui fait honte parfois, de cet esprit qui lâche et qui fait lâcher le corps, de cette fin de vie qui n'a rien de digne.
Si Dépendance Day n'épargne rien de cette maladie, il n'est pour autant absolument pas un roman gris, terne ou désespéré. Il est au contraire un roman familial dans lequel humanité et humour sont savamment entremêlés, ce qui permet de ne rien taire. L'humour est la politesse du désespoir disait Boris Vian, cette citation prend tout son sens ici. Morta, le personnage central de Caroline Vié aurait pu sombrer dans le désespoir le plus absolu, elle, qui a assisté à la lente dégradation de sa grand-mère puis de sa mère et qui se sait probablement atteinte par le même mal. Pourtant, Morta avance, elle vit malgré cette épée de Damoclès obsédante et menaçante.
À travers ce roman parfois quelque peu inégal dans sa première partie, Caroline Vié interroge le sens de la vie, et le regard que pose la société sur ce que l'on qualifie de mal du siècle. Et livre un témoignage très fort sur les ravages que produit cette odieuse maladie.
Dépendance Day est difficile, mais profondément humain, il heurte autant qu'il émeut. Impossible alors de ne pas sortir éprouvé par ce roman nécessaire...
Voilà un roman chaleureux et bien sympathique. Et pourtant il aborde le sujet de la maladie d'Alzheimer et de la décrépitude mentale et sociale d'un parent. L'auteur raconte sa famille cocasse et hors codes et la survenue des failles dans un quotidien tonitruant et échevelé. Des signes de sénilité apparaissent, qui deviennent des symptômes étranges ou innommables, puis se regroupent sous un diagnostic précis. La grand-mère meurt, puis le père, et peu de temps après, la mère et la belle-mère.
L'écriture, d'une splendide vitalité, traite ces choses graves avec un humour sain et revigorant.
Une chronique au ton doux-amer très attachante.
Le premier roman de Caroline Vié, Brioche, ne pouvait laisser personne indifférent, par la forme et cette utilisation du tu, par le sujet, par le côté dérangeant. Revenir après cela était un défi, relevé avec brio et talent par Caroline Vié.
Tout autre est l’ambiance de ce récit, même si on y retrouve la patte de cet auteur, à savoir le maniement de l’humour et de l’humain.
S’attaquer à Alzheimer est loin d’être simple. Comment ne pas tomber dans le déprimant ? ne pas en faire trop ? Je ne connais pas la recette mais Caroline Vié l’a trouvée, tant ce roman jongle avec habileté avec les émotions du lecteur.
Vous n’avez pas le temps de finir votre sourire que le cœur se serre sous la pression de la plume qui vous lâche avant d’en venir aux larmes.
Des montages russes, ce roman dont on descend avec la tête qui tourne mais heureux de l’aventure.
Un roman sans faux semblants, sans postures , avec de l'humain à chaque page.
Juste et drôle.
Doux et drôle.
Humain et drôle.
Humain, surtout
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