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La correspondance qu'ont échangée le vosgien Henri Thomas (1912-1993) et le finistérien d'adoption Georges Perros (1923-1978) est certainement l'une des plus attendues par les lecteurs des deux écrivains (tous les deux poètes, critiques, quand Thomas est par ailleurs romancier et traducteur) qui ont profondément marquél'histoire de la littérature française du milieu du XXe siècle, tant leur existence personnelle est étroitement liée aux thèmes développés dans leur oeuvre respective, tant les unit une certaine fraternité dans la fidélité à soimême, une absence de concession d'ordre social. Constituée d'une soixantaine de documents, elle débute en 1960 et prend fin à la mort de Georges Perros en 1978.
Les deux hommes, après avoir vécu à Paris, chercheront par tous les moyens, même les plus radicaux, à s'éloigner de la vie parisienne, pour trouver les conditions nécessaires à leur création littéraire. C'est cet éloignement autour duquel tournent les échanges entre les deux solitaires attirés par les littoraux, les îles, l'océan, quand les circonscrit tout autant une grande précarité matérielle pour ne pas dire carrément la dèche.
Cette correspondance littéraire commence en 1960 alors que Henri Thomas, après avoir vécu pendant dix ans à Londres, se trouve aux États-Unis où il enseigne à l'université de Brandeis, à Waltham près de Boston. Georges Perros, quant à lui, après Saint-Malo, habite Douarnenez où, d'une certaine façon, il a trouvé refuge.
« Cher Henri Thomas, Merci pour votre petit mot qui m'a fait bien plaisir. Nous nous sommes déjà rencontrés, il y a maintenant quelques années, mais dans un endroit où les hommes n'ont qu'une hâte : se fuir. Je veux dire le bureau de la N.R.F. Je vous reverrai toujours, levant le doigt pour prendre la parole, dans un mélange d'humour et de pudeur. Puis il y a votre oeuvre, que je connais, que j'admire, des « notes » aiguës de Porte-à- faux à cette pathétique Dernière Année que je finis de lire. J'espère que vous continuez d'écrire des sonnets. J'écrivais dernièrement à Georges Lambrichs qu'ils me rendaient jaloux. [...] » ] Thomas répond au moindre signe de son ami et lui envoie les livres dont se nourrit Perros. Il lui peint l'envers du décor où il puise les éléments de son oeuvre.
Cher ami, [...] J'ai beaucoup trop « travaillé » pour la radio, étant à Londres. Ce n'est pas un langage parlé, mais une espèce d'écriture déréglée où l'on ne se relit pas, on s'écoute lire. L'hiver 47, à cinq heures du matin, je donnais communication du mouvement des navires. Là, c'était parfait. Mais songer que quelqu'un écoute alors que je réponds gentiment à n'importe quelle question, - quel mauvais rêve ! D'autre part, c'est amusant et peu réel, un peu comme d'être au café à la nuit tombante avec personne et tout le monde. [...] »] Cette correspondance constitue un témoignage essentiel de la relation entre les deux hommes qui se rendent parfois visite. Elle prendra fin alors que Georges Perros, atteint d'un cancer du larynx depuis 1976, est hospitalisé à l'hôpital Laennec.
« Le matin, parfois, avant la mise en branle des soins etc. je vais tapoter sur un piano aux touches très cariées. Je suis seul.
Ça dure un quart d'heure, vingt minutes. Je me lève, me retourne, et là, derrière moi, assis comme doivent l'être les tigres au repos dans la jungle, une dizaine de silencieux, qui rêvent, me demandent de continuer. On se croirait outre-tombe.»
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