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« Deux moins un » nous dit Bernard Chambaz qui, dans ce livre situé entre les 22 et 31 décembre 2023, entre les bras de l'hiver, tresse une couronne de poèmes, un diadème sur le front de l'aimée disparue quelques mois plus tôt. Il compose un bouquet fait de roses de Zanzibar, de coquelicots, de bosquets de tamaris, de forêts de pamplemousse, de mûriers platanes, de primevères, dans un geste qui préfère comme toujours chez lui « célébrer la vie plutôt que pleurer la mort ». Il fait les deux conjointement, laissant à ces deux forces leur puissance de submersion, car elles proviennent du même amour et de sa vitalité « increvable ». De son écriture à la fois si fraternelle et si généreuse, d'une grâce d'évocation bouleversante, il se saisit d'un « instant merveilleusement banal de notre vie », d'un détail infime et radieux de la réalité pour ajouter de la beauté au monde, comme un moineau ramasse les miettes pour en faire un chemin immortel qui réunirait les êtres malgré la disparition. Geste de partage, de passage des géographies du coeur aux géographies du monde qui soudain se confondent, comme tout se tisse, la vie et les livres, les voyages - à deux ou avec les enfants - et les « tonnes de souvenirs ». C'est bien par la compagnie des noisettes de Dickinson pour entrouvrir les portes de l'immortalité, des tulipes de Cummings pour l'éternité du sentiment amoureux, des cerisiers sauvages de Reznikoff pour l'amour des êtres, des myrtilles de Tafdrup pour le tournis de la vie, que remontent les souvenirs d'une virée en moto à Agrigente, d'une cueillette de mirabelles, et toutes ces images revivifiées des dernières escapades à deux, avant que la vie prive l'un de l'autre. Un ultime regard vers la mer à Antibes ou sur les plages de Sicile dans la lumière d'été, le sommet de la Gardiole avec sa neige rose, le chemin des amoureux sous les mélèzes que l'on remonte main dans la main jusqu'à la maison quand le soir tombe avec « la douceur d'un volant de badminton ». Comment un coeur peut-il encaisser tout ça ? se demande-t-on en effet alors que l'on traverse les dernières heures de l'année, accompagnés par la douceur triste et désemparée d'un vers d'adieu de Verlaine, enveloppés dans cette « part de mélancolie qui recouvre tout ». Nulle réponse à cette question qui n'en est pas une, et qui nous laisse, en refermant ce livre de larmes qui pourtant « distribue beaucoup de sourires », envahis par le regret de ce qui a disparu, mais durablement éblouis par la splendeur de tous ces souvenirs « brillants de mille feux » dont on a reçu l'éclat en plein coeur.
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