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Ce bon vieux docteur Knock l'avait bien dit : " La santé est un état précaire qui ne présage rien de bon. " Pourtant, avant qu'Anatole Berthaud (double de Jacques A. Bertrand, bien connu de ses aficionados) n'apprenne qu'une tumeur s'est logée à l'entrée de son estomac, jamais il ne s'était préoccupé outre mesure de cette région de son abdomen. Par malchance, au même moment, sa compagne, atteinte d'un accès de mélancolie aiguë, tente de dire au revoir à ce monde (sans parler de la petite tumeur qu'on lui a également détectée au sein). D'aucuns trouveraient la situation désespérante. De fait, elle l'est, et pourtant c'est avec une irréductible insouciance, et un sens de l'humour libéré de toute complainte, que le narrateur décrit l'univers inhospitalier de l' " hôpital " ; le peu d'empathie du personnel soignant ; la dignité qu'on abandonne en remettant son corps à la médecine ; l'attente interminable qui devient le lot quotidien du " patient " ; le deuil de sa liberté lorsqu'on est astreint à résidence dans une chambre vétuste rappelant davantage une cellule.
Affronter avec humour et philosophie une des circonstances les plus graves de l'existence, telle est la réussite de ce récit enthousiasmant. Avec une pudeur à la hauteur de sa légendaire élégance physique et morale, Jacques A. Bertrand a manifestement le souci de ne pas faire peser sur le lecteur ses grandes et petites misères. Il instaure avec lui une complicité immédiate. Poète ingénu évoluant dans le monde froid et rationnel de la médecine, son " héros " (digne de la situation) prend le contrepied du lamento et nous régale de ses reparties loufoques qui surprennent son entourage.
Jacques A. Bertrand nous livre dans ce court récit son combat contre la maladie, contre le cancer. Rien de triste ni de lugubre sous la plume de l’auteur. Il a choisi l’humour pour terrasser le mal.
Tout y passe, les médecins un peu bizarres, les infirmières souvent si belles que l’on voudrait les avoir rencontrer dans d’autres circonstances, et puis bien sûr il y a les proches, les amis surtout qui ne sachant que dire, se contentent souvent comme entrée en matière d’un « Tu as bonne mine aujourd’hui ».
Et puis l’attente interminable dans des salles bondées en espérant que le diagnostic du médecin donnera un peu d’espoir.
J’ai aimé ce texte drôle, malgré la lourdeur du sujet. J’y ai trouvé belle leçon de courage et d’espoir.
En attendant « la paix des soupers à la lune » :
« Pantalonnade. » : le premier mot est donné, et sonne comme une blague. Le marchand de pantalons au ventre rebondi veut savoir pourquoi le narrateur est mince : « Eh bien voilà, dis-je : j’ai mangé mon estomac. » Joli euphémisme, pour une entrée dans le récit d’un cancer plus light qu’une vinaigrette à l’eau. Et Jacques A. Bertrand n’aura de cesse de surenchérir dans le comique. Sa phrase se développe et se surpasse sans cesse, affamée qu’elle est du bon mot. Jacques A. Bertrand n’a pas peur des mots, il joue avec comme un jongleur, toujours sur le fil, confronté à un vide dévorant (celui de son estomac, vous l’aurez compris). C’est pour son lecteur une joyeuse orgie du verbe. L’écriture est le parfait reflet de l’homme malade qui se délite : la narration est soumise aux formules qui se picorent comme un casse-croute intellectuel ; et c’est donc une littérature romanesque de fragments, qui tient plus des Pensées de Pascal que d’une architecture classique. Ces bribes philosophico-poétiques sont parfois crues – gare aux estomacs délicats -, tiennent parfois de la fable, et sont toujours mordantes. Ecrire le néant auquel les hommes se confrontent chaque jour, en signant l’impuissance de la narration romanesque traditionnelle pour aussitôt réinventer le roman, voilà finalement l’idée de Jacques A. Bertrand. C’est une prétention cosmique, et universelle – et cela nous parle donc : « Que voit-on ? la nuit. Les étoiles nous aident seulement à voir la nuit. Entre les galaxies, la matière est noire.
L’Homme est gris. »
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