Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Une oasis enclavée entre le roc, le désert et les marais salants. Luxuriance qui jaillit au coeur de la steppe grésillant sous un soleil féroce. Havre de paix où le narrateur, un vieil instituteur à la retraite, pense couler le temps compté qu'il lui reste. Il partage avec les « fils » de l'oasis, la douceur des dattes, le thé âcre, sirupeux, les fêtes sacrées... Monde minuscule, vivant de ses coutumes et de ses traditions, tissées depuis l'aube des temps. Mais le maître d'école, malgré lui, est amené à raconter aussi une autre histoire, celle de Nadir, magnat de l'hôtellerie parti dans le dénuement et revenu dans l'opulence. Nadir, à qui la belle et richissime Sendra Stefanelli offrira un voyage à Paris et fera de lui un prince.
« C’est l’aube d’un jour parmi les jours qui point sur le grand erg oriental. Une lueur d’incendie dévore le fil de l’horizon émergeant de la nuit, étoffe exténuée de lessives, qui s’embrase. Un ressac de feu engloutit les derniers lambeaux d’ombre.
Je prends mon essor dans une mer de nacre et d’or.
Lève les yeux. Tu me vois ? C’est moi, là-haut, l’épervier. Planant – armaturé d’acier, pennes et rémiges frottés à la fournaise, pailletées d’éclats de vif-argent -, dérivant à travers l’océan d’incandescence.
Je suis celui qui voit. »
Ainsi débute le livre d’Ali Bécheur. Vous comprenez pourquoi ce livre m’a envouté ?
Comment résumer un livre où j’ai noté presque chaque page, où la poésie est présente, où les mots, choisis sont une invitation ? Comment faire alors que Hebelin et Pasdel ont écrit des commentaires superbes ?
Un vieil instituteur décide de retourner dans l’oasis qui a vu débuter sa carrière. La vie y est douce, le temps s’y écoule lentement ; il est dans la contemplation et la réflexion. Puis, il y a Nadir, Si Nadir, depuis qu’il a fait fortune dans l’hôtellerie. De son importance, il veut garder trace et désire que le Moâllem écrive sa biographie. Nous saurons de son existence ce qu’il a raconté sur les cassettes qu’il envoie à son Maître, le vieil instituteur. « Moâllemi, s’écria-t-il, c’est une baraka de Dieu de vous revoir après tant d’années, enchaînant sur sa lancée qu’il ne m’avait jamais oublié, comment oublier son maître ? »
« J’éprouvais le sentiment d’une liberté inconnue, sans plus de limite qu’un vertige vacillant dans les profondeurs du corps, me disant que oui, puisqu’il le voulait, j’écrirais son histoire et que l’écrivant c’est on histoire que j’écrirais, celle de la source, de l’oasis et des palmiers et de ceux qui y vivaient et en vivaient, eux qui n’avaient pas voix au chapitre, que je leur donnerais la mienne à eux qui m’avaient tout donné sas que je ne leur eusse rien demandé »
C’est ainsi que, comme l’écrit Ali Bécheur, le vieil homme a fait sien « les mots du père Hugo en les inversant. Quand je vous parle de moi, je parle de vous. »
Le Moâllem raconte son oasis luxuriante et fragile sujette aux intérêts financiers et hôteliers. Il se sert du désir de Nadir pour raconter la vie quotidienne. Le temps n’est plus le même, n’a plus la même valeur. Vous vous posez au pied du caroubier et vous lisez en mobilisant tous vos sens. Vous écoutez Al Môallem raconter la vie qui s’écoule dans son oasis. Tout est calme et sensualité. Pourtant, la vie n’est pas rose dans l’oasis, les jeunes, les uns après les autres partent. « Mais rien ne survivra à l’adolescence, à l’appel des sirènes de l’ailleurs ».
Les gadoues rythment la vie agricole. Les femmes préparent la oûla et le Moâllem se trouve face à un tableau de Delacroix se terminant en danse païenne et érotique. La « Banque Populaire » derrière son étal donne les dernnières nouvelles. Les joueurs de dames lancent le débat entre les modernes et les anciens, entre les tenants du culte et les tenants de la culture.
Ali Bécheur magnifie la vie calme de l’oasis. Il nous oppose l’histoire de Nadir, parti sans le sou, devenant gigolo pour survivre et partir suivre sa belle à Paris. Devenu riche, il revient dans son pays pour créer des hôtels pour touristes riches. Dans sa mégalomanie, il entreprend la construction d’un palace, le Chems palace dans l’oasis qui l’a vu naître. Plus, toujours plus, vite, toujours plus vite. Partir pour mieux revenir et imprimer sa marque sur le sable de l’oasis… et le sable ne retient pas les traces.
Ce livre est un oasis entouré d’un désert. Il est tout aussi luxuriant, fragile et vivant. Les mots, les phrases d’Ali Bécheur ont coulé en moi comme le jus des figues trop mûres, comme le miel. Elles étaient la vapeur s’échappant des théières, le feu sous le kanoun. Comme le Moâllem, je me suis étourdie à regarder danser Taous, comme l’épervier, j’ai survolé l’erg, vu le soleil s’embraser, le vent s’engouffrer. J’ai vu le sacré de cet oasis.
Les palmiers nous invitent à entrer dans l’oasis et à suivre les mots d’Ali Bécheur. Ne regimbez pas, laissez-vous guider par les mots, par les phrases, par les bruits, par les odeurs, par les couleurs, par la sensualité, par l’amour, par les raisonnements, par la fatalité, caressez le sable, cueillez les dattes…. Enfin tout ce qui fait ce beau livre. Quelle écriture ! Tous ce vocabulaire arabe qui, tels des petits cailloux, ponctue les phrases et ajoute à la poésie.
Laissez-vous bercer par les phrases ondulantes d’Ali Bécheur et je vous promets un grand moment de lecture.
Les Editions Elyzad, fidèles à leur ligne éditoriale, nous offrent un roman d’une très grande qualité aussi bien littéraire qu’esthétique.
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