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Saïd, qui s'était engagé pour nourrir les siens, s'interrogeait. Le jeune soldat blond avait-il reçu une prime de deux cents francs à son arrivée ? Recevait-il lui aussi une solde journalière de cinquante centimes ? Était-ce assez en Allemagne pour s'acheter tous les mois un demi-kilo de pain, trois oeufs et un peu de lait ? Sa famille postulerait-elle pour une prime de veuvage de cent vingt francs ?
Cent vingt francs. C'était le prix d'un homme, du malheur de sa famille. Et Saïd, qui n'avait jamais appris à calculer, se demandait combien de kilos de pain, d'oeufs et de lait pourrait bien valoir son propre corps déchiqueté, tant il avait pris l'habitude de s'imaginer les viscères à l'air, dévorées par les rats, avec le fatalisme d'un paysan qui avait connu et qui donc connaîtrait de nouveau, un jour lointain peut-être, mais un jour sûrement, la mauvaise récolte de trop.
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« Saïd n’avait jamais été pris en photo auparavant. Pas même le jour de son mariage. Sa femme et ses deux enfants. Il ne pensait qu’à les nourrir, les protéger. C’était pour eux tout ce cirque. Il en va du destin comme de quelques tours de clé. Saïd posait sobrement, l’air remonté comme un jouet mécanique. »
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Saïd, c’est le jeune homme en tenue de zouave présent sur la photo du bandeau de ce roman.
Jeune paysan kabyle, c’est pour nourrir sa famille qu’il s’est engagé dans une guerre qui n’était pas la sienne.
Il meurt en 1917 - à 24 ans - dans les tranchées de Verdun, entouré d’autres de ses frères d’armes : les « Indigènes ».
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« Avec les cinquante centimes de sa solde journalière, elle pourra acheter tous les mois un demi- kilo de pain, trois œufs et un peu de lait. Et s'il meurt, elle touchera la prime de veuvage de cent vingt francs : le prix d'un homme. »
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C’est avec sa plume élégante et sensible que Xavier Le Clerc a choisi de rendre hommage à son arrière-grand-père, Saïd.
Porté par une écriture simple et souvent à fleur de peau, ce roman de l’intime - puissant - et la voix donnée à un homme qui ne l’a jamais eu.
Très peu vu par ici, ce sublime roman gagne pourtant à être lu par le plus grand nombre ✨♥️
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« Peut-être un jour entendrons-nous ton sacrifice, celui de tant d’autres indigènes aussi. Peut-être un jour comprendrons-nous que toi aussi tu as donné ton sang dans la boue de Verdun. Que nous sommes un peuple magnifique de sangs mêlés. Que nous ne remplaçons donc personne. »
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Né en 1893 dans une Algérie ravagée par la famine, Saïd s’engage comme zouave à dix-huit ans. Pour ce paysan kabyle, sa solde, et s’il meurt, la prime de veuvage de cent vingt francs, sont les seuls moyens d’espérer nourrir sa famille. Il participe à la campagne de pacification du Maroc, puis est envoyé dans les tranchées de Verdun, où il se lie d’amitié avec Babacar, un tirailleur Sénégalais comme lui en butte aux préjugés métropolitains. Tués en 1917, ni Saïd ni Babacar ne reviendront jamais au pays.
Saïd est l’arrière-grand-père de l’auteur qui, avec en main, et pour seuls vestiges, une carte postale où pose un zouave moustachu aux yeux clairs, et un certificat de décès portant un nom et un matricule, a entrepris de le déterrer de l’oubli avec toute la force de son imagination. L’évocation est réussie, et c’est d’une manière vivante et crédible, au fil d’une écriture fluide et agréable, que cet homme disparu depuis un siècle reprend vie sous nos yeux, en même temps que tout un pan d’histoire, de l’Algérie comme de la France.
D’une parfaite empathie, le texte impressionne par sa dignité pleine de pudeur, tandis qu’il se contente d’évoquer délicatement, sans juger ni commenter, le désastre d’une famine dont on sait qu’elle fut provoquée par l’abandon de cultures vivrières en faveur d’une nouvelle agriculture tournée vers l’exportation à destination de la France, le dévouement sans faille d’hommes contraints au sacrifice sans que ne disparaissent pour autant les préjugés à leur encontre, et, enfin, en quelques discrètes mais poignantes lignes de conclusion, les blessures de leurs descendants, Français « issus de l’immigration » dont on continue de « questionner les racines ». La narration se préoccupe aussi largement du sort des femmes algériennes de l’époque, au travers de plusieurs beaux personnages, comme la vieille Kabyle Keltoum et la jeune juive Dora, francisée par le décret Crémieux : toutes deux ont compris que, pour se préserver la moindre parcelle de liberté, mieux vaut rester à tout prix célibataire. Car, si les indigènes vivent alors sous la coupe coloniale, les femmes subissent elles, en plus, le joug des hommes.
Sincère et délicat, ce très beau texte servi par une plume agréablement travaillée se lit avec émotion, pour que jamais l’on n'oublie le digne héritage d’hommes et de femmes que l’histoire a spoliés de leur vie et de leur liberté.
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