Il faut reconnaître que Franck Balandier a l'art de raconter !
Apollinaire en prison !
Sur une idée saugrenue mais géniale de Picasso et du mystérieux Géry, Apo se retrouve, par une nuit diluvienne, complice du vol de la Joconde. En quelques jours, la police remonte jusqu'à lui : menottes, serrures, barreaux, cellule. Cinq jours comme une éternité.
Du Paris de la Grande Guerre à la destruction de la prison de la Santé, le roman dévoile un Apollinaire sensuel ramené à sa condition d'homme et à ses failles. Pour s'en échapper, il ne sait qu'écrire : au café, en cellule, sous les bombes...
Avec cette fiction sensuelle, Franck Balandier force le retour à une expérience authentiquement humaine, loin du rapport institutionnalisé à Apollinaire.
Il faut reconnaître que Franck Balandier a l'art de raconter !
A l’instar du célèbre poème éponyme, le roman de Franck Balandier est composé en trois zones. Pour la première, le personnage de Wilhem « kostrowhisky… » selon Georgette la concierge de l’immeuble, Guillaume Apollinaire apparaît sous les traits d’un jeune homme fêtard, frivole, entourés d’amis prêts à relever le défi. Ce soir-là, l’initiateur des vols programmés, Picasso, est absent ; il a choisi d’honorer un rendez-vous galant.
Apo et Gery Pieret se rendent au Louvre et, sans être inquiétés par un gardien vivant ses dernières heures de labeur précédant la retraite, dérobent deux statuettes et « La Joconde » cette femme invitant au désir dans un tableau à la renommée plus grande que les dimensions de son cadre.
Rapidement interpellé, Apo franchit le seuil de la prison de la Santé, découvre les conditions de la détention, la solitude et l’ennui. Mélancolique, il se souvient de ses amis, de Marie, il réfléchit et compose.
Zone 2, c’est novembre 1918, Apo sérieusement blessé échappe à la mort mais contracte la grippe espagnole. A bout de forces, aux portes de la mort, il fréquente encore les terrasses des cafés où « il y est question de frivolités germanopratines et d’insouciance », un endroit où il peut encore croire à une rencontre improbable…
Enfin, c’est l’entrée en scène d’Elise, jeune étudiante admiratrice d’Apollinaire, qui, par un retour sur le passé, aurait pu réanimer l’Histoire de la courte vie du poète… c’est le secret de la zone 3.
Après quelques pages, je me suis interrogée sur la portée du champ lexical qui me semblait quasi annonciateur d’un opus érotique…. Même si je pense encore que les descriptions de sensualité dévorante des nombreux personnages (gardien, policiers, juge…) n’ajoutent pas forcément de corps au roman, je reconnais qu’elles apportent une certaine légèreté aux moments plus graves de l’histoire.
Mais il y a une autre dimension littéraire dans l’écriture de Franck Balandier. Lorsqu’il parle de Guillaume, à la troisième personne, et de son amour pour Marie Laurencin, les mots sont précis, mesurés pour exprimer les sentiments et les doutes qui traversent la pensée du prisonnier.
« …il était devenu poète pour aimer et se faire aimer. Par les mots, il se faisait aimer. Par ses mots, il charmait. Mais les mots sont volatiles et éphémères. Il n’était plus là. Et Marie, dans d’autres bras sans doute. Voilà ce qu’il pensait… »
Ce style est également prégnant dans le récit des derniers jours d’Apollinaire, la visite de Cendras à son chevet.
Je retiendrai avant tout l’originalité d’un roman fourni, évoquant notamment, outre la personnalité et le destin de l’homme, le milieu intellectuel à l’aube du 20ème siècle, le contexte du pays en guerre, des thèmes enchevêtrés habilement et de façon assez surprenante avec des hommes ou des faits d’une autre génération pour aboutir à un épilogue qui me laissa bouche bée.
Tiens, un roman dont la couverture est percée en son milieu, comme parfois celle de certains livres pour enfants ! Le trou permet de distinguer un œil.
APO ? Ah oui, bien sûr, comme le confirme la 4e de couverture, il s'agit d'Apollinaire, le poète soupçonné d'avoir volé un jour la célèbre Joconde ! Et le trou, c'est celui de l'oeilleton d'une porte de la prison où il a été incarcéré et qui permet de l'observer.
APO, cela sonne comme un diminutif, nous devrions alors entrer dans son intimité …...
Je feuillette le livre .
Des chapitres de longueur variée, entrecoupés de passages en italique et regroupés en 3 parties, ou plutôt en «Zones» comme le titre du poème inaugural du célèbre recueil ALCOOLS et d'un Epilogue .
Chacune de ces «Zones» correspond à un lieu d'action et surtout à une durée très limitée: la première, 23 jours de 1911 : ceux du vol et de l'emprisonnement ; la 2e, 7 jours de 1918 : ceux de l'agonie et de la mort du poète et la dernière …... Surprise ! …..datée du 17 juin 2015 !.
Apollinaire ! Des vers trottent dans ma tête, ceux du PONT MIRABEAU, de LA LORELEY, des SALTIMBANQUES , les images des poèmes-calligrammes apparaissent …..
Déjà je me réjouis !
Je commence à lire, m'attendant à suivre Apollinaire, à ne pas le quitter, à trouver une évocation délicate des épisodes relatés.
Je suis vite surprise, déroutée.
Par moments Apo s'éclipse, il quitte la scène !
Un personnage secondaire lui vole la vedette. C'est d'abord le gardien du Louvre dont le sommeil est hanté de rêves érotiques, ce seront aussi plus tard la concierge de l'immeuble d'Apollinaire qui se complaît à raconter aux enquêteurs le mort héroïque de son époux, puis le locataire du dessus qui les entretiendra des soirées de son illustre voisin et d'un certain catcheur : le Vengeur masqué......... et de bien d'autres encore qui viennent interrompre régulièrement tout au long du roman le fil de la narration .
Mais enfin, c'est Apo, le héros, et pas ces bonshommes dont le récit étale les fantasmes sexuels, qui viennent faire leur petit numéro et puis s'en vont !
Ah, le sexe ! Il est souvent présent dans le roman. …..Serait-il là pour le pimenter ou pour rappeler qu'Apollinaire est aussi celui qui a écrit LES 11 000 VERGES ?
Cette alternance entre personnage principal et personnages secondaires, cette succession de récits enchâssés, cette narration éclatée et non linéaire, ça m'agace d'abord puis ça m'intéresse, mais oui ! .
Ce schéma narratif s'apparente à la composition des toiles des peintres cubistes amis d' Apollinaire ; celle de la déstructuration du sujet.
Et puis, surtout, l'auteur fait naître autour de lui toute une galerie d'individus pittoresques, savoureux, parfois comiques même. Il offre à chacun une individualité, un passé, des projets, des petits bonheurs, des obsessions aussi. Il œuvre comme un metteur en scène et crée grâce à eux tout un contexte humain et social , celui du Paris populaire de l'époque.
Il faut reconnaître que Franck Balandier, usant le plus souvent du discours indirect libre, a l'art de raconter !
Sa phrase suit au plus près le rythme de la parole, avec les traits marqueurs de l'oralité : rejets, reprises, accumulations, parenthèses ou digressions .
J'avais l'impression, en lisant le roman, que c'était un conteur qui me narrait, à moi, une aventure humaine, en louvoyant, certes,mais en revenant toujours à Apollinaire qu'il observait, non de l'oeil froid d'un enquêteur mais d'un regard fraternel .
Car son Apollinaire souffre, d'abord dans la solitude de cette prison mortifère où chaque jour il écrit, seul moyen de briser sa solitude et de faire barrage au désespoir qui le gagne. Plus tard, lors la grande boucherie de 14-18, dans les tranchées, puis au sortir d'une blessure à la tête qui a entraîné trépanation et troubles psychiques.
Enfin, en fin de vie, où atteint par la grippe espagnole, la fièvre ronge son corps et altère son esprit .
Alors des bribes de son passé lui reviennent, se bousculent en des flashes successifs . Tout se mêle : images de l'enfance, de ses amis artistes. des femmes aimées, de ses muses : Annie, Marie, Lou, Madeleine, de celles qui ont été fascinées par son état de poète et prises au piège de ses mots . Certains vers de ses poèmes viennent le hanter avant de sombrer dans le silence et la mort.
Je dirai peu des pages finales qui d'un bond nous transportent brusquement en 2015, si ce n'est qu'on y trouve un écho des premiers chapitres. Je préfère vous laisser le plaisir et la surprise d'en découvrir le contenu , les rebondissements et toute la poésie qui s'en dégage .
Vous avez deviné que le roman a été pour moi une très agréable surprise .
Je connaissais l'écrivain, celui qui a ouvert une ère nouvelle pour la poésie. Ces quelques jours dans la vie d'Apollinaire m'ont fait découvrir un homme «poète de son état, qui s'accroche à la douleur et en fait la matière de sa poésie»
Ses vers prennent désormais pour moi une nouvelle dimension .
La personnalité même d'Apollinaire, le virtuose doublé d'un iconoclaste farceur, Franck Balandier a su reproduire et partager grâce à ses connaissances, une intimité profonde et poétique, tout en respectant l'oeuvre incandescente du poète jusqu'à l'enfermement, partager un sentiment d'abandon, avec une tendresse teintée d'une réelle mélancolie, un profond désespoir, une descente aux enfers, tout en respectant les accents romantiques. L'incarcération du poète, trempant dans une sombre histoire du vol des statuettes, et son rejet physique pour le visage de Mona Lisa la Joconde, une vicieuse invitant au sexe, une débauche annoncée prometteuse, en un rictus explicite aux coins de ses lèvres...L'auteur a épousé toutes les recherches, en y ajoutant sa touche haute en couleurs, imaginaire et sensuelle, tout en soulignant l'ironie du sort: un homme accablé, affreusement rabaissé dans son statut de célébrité, condamné au cachot. Le lyrisme, et la fantaisie de Franck Balandier nous invite à démêler le vrai du faux avec un véritable régal pour le lecteur.
APO, un roman que l’on ne peut pas lâcher tant l’envie est forte de suivre Apollinaire à deux moments de sa vie, dans ses frasques, ses amours, son écriture, mais aussi sa guerre, sa mort.
Il y a trois Zones dans APO, trois époques, trois tranches de vie.
De la vie d’Apollinaire d’abord. En 1911, sans doute sur l’impulsion de Picasso, Apollinaire et Géry décident d’aller de nuit au Louvre pour tenter de rapporter au peintre les statuettes qu’il leur a demandé… de rapporter allez-vous dire ? Enfin, de voler, ou d’emprunter bien sûr. Au hasard des galeries passant sans vergogne devant les gardiens endormis, ils trouvent leurs statuettes et décident d’emporter également le tableau le plus célèbre du musée, La Joconde de Léonard de Vinci… Mais les enquêteurs ont tôt fait de remonter jusqu’au poète, et APO va passer quelques jours dans la cellule 5 de la déjà sordide prison de La Santé à Paris sous le numéro de matricule 123 216, du 7 au 12 septembre 1911.
Et l’auteur nous régale avec un juge comme on n’en fait plus, des policier enquêteurs amateurs de catch, des photographes de prison qui n’ont rien d’artistique. Il restitue également les états d’âme d’un Guillaume Apollinaire qui pense si fort à sa Marie (Laurencin) et au ciel par-dessus les toits, même en captivité son imagination et son talent s’expriment, même pour dire le vide, l’ennuie ou l’absence. Cette expérience le marquera, y compris dans sa créativité.
Des derniers jours de la vie d’Apollinaire ensuite, quand en 1918, revenu du front, survivant des horreurs de cette guerre, il se meurt à Paris de cette grippe espagnole qui a décimé tant d’hommes en Europe. Le poète se remémore ses amours enfuis, les prénoms de ses belles, leurs caresses et celles du soleil sur sa peau, mais il sait aussi que sa fin est proche, inéluctable.
Enfin, l’auteur nous entraine en 2015 dans la cellule d’Apollinaire, dans cette prison de La Santé insalubre qui va enfin être rénovée. En conservant toutefois le mur extérieur classé monument historique (on a les monuments qu’on peut dans certains quartiers !). Il fait entrer en scène la belle Elise.
Lisez ce livre, et peut-être comme moi allez-vous suivre le poète, ses vers, sa folie douce, ses espoirs et ses aventures, apprécier la langue et les mots de Franck Balandier, denses, mordants, et tellement réalistes dans leur démesure.
Chronique complète sur le blog Domi C Lire : https://domiclire.wordpress.com/2018/08/23/apo-franck-balandier/
Cet opus est découpé en trois zones.
Zone est le premier poème écrit par Apollinaire dans Alcools. Ce poème est la quintessence de son auteur, sans ponctuation ni métrique donc sans entraves, ces vers libres chantent la mélancolie de celui qui écrit pour exister. Les vers sont irréguliers ainsi que la strophe mais les images ainsi véhiculées sont abondantes, disparates entre monde ancien(mythologie) et monde moderne. Le rythme est celui de l’imagination qui vagabonde comme l’eau coule dans une rivière et parfois en déborde.
Zone 1 :
Regard en retrait de ce qui arrive lorsque 3 trentenaires Picasso, Guillaume Apollinaire et Géry Pieret se mettent en tête de voler la Joconde. L’instigateur Picasso, fait faux bond aux deux autres pour cause de conquête amoureuse, mais nos deux lascars iront.
Le musée de nuit, l’errance qui s’en suit, la sortie victorieuse avec le trophée.
Regard affectueux, Franck Balandier s’amuse de cette situation avec toute la tendresse qu’il a pour son Apo. Tel un père qui raconterait les frasques de son fiston.
Puis c’est la prison « Il pose. Cette ardoise entre les doigts. Il aime bien l’identification, le numéro. Il réalise que, peut-être, cette image restera la seule, au plus profond de cette petite mort. Il faut sourire. Faire semblant. Il se demande à qui il devrait mourir, maintenant. Il se trompe de mot. Il a voulu dire sourire. La mort ne serait-elle qu’une affaire de sourire ? »
Incarcéré le jeudi 7 septembre 1911 à la maison de correction de Paris la Santé, il en sortit le mardi 12 septembre 1911, faute de preuves tangibles retenues contre lui.
Regard coloré voire bigarré pour nous faire vivre l’époque à travers les personnages : le gardien de musée aussi à l’étroit dans sa vie que dans sa cabine de fonction, la concierge qui voit la vie et les autres par le prisme de sa vie uniquement la sienne, les enquêteurs qui eux ont d’autres distractions que cette enquête. Pour le juge chargé de l’affaire un certain Joseph-Marie Dray, l’auteur a eu raison de changer son patronyme, car son portrait page 44 est un exemple pour illustrer la liberté du romancier face à la réalité, et combien l’imaginaire peut être ardent.
Dans cette zone souffle le comique d’un Chaplin, du grand art qui va du registre de la tendresse à celui de la bouffonnerie comme un fil tendu au-dessus de la réalité.
Zone 2 :
La mort. « Il n’avait pas si peur de mourir, Wilhem, il craignait seulement une mort trop ordinaire pour lui, trop triviale pour correspondre à l’idée qu’il se faisait de ses funérailles. Lui, qui avait mis tant d’années et consenti tant d’efforts pour devenir un « garçon bien », un « bon Français », pour effacer l’image du Russe émigré qui lui collait à la peau, pour obtenir enfin ses papiers, en bonne et due forme, Wilhem Kostrowitsky, dit Guillaume Apollinaire, homme de lettres, de nationalité française acquise par naturalisation, ce n’était déjà pas si mal, allait mourir français, emporté par la grippe espagnole. »
Apo s’éteint, Paris est fébrile, la guerre se termine, les rues bruissent des flots de Bretons qui arrivent pour s’installer dans la capitale.
Franck Balandier nous peint cela, en tableaux colorés et sensuels à la manière de Renoir.
Zone 3 :
L’auteur sait de quoi il parle « Les murs quand ils sont suffisamment hauts, sont des pansements. Ils cachent. Il en va ainsi des hôpitaux, des prisons et des cimetières. »
Là l’imaginaire l’emporte, le poète se réveille, telle une amazone chevauchant sa monture, sous les traits d’Elise, la cellule d’Apo est visitée une dernière fois, avant la démolition de la Santé, un poème reste écrit sur le mur… ?
Les poètes meurent mais leurs poèmes vivent, pour nous faire exsuder les bons et moins bons souvenirs. Ainsi voguent les réminiscences sur lesquelles se construisent les adultes que nous sommes, consentants ou pas.
Une lecture comme je les aime, d’un opus inspiré, porté par une écriture poétique et des flamboyances stylistiques que n’aurait pas renié Apollinaire lui-même.
Un poète qui est depuis longtemps le compagnon de route de l’auteur.
Franck Balandier commence sa partition en soliste virtuose et entraîne dans le sillage de ses mots tout l’orchestre des lecteurs.
Chantal Lafon-Litteratum Amor 15 aout 2018.
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Bonjour Dominique! Je n'arrivais plus à communiquer avec lecteurs.com, je reçois les messages mais mes chroniques n'apparaissaient plus...j'ai abandonné, n'ayant par ailleurs été prise ni comme explorateur ni comme membre du jury du prix Orange (je postule chaque année!). Mais cette alerte me permet de raccrocher et quelle chronique! Je vais filer à la médiathèque d'abord mais plus probablement à la librairie: cela donne trop envie et j'aime beaucoup Apollinaire...mais il me faudra peut-être patienter car victime d'une double cataracte, j'y vois très mal...les opérations sont prévues début et fin septembre et enfin, je pourrai retrouver un rythme de lecture correct. Bravo pour cette chronique qui donne vraiment envie.