"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Amie de Simone de Beauvoir et auteure de plusieurs romans, Violette Leduc avait été oubliée. Je me souviens l’avoir découverte avec « La bâtarde » déniché chez un bouquiniste. (Que soient loués ici tous ceux qui offrent une seconde vie aux livres).
Ses romans d’inspiration autobiographiques ont subi la censure, c’est le cas de Ravages où elle raconte son avortement qui a failli lui couter la vie. Il faut se replacer à l’époque de sa parution, en 1955.
L’homosexualité était alors taboue et le récit du couple amoureux que forment Thérèse la narratrice et Cécile, héroïnes de fiction, évoque la liaison que Violette a eu avec Denise.
Thérèse est partagée entre deux amours, celui qu’elle voue à Cécile l’institutrice qui partage sa vie et celui qui nait et grandit entre elle et Marc, jeune homme romantique et aventurier à la petite semaine. Il est instable mais obstiné et elle tombera sous le charme.
Qui aimer de Cécile ou de Marc ? Thérèse est partagée, Thérèse ne sait plus, elle souffre, elle est malade.
Cette franchise de la part d’une femme fait scandale à l’époque, on n’est pas habitué à cette liberté de parole concernant les amours saphiques.
« Je m’abattis sur Cécile, je couvris son visage de baisers. J’espérais que j’obtiendrais un duel de baisers passionnés.
Tu pèses, dit Cécile.
L’hiver dans ma tête remplaça les fleurs, le gong, les carillons. Je l’embrassais, je l’embrassais »
Ce qui semble aller de soi aujourd’hui, une femme libre et bisexuelle, une femme qui parle de sa bâtardise et qui se fait avorter car elle ne veut pas d’enfant, dans les années cinquante, c’était choquant.
Violette Leduc raconte la fin d’un amour, la jalousie, la souffrance et la séparation avec une franchise émouvante.
« Je prenais son écharpe de laine qu’il avait laissée dans l’armoire, je l’enroulais autour de mon cou : un pan de misère tiède tombait sous la veste du pyjama, entre mes seins. Alors me balayait jusqu’aux délices amères la chevelure, le transparent argent de l’absent. »
L’écriture est fluide, élégante. Tout est d’un réalisme troublant, dialogues vivants et spontanés, scènes cruelles ou sensuelles.
Ce qui surprend, c’est cette modernité à décrire la souffrance, la peur, la jalousie et ce déchirement entre deux amours opposés.
L’histoire est sombre, elle pourrait être déprimante. Mais non, l’héroïne rebondit, toujours, se nourrit de ses peurs, de ses atermoiements.
J’ai été happée par la vivacité du récit, cette prose maitrisée aux allures fougueuses. L’histoire nous emporte, histoire de femmes, histoire d’amour aux accents de vérité. C’est fort, et c’est toujours d’actualité.
La Bâtarde est un roman autobiographique paru en 1964.Violette Leduc y décrit avec force, sans concession sans complaisance son enfance, son adolescence, et sa vie de femme adulte. Il commence ainsi:
" Mon cas n'est pas unique: j'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je n'ai pas travaillé, je n'ai pas étudié. J'ai pleuré, j'ai crié. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j'y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n'ai que des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots-là."
Presque tout est résumé dans ce premier paragraphe. Dans la longue préface que Simone de Beauvoir consacre à ce livre, elle écrit:
" Une femme descend au plus secret de soi et elle se raconte avec une sincérité intrépide, comme s'il n'y avait personne pour l'écouter. "
Comment dire mieux ?
Pénétrer tout à fait dans l'intimité de Violette Leduc. Se laisser emporter par cette écriture organique et poétique. Se délecter de chaque mots. Voyager de métaphore en métaphore. Retour sur une écriture bouleversante :
L'intrigue: Simplement tout l'amour de Violette Leduc pour Simone de Beauvoir.
C'est l'amour dans tout ce qu'il a de vivant, de brouillon, de confus. Des mots jetés sur le papier parce que l'enveloppe corporelle ne suffit plus à les contenir. Le livre est une succession d'allers retours entre ce qui se passe en elle à chaque moment (livré ici dans toute sa confusion) ; et sa rêverie dans laquelle elle prend plaisir à s'enfoncer, avec toutes ses images poétiques et un univers complètement fantastique dans lequel elle se met en scène. Violette écrit pour ne pas mourir. Elle écrit pour vivre cet amour sans retour. Elle touche par sa fougue, par son impudeur. Violette parle à nos sens comme peu d'écrivain osent le faire. Elle nous réapprends à aimer tout à fait. À aimer sans limit. À aimer sans retour.
Extrait: "Une Colombe dort sur mon coeur. Mon coeur est un duvet. J'enfonce mes doigts dedans. C'est léger, c'est chaud. Je peux souffler sur lui. [...] Je bois une gorgée de champagne, pendant cette gorgée, j'ai le temps d'emmener sur une plage celle qui est assise à côté de moi. La mer est là, mais c'est le sable que je regarde et c'est lui qui fait jouir mes pieds nus. Nous avançons ensemble. J'ai embelli. Je peux marcher à côté d'elle. Elle ne parle pas. C'est suffisant. Sous nos pieds le sable est conciliant. Nous resplendissons. Je crois que nous sommes heureuses puisque nous sommes au diapason de la lumière tandis que nous marchons. Je bois une autre gorgée de champagne. J'avance seule. La colombe se défait de mon coeur. Elle vole bas puis elle meurt. "
Thérèse et Isabelle deux jeunes filles d'un même collège où elles sont en pension y découvrent l'amour charnel , la passion. L'histoire d'amour entre ces deux jeunes femmes est écrite de manière assez poétique et on comprend que ce roman écrit dans les années 60 fut source de polémique et ait pu offusqué quelques personnes.
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