"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Deux quotidiens du début des années 70 se font face dans cette bande dessinée. D’un côté Lucie, jeune femme réunionaise, heureuse d’être enceinte qui va être avortée et stérilisée sans son consentement. De l’autre Marie-Anne, jeune femme de métropole, engagée dans la lutte féministe qui milite pour la légalisation de l’avortement. Deux parcours mis en parallèle qui illustrent le destin de toutes les femmes de France métropolitaine et de la Réunion à l’époque. Elles sont un exemple parmi tant d’autres. En suivant Lucie, on découvre avec horreur, l’emprise des hommes blancs sur le corps des femmes à la Réunion. Il ne faudrait pas que les locaux deviennent trop nombreux, il faut réguler la population. Le consentement, un mot inconnu au bataillon. Cette partie de l’histoire est coloré en sépia et apporte un peu de douceur dans ce monde de bruts. La galerie de personnages locaux est attachante et les « bons sachants » venus de métropole sont détestables à souhait sous couvert de bien présenter.
En suivant Marie-Anne, on découvre la déconnexion entre la métropole et les outre-mer. Pour Marie-Anne, la Réunion est un lieu de vacances paradisiaques dont elle n’a pas connaissance de ce qui s’y passe réellement. Elle a avorté clandestinement plus jeune et elle se bat pour la légalisation de l’avortement. Sa partie est dans les tons bleus. J’aime le choix de contraste entre les deux histoires. J’appréhendais le risque de déséquilibre entre les deux récits ainsi qu’un possible mélange/dilution du message mais je suis heureuse de mettre trompée. L’équilibre entre les deux récits est parfait et au contraire il renforce à la fois la dénonciation de la politique anti-natalité et des luttes féministes. A aucun moment on ne doute que la lutte concerne le droit de disposer de son corps comme on le souhaite et non comme les autres le veulent. Les deux récits se répondent très bien et éclairent sur le décalage entre la bien-pensance qui brident les femmes blanches de métropoles et la peur de « l’étranger » dont il faut contraindre l’expansion. Si c’est deux poids deux mesures, à aucun moment on ne doute que le fond est une emprise sur le corps des femmes et un besoin de s’en libérer.
C’est une bande dessinée nécessaire qui met en avant un scandale récent et bien cacher sous le tapis. Au vu de la thématique, c’est délicat de parler de coup de coeur mais j’ai vraiment adoré la façon dont a été traité ce sujet.
La lecture est bien souvent pour moi l’opportunité de revisiter une page de l’Histoire ou de resituer un événement dans son contexte. « Outre mères » fut un de ces déclencheurs de curiosité. En effet, bien que les années 70 ne soient pas un passé si lointain, le Mouvement de Libération des Femmes puis cinq années plus tard la loi Veil de 1975 s’inscriraient presque en ma mémoire parmi les archives des longs combats menés et des droits acquis. Il en aura fallu des années, depuis Olympe de Gouges en 1791 et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne avant que le féminisme soit autre chose qu’un terme avant-gardiste ! De là à autoriser la femme à disposer de son corps, il y avait un grand pas que personne n’aurait à l’époque osé évoquer !
Le roman graphique de Sophie Adriansen et Anjale se situe en 1970, en Métropole où Marie-Anne, jeune étudiante et militante au sein du MLF, a avorté clandestinement, et à La Réunion où Lucie, mère de plusieurs enfants subit sans avertissement et bien sûr sans aucun consentement une interruption de grossesse associée à une stérilisation dans la seule clinique de l’île spécialiste et rôdée à ce type d’interventions, avec l’assentiment des pouvoirs publics.
Le texte, bien documenté, relatant des faits trop peu connus et le travail artistique de Anjale se lient parfaitement pour offrir une lecture saisissante que j’espère partager avec de nombreux amis (es) lecteurs (trices) .
Je remercie la Masse critique Babelio et les éditions Vuibert.
Ce roman graphique évoque le scandale des avortements et des stérilisations forcés sur l'île de la Réunion dans les années 60 et 70.
*Deux lieux : Paris et La Réunion en 1970 et 1971
*Deux personnages principaux : Lucie à La Réunion, mère de six enfants, avortée contre son gré et Anne-Marie, en année du bac, qui a avorté
*Deux combats : Anne-Marie pour le droit à l'avortement et Lucie contre les avortements forcés
*Une seule loi qui interdisait les avortements mais qui était appliquée différemment dans le département de la Réunion que dans le reste de la France.
Le roman graphique est construit sur cette opposition, cette dichotomie accentuées par le choix des couleurs : bleu pour tout ce qui se passe à Paris et brun pour toute ce qui se passe à La Réunion.
Cet ouvrage qui retrace à la fois le scandale des avortements forcés à La Réunion et le combat féministe dans le reste de la France est un véritable cri de colère. Cri de colère contre l'injustice faite à ces femmes pauvres, souvent illettrées, dont on disposait du corps pour une politique anti-nataliste; cri de colère contre le jugement inique rendu en appel en 1971 qui a débouté ces femmes, leur a dénié la reconnaissance du statut de victimes et a peu ou pas condamné les médecins coupables. C'est aussi un hommage à la trentaine d'entre elles qui ont eu l'immense courage de porter plainte. C'est enfin un manifeste pour le droit des femmes à disposer de leur corps, qu'elle désire être mère ou pas.
L'ouvrage est très documenté et nous offre à la fin une chronologie des évènements, fort utile, à la fois à la Réunion et à Paris, qui permet de bien resituer le contexte et les faits.
Je remercie l'auteure et la dessinatrice pour m'avoir fait découvrir cet épisode honteux et scandaleux de notre histoire dont je n'avais jamais entendu parler à la différence des enfants de la Creuse; là aussi, la Réunion a payé un lourd tribut à la politique économique de la France lorsque des enfants, enlevés à leur famille auxquelles on a fait miroiter un bel avenir pour eux, ont été utilisés comme main d'oeuvre gratuite et corvéable à merci dans les zones rurales qui manquaient de bras.
Le titre polysémique résume parfaitement le message des auteures : la Réunion qui se situe en "outre"mer, les autorités sont passées "outre" la volonté des femmes et les avortements forcés furent un "outr"age à la dignité humaine.
Un roman graphique qui mérite d'être largement diffusé afin que l'on ne puisse pas dire "je ne savais pas".
Coup de coeur. Ce roman est un chef d’oeuvre. Je pense qu’il devrait être beaucoup plus mis en avant. Les femmes ont peut-être besoin de lire plus pour imaginer d’autres horizons à leur réalité : cesser de souffrir, cesser d’être passive, savoir dire non, laisser parler ce qu’elles veulent vraiment, ... Et pour cela, Sophie Adriansen est une autrice que leur tient la main pour les amener vers un ailleurs meilleur.
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