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Recueillir le récit de toutes les horreurs dont on nous parle puis que nous oublions sauf si leurs auteurs viennent frapper chez nous, n’est pas chose aisée. Pourtant, il faut lire ce que Sara (les prénoms ont été changés pour des raisons évidentes de sécurité) a confié à Célia Mercier, une journaliste qui connaît bien ces pays d’Orient et du Moyen-Orient où les pires sévices sont infligés aux filles et aux femmes.
Dans ce livre, elle attire notre attention sur les drames que vivent les Yézidis depuis août 2014, dans la région du Sinjar, en Irak. Daech veut faire disparaître un peuple qui subit un soixante-quatorzième massacre en moins d’un millénaire.
Dans la première partie du livre, Sara s’attache à nous montrer combien la vie était organisée suivant les traditions dans son village de Kocho, province de Ninive. Elle nous détaille les bases d’une religion qui tente de respecter la vérité, la connaissance et le mérite. Le peuple Yézidi a résisté, subissant les persécutions de l’islam, des Kurdes musulmans, du Califat arabe, de l’empire ottoman et enfin, aujourd’hui, de Daech.
Sara est née en 1986 dans une famille qui compte onze enfants. Chaque homme de la famille a un parrain musulman sunnite. On élève principalement des ovins et l’on cultive du blé, de l’orge, récoltant aussi tomates, pommes de terre, oignons, pastèques, ail, olives…
Sara suit un enseignement en kurde mais doit arrêter l’école à la fin du primaire alors que ses frères continuent en secondaire à 30 km du village. Certains hommes partent travailler en Allemagne : « Un homme qui travaille là-bas peut faire vivre trois familles ici. » Elle détaille aussi les débuts de sa vie amoureuse.
Le récit de Sara est entrecoupé par les aventures de son frère, par les histoires de Nadir, de Myriam, de Samia et se conclut avec le témoignage d’Amina Saeed, ancienne parlementaire irakienne et enfin par celui de Nada, 16 ans.
Tout au long de ces pages, les sévices subis, les assassinats en nombre perpétrés par ces hommes en noir se succèdent sans interruption et se poursuivent aujourd’hui : « Ces hommes n’ont aucune pitié, aucune humanité… Nous sommes livrées à des bêtes sauvages, des monstres. »
« Le 3 août 2014, Daech a capturé plus de 5 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants. » Les filles, à partir de 9 ans ont été violées, battues et personne n’a bougé devant ce véritable génocide, s’insurge Amina Saeed alors que le malheur continue de s’abattre sur un peuple qui ne sait plus ce que c’est que vivre en paix.
A l’automne 2014, une première coalition internationale a été créée contre Daech. Cette évolution majeure dans le conflit qui secoue l’Irak et la Syrie trouve différentes explications, l’une d’entre elles résidant dans les exactions infligées par Daech aux différentes minorités présentes dans ces régions.
Le témoignage de Sara illustre très concrètement cet aspect du conflit. Yézidie, elle est prise au piège avec tout son village durant l’été 2014, lorsque Daech s’empare de la zone de Sinjar. Sa communauté religieuse, qui compte environ 600 000 personnes, est présente depuis des millénaires dans cette région limitrophe du Kurdistan irakien. Persécutés à des dizaines de reprises au cours des siècles, les Yézidis sont honnis et pourchassés par les hommes de Daech, qui les considèrent comme des adorateurs du diable.
Le traitement que Daech leur réserve est ignoble ; le témoignage de Sara nous impose d’ouvrir les yeux sur cette situation qui se déroule loin des yeux des journalistes, qui ne peuvent accéder aux zones contrôlées par Daech.
Les bébés affamés, les jeunes filles mineures violées plusieurs fois par jour, les mères de familles séparées de leurs enfants, les hommes exécutés par dizaines dans des fosses communes, les trahisons d’anciens amis musulmans qui les dénoncent à Daech, tout cela donne la nausée. Mais une nausée salutaire, qui nous empêchera pour toujours de nous cacher derrière un lâche « je ne savais pas ».
Ma seule réserve sur ce témoignage est son style littéraire, trop journalistique à mon goût, mais là n’est vraiment pas l’essentiel.
Pour finir, une – petite - bonne nouvelle : depuis l’écriture de ce témoignage, la région de Sinjar a été libérée par les forces kurdes, appuyées par des raids aériens de la coalition internationale. Pour autant, beaucoup de Yézidis ayant fui au Kurdistan ne souhaitent pas revenir dans leurs villages, ne faisant plus confiance à leurs voisins dont certains se sont avérés des traîtres.
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