"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Commencer son adolescence avec la vision effroyable de son père pendu et de ses pieds au-dessus du sol juste à hauteur de votre regard a de quoi bouleverser toute une vie. Nous sommes en 1914, c’est une vision voulue par une mère maltraitante, agressive et tyrannique. Une seule issue possible, fuir le plus vite possible cette ambiance délétère de violence et de désamour pour enfin essayer de se construire.
C’est ce qu’il fait en quittant le foyer familial pour Paris, ses cafés, ses poètes, ses dadaïstes puis ses surréalistes, qu’il va très rapidement rencontrer et qui le passionnent. Il s’intègre dans la bande de Tzara, Breton, Aragon.
René est un beau jeune homme. Il plait aux femmes, aux hommes aussi, et n’arrive pas à définir ses attentes amoureuses. Il est attiré par l’humain plus que par l’homme ou la femme, mais il craint ses aspirations homosexuelles honnies tant par sa famille que par son époque. Les rencontres de Gide, Aragon ou encore Cocteau vont réussir à le libérer et à accepter sa bisexualité.
René souffre depuis l’enfance d’une tuberculose qui l’handicape presque à chaque instant de sa vie. Son jeune frère, jamais soigné par une mère qui refusait d’admettre cette faiblesse, décède très jeune de cette même maladie. De nombreux séjours en sanatorium, d’innombrables opérations, des soins réguliers aideront René à vivre quelques années de plus. Dès lors, il aura à cœur de profiter à fond de tout ce qui vient, la création bien sûr, mais aussi et surtout l’amour, hommes et femmes, les amis, l’alcool, les drogues, la fête et se fondre dans ce Paris des années folles partout et tout le temps.
René Crevel rencontre tous ceux qui ont fait son époque, André Gide et Jean Cocteau, on l’a dit, les surréalistes et les dadaïstes, avec Tristan Tzara ou André Breton, mais aussi Nancy Cunard, éternelle amoureuse, mécène des artistes, ardent défenseur de la cause des noirs. Salvador Dali, Gala, Paul Eluard, Jacques Prévert, Marc Allégret ou Alberto Giacometti croiseront son chemin. Avec eux tous il va vivre des moments intenses de création, d’exaltation, de liberté dans cet entre-deux guerre dans lequel commence à sourdre les relents d’un fascisme qui cache encore son nom. C’est encore l’époque du parti communiste et des espoirs de liberté et d’égalité pour tout le peuple, les intellectuels défendent la cause du prolétariat ouvrier, et y croient.
L’auteur Patrice Trigano nous offre là bien plus que le portrait d’un homme, c’est aussi le portrait d’une génération d’artistes qui ont marqué en profondeur la création française du XXe.
lire la chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2020/09/22/lamour-egorge-patrice-trigano/
Décidément, je trouve la rentrée littéraire de septembre 2020 de qualité et la sélection du site Lecteurs.com pour ses explorateurs, vraiment excellente. Je termine la lecture de "L’amour égorgé" de Patrick Trigano. Cette biographie romancée du poète René Crevel a vraiment fière allure et l’intérêt du fond n’a d’égal que la beauté de la forme.
Espantée, c’est le terme – utilisé dans le sud pour dire ébahie, épatée - qui me correspond à l’issue de cette découverte, découverte du roman, naturellement, mais aussi – et c’est plus inavouable – du poète dont il est question et que je ne connaissais pas. Il s’agit pourtant d’un personnage fascinant, par sa beauté d’abord qui lui valut de nombreux succès amoureux, par son esprit, son élégance, sa finesse, sa culture. C’est pourtant un être blessé "Son père pendu, la détestation de sa mère, ses difficultés à assumer son homosexualité, l’étonnement qu’il avait éprouvé en découvrant sa bisexualité, les morsures de son incessante tourmente…", c’est ainsi que "Il s’ouvrait, se racontait, se libérait." auprès de Mopsa Sterheim, son grand amour rencontrée à Berlin. Surréaliste, Dadaïste, communiste, il vit entre exaltation et tristesse. Amateur de cocaïne, il hante les lieux "de perdition" et connaît toute forme de sexualité débridée. Bref ! un homme véritablement hors du commun.
Mais, outre le portrait de René Crevel, c’est tout est un pan de l’histoire de l’entre-deux-guerres que nous dépeint l’auteur et Dieu sait si les personnages sont des plus intéressants. Quel plaisir, quel enthousiasme de retrouver sous la plume fringante, racée, habilement travaillée de Patrice Trigano, les noms qui m’enchantent depuis mon adolescence : André Gide, Paul Eluard, Aragon, Cocteau, Stephan Zweig… sans oublier Giacometti et son œuvre "La femme égorgée" dont Crevel disait "Ta sculpture livre ta vision de l’amour, un amour qui fait mal…" au même titre que celui de sa mère qui ..."[m]’affirmait n’aimer que [moi], dont elle a fait…son amour égorgé", devenu le titre du livre.
Car ce récit ne se limite pas à la biographie du poète parti trop tôt, suicidé au gaz à l’âge de trente-cinq ans. C’est aussi une fresque des courants artistiques nés après la première guerre mondiale, une passionnante revue de la politique de l’époque avec notamment la montée du fascisme, et, quelque part, un magazine "people" relatant, à travers anecdotes savoureuses et dialogues enlevés, la vie déchaînée que menaient tous ces artistes, leurs soirées rocambolesques et leurs vies souvent dissolues.
"L’amour égorgé" : un roman brillantissime, érudit, captivant, enrichissant.
Je remercie chaleureusement François Constant pour le partage du livre, les site Lecteurs.com et les Editions Maurice Nadeau.
http://memo-emoi.fr
Le titre du livre de Patrice Trigano renvoie à une oeuvre de Giacometti, La femme égorgée, sculpture (conservée au Musée d'Art Moderne de Paris) d'une célèbre figure du mouvement surréaliste, comme le furent Breton, Éluard, Aragon,... dont les portraits sont finement ciselés tout au long de cet ouvrage, biographie d'un artiste météore qui se suicida à trente cinq ans.
Touchante, déchirée, la vie de René Crevel est ainsi détaillée, prétexte à la présentation d'un mouvement artistique dont l'influence considérable ne doit pas effacer les contradictions toutes humaines de ses principaux instigateurs. Et c'est bien là, je pense, le fonds du projet de l'auteur : montrer à quel point il est difficile, voire dangereux pour son intégrité mentale et physique, d'appliquer dans sa vie personnelle des principes philosophiques extrêmes.
Le corps a ses raisons que la raison ne connaît point. René Crevel en a payé le prix. Vie de débauche, bisexualité, rejet absolu de la Société, et à terme tuberculose, sans doute conséquence d'excès chroniques.
En ce sens, peut-être Crevel a-t-il été comme Perceval le seul héros véritablement pur de cette histoire, alors que beaucoup d'autres membres du mouvement comme André Breton ou Aragon ont répondu pour l'un à la sirène de l'autoritarisme et pour l'autre à celle du dogmatisme stalinien.
On ne doit pas négliger, me semble-t-il, dans l'aventure stupéfiante de ces hommes qui voulaient révolutionner le monde du travail (sans le connaître du reste) par l'art, l'importance de la Grande Guerre, qui ne fut grande que par le nombre de morts.
Le surréalisme s'inscrit dans les Années folles, cette période qui durera jusqu'à la dépression de 1929. Aujourd'hui, à la suite de cette tragédie sanglante de 14-18, on dirait : ils ont voulu s'éclater, et dans tous les domaines, car la guerre n'a été motivée que par un conservatisme absolu des mentalités bourgeoises de l'époque. Il fallait briser le carcan des conventions, des puritanismes, des préjugés. Freud (qui par ailleurs n'appréciait pas les surréalistes) avait ouvert la voie en dévoilant l'infini potentiel de l'esprit. Tout était possible. Il fallait faire table rase des habitudes, des résignations, et ceci par tous les moyens. Mais ce mythe rousseauiste qui consiste à surestimer la bonté humaine se heurta une fois de plus à la réalité, aux travers et aux frustrations enfouies en chacun de nous. René Crevel assista déçu à la désacralisation de ses idoles. Acculé par la maladie, il mit fin à ses jours comme l'avait fait son père avant lui, en nous laissant ces derniers mots amers :
Qu'on brûle mon corps. Dégoût.
À découvrir !
Explorateurs de la rentrée 2020
L’amour égorgé, signé Patrice Trigano, est une biographie romancée mais très documentée du poète René Crevel (1900-1935). Ce dernier, à la courte vie, a connu une enfance pénible marquée par le suicide de son père dont il découvre, à 14 ans et à hauteur des yeux, les pieds d’un corps qui pend à la poutre du grenier. Son enfance s’est poursuivie sous la tyrannie d’une mère qui ne sait aimer mais qui est passée maître dans l’art de la maltraitance psychologique. René Crevel ne trouvera d’autre réponse que la haïr, fuir le foyer et tâcher de libérer l’esprit révolté qu’il a en lui en envoyant dinguer toute morale et tous tabous. Car si son esprit se veut libre, Il lui faudra aussi découvrir les dictats de son moi qui le pousse à une bisexualité débridée et à la recherche de tous les abus, drogues, expédients et expériences bien plus souvent sexuelles qu’amoureuses. A 35 ans, il se suicide, moment dramatique auquel le lecteur s’attendait mais qui est affirmé avec pudeur par Patrice Trigano en une seule phrase sublime, épurée, nette de tous détails inutiles. Cette phrase termine le roman, plonge le lecteur dans la réflexion et pousse enfin René Crevel vers la liberté.
Je suis resté quelques instants, temps suspendu, sur cette dernière phrase. J’ai revu sa vie, ses souffrances, ses combats et le grand charivari de ce monde des Lettres d’une époque où les mœurs étaient bien légères et la poésie si féconde. J’ai basculé mon regard sur la citation mise en exergue du roman : « La mosaïque des simulacres ne tient pas. » (René Crevel). Je l’ai mieux comprise et j’ai fermé le livre en silence.
Ce qui me frappe, dans ce livre, c’est la connaissance phénoménale de l’auteur, Patrice Trigano, qui à tout propos est capable d’étayer ce qu’il dit par une allusion à une œuvre, un titre, une citation de tous les contemporains de Crevel. Toujours bien plus connus que lui, ils ont façonné l’esprit littéraire et artistique de cette époque ambivalente. Celle-ci correspond à une première sortie de guerre et à la volonté de s’affranchir d’un passé obscur et de se jeter dans la fête, l’insouciance, la frivolité et la recherche d’une puissance d’apparat obtenue dans les salons où on cause, s’exhibe et lance des idées, le plus possible en réaction avec l’ordre établi, la morale, le noir chagrin qui ont tant dicté les conduites durant des siècles et qui n’ont pas éviter la boucherie des tranchées. Ce livre nous immerge totalement dans la montée en puissance du Dadaïsme et surtout du Surréalisme qui a suivi et dont André Breton s’est proclamé le Pape avec la même autorité et infaillibilité que celles des pontifes dont il pourfendait la morale.
Et cette courte période d’euphorie est très tôt marquée par la montée du fascisme, la menace d’un totalitarisme nouveau qui poussera tous ces intellectuels à se tourner vers le Communisme. Mais, peut-on, à la fois, défendre les ouvriers et le prolétariat en étant habitué des salons et en quémandant sans arrêt l’approbation de la bourgeoisie qui fait et défait Paris, le monde et les notoriétés ? Est-on crédible quand on veut pourfendre tout ordre, toute morale, toute contrainte et que ce sont les gloussements et les applaudissements des notables nantis qui décident de la puissance de nos créations ? Cette question traverse le roman, c’est au lecteur à apporter une réponse.
Mais l’aspect le plus édifiant de ce roman est la quête d’identité de René Crevel dans un monde égocentré. Patrice Trigano a choisi de retracer la vie d’un poète, somme toute assez peu connu, vie qui s’est révélée être une descente vertigineuse en abyme. Le pauvre a tout expérimenté, il s’est cassé les dents sur tous ses espoirs de vie heureuse. Il a souffert dans son corps. Il a souffert dans son esprit. Il a cherché toute sa courte vie à comprendre qui il était et quels étaient les amis, les vrais, sur lesquels il pouvait s’appuyer. Et durant tout ce temps, les amis, tels coqs en basse-cour, jouaient des ergots, donnaient des coups de becs à tout qui leur faisait un peu d’ombre. Moi qui ai lu tant de ces auteurs, Aragon, Prévert, Eluard, Gide, Zweig, Desnos et qui ai admiré les œuvres de Magritte, Cocteau, Giacometti, Dali, j’ai eu quelques difficultés à accepter leur querelle d’ego, leurs pitreries dans les combats douteux et les attaques de conférences, de créations théâtrales et autres manifestations de leur rejet de tout. Pire que des gosses dans un bac à sable. Et pourtant, chacun a été capable de donner naissance à de si belles œuvres !
Le contraste entre la déchéance humaine vécue par René Crevel et la culture des égos surdimensionnés est, pour moi, la question fondamentale que pose ce roman. Au milieu d’un monde de fous avides de pouvoir et de reconnaissance sociale, quelle est la place disponible à celui qui souffre dans sa chair et plus encore dans son psychisme ? Quelle est la place offerte à l’humilité, la non-performance, la vie autre, simple et pourtant créatrice ?
« Pour raconter l’histoire de René Crevel qui me poursuit depuis mon adolescence – dit Patrice Trigano -, j’ai sacrifié l’exactitude sur l’autel de la vérité. La réalité voudra bien me pardonner ».
La réalité qui pousse à la réflexion est toujours bonne à prendre. Merci, Monsieur Trigano, pour cette biographie qui ouvre l’esprit et l’interroge.
A la page 100, je disais: "Je suis entré dans ce livre, avec curiosité et réticence. Curiosité parce que la quatrième de couverture, même en n’annonçant pas un parcours de vie joyeux pour le héros, laissait entendre le récit de ses rencontres avec des noms prestigieux tels que André Breton, Louis Aragon, André Gide, Paul Eluard, Jean Cocteau, S Dali, Giacometti et bien d’autres dont j’ai lu une partie de l’œuvre ou visionné des toiles ou sculptures dans bien des musées. Réticence aussi car je n’ai jamais été un grand lecteur de biographie. Néanmoins, à la page 100, je reste intéressé par cette vie romancée de Crevel et surtout par tous les soubresauts relationnels qui étayaient et pourrissaient les liens mondains entre ces grands noms qui sont entrés dans l’histoire du monde artistique. Preuve, une fois de plus, que les « salons » sont bien des lieux où on cause et surtout décause !"
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